dimanche 14 avril 2013


Au Mali, l’ombre du Mujao plane sur la vallée d’Inaïs

Le petit homme s'accroche à son bâton, balbutie, tremble de peur. Dans cette vallée perdue au nord de Gao, il est interrogé en tamashek (langue des Touareg) par des soldats maliens, soupçonné de liens avec des jihadistes de la région conquise par l'armée française.(c) Afp
Le petit homme s’accroche à son bâton, balbutie, tremble de peur. Dans cette vallée perdue au nord de Gao, il est interrogé en tamashek (langue des Touareg) par des soldats maliens, soupçonné de liens avec des jihadistes de la région conquise par l’armée française. (c) Afp
FES EN FES (Mali) (AFP) – Le petit homme s’accroche à son bâton, balbutie, tremble de peur. Dans cette vallée perdue au nord de Gao, il est interrogé en tamashek (langue des Touareg) par des soldats maliens, soupçonné de liens avec des jihadistes de la région conquise par l’armée française.
Ibrahim Ould Hannoush, qui ne connaît pas son âge, se dit berger dans l’oued Inaïs, à cent kilomètres au nord-est de Gao, la plus grande ville du nord du Mali. Il vit avec les siens dans cette région semi-désertique, que l’état-major de l’opération française Serval considère comme une base logistique importante pour les jihadistes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).
Pour les soldats et gendarmes maliens, aucun doute, c’est un jihadiste. « Il connaît quelque chose sur les terroristes ? », demande le gendarme à la peau très noire. Le soldat touareg des Forces spéciales maliennes, à la peau blanche, traduit la question, Ibrahim tremble davantage. « Il dit qu’il en a vu trois passer en moto hier, que même les Français les ont vus… »
Un peu à l’écart, l’adjudant-chef Alo Mazzak Agnamaka, des Forces spéciales maliennes, le regarde méchamment. « Même s’il n’a pas pris les armes, il est complice », dit-il. « Dans cette vallée, impossible de dire que l’on ne sait rien ».
« Selon lui, où sont-ils partis ? »
« Par là », dit-il en montrant l’Est. « Il y a trois jours, dans cinq véhicules, ils sont passés par ici… »
« Wallaou (je vous assure, ndlr) ! Il ne peut rien dire », marmonne l’adjudant dans son chèche. « Ce n’est pas la peine de se fatiguer, personne ne peut parler. Ils sont tous ensemble, dans le même bateau ».
Dans cette vallée de vingt kilomètres de long et deux à trois de large, où l’autorité de l’Etat malien ne s’est jamais vraiment exercée, le millier de soldats français engagés en force depuis dimanche dans l’opération « Gustav » a découvert de nombreuses caches de munitions, souvent de gros calibre, du matériel, mais très peu d’armes.
Les forces françaises comptent sur les témoignages de la population, des pasteurs semi-nomades touareg, pour détruire au maximum la logistique du Mujao dans la vallée, mais sans se faire trop d’illusions.
Dans une région peu peuplée, où tout le monde se connaît et s’épie, où tout se sait, où aucun mouvement ne passe inaperçu, il peut être mortel d’être vu parler aux « infidèles ».
« Le Mujao reviendra »
Je prends un risque à m’adresser à vous en plein jour », dit à l’AFP un jeune homme qui ne veut être identifié que par son prénom, Mohammed. « Les Français sont là, c’est bien, mais ils vont vite repartir. Le Mujao reviendra, et ils sont très méchants ».
« Quand ils étaient dans les bois, dans le fond de l’oued par là, ils arrêtaient tous les gens qu’ils voyaient passer près de leurs campements. Un jour, ils ont attaché mon petit frère une journée entière dans un arbre, sans rien à boire, pour lui faire avouer qu’il était venu les espionner. Ils savent tout ce qui se passe ici ».
Impressionné par les questions et les menaces des gendarmes, Ibrahim Ould Hannoush finit par dire d’une voix à peine audible qu’il connaît peut-être l’emplacement d’une cache d’essence.
Il est embarqué dans un blindé français, nourri, rassuré. Une patrouille d’une dizaine de véhicules fortement armée se rend dans un secteur aride de la vallée. Mais sur place, il n’est plus sûr, dit qu’il y avait des arbres, puis des pierres… Puis qu’il a « un peu oublié ».
« Un jeune homme nous a dit hier que quand ils venaient s’approvisionner, les gars du Mujao frappaient les gens », dit un officier français, le capitaine Cyril (il n’accepte de révéler que son prénom). « Il faut les comprendre, ils sont terrorisés ».
Un autre villageois, qui veut rester anonyme, assure que « les jihadistes passaient souvent la nuit, en colonnes de quatre ou cinq Toyota, phares éteints. Ils venaient remplir les bidons au puits, parfois acheter de l’huile, du sucre et du thé ».
« Acheter, tu parles… Dans cet oued, ils en sont tous », murmure en retournant à son pick-up l’officier touareg. « Sans les Français, dans deux semaines nous ne pourrons pas approcher d’ici à deux kilomètres… Ils seront à nouveau plus nombreux et mieux armés que nous ».

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