TRIBUNE
Publié le 15 Février 2013
Les fantômes touaregs de Tombouctou
Conseil Représentatif des Institutions juives de France
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Pour ce jeune homme de 28 ans, la défiance entre les communautés ne remonte pas à l'arrivée des djihadistes ces derniers mois. «C'est ancien. À Tombouctou, on parle encore de la rébellion touareg de 1991 et des massacres d'alors.» L'irruption des islamistes en 2012 n'a fait qu'aviver ces plaies. Aujourd'hui, Mohammed espère qu'elles cicatriseront. «Si les autorités reviennent, cela calmera un peu les choses. Dans trois ou quatre mois, les Touaregs et les Arabes natifs de Tombouctou pourront retourner chez eux.»
En attendant cette réconciliation, les autorités maliennes traquent les suspects. En ce matin du 4 février, sortis d'un gros pick-up, une dizaine de soldats de l'armée malienne fouillent nerveusement une maison censée avoir abrité Abou Dardar, l'un des chefs locaux des islamistes chassés par l'offensive de la coalition. Les militaires finissent par repartir bredouilles, laissant une porte béante de plus.
Mohammed redoute qu'un jour ils passent sa porte. «Les soldats ont une liste de suspects. Je ne sais pas si je suis dessus, mais c'est possible.» La faute, selon lui, en revient aux islamistes, qui, pour éviter les bombardements français, avaient choisi de se cacher à Abarajou au milieu des civils. «Abou Zeid est resté là une journée entière dans sa voiture, assure-t-il en désignant un arbre planté devant sa cour. Mais il n'est pas venu chez moi. Mes voisins noirs le savent, et, si j'ai des ennuis, ils témoigneront pour moi.»
L'heure des Arabes est passée
Un optimisme que ne partage pas un vieil Arabe. L'homme, terrorisé, refuse de dire son nom. Il vit seul dans la pénombre d'une villa sans même mettre son nez à la fenêtre. «Je suis resté parce que je suis malade. Le voyage m'aurait tué. Sinon, je serai loin comme les autres.» À ses yeux, l'heure des Arabes dans la ville est passée. «Il y a trop de colère, de haine. On ne pourra jamais plus vivre ensemble», affirme-t-il, se campant déjà dans la peau du dernier Arabe de Tombouctou. Il agite ses craintes pour le futur: la «guerre civile», les «massacres de masse» le «génocide». Son discours, dicté par la peur et l'isolement, est catastrophiste. Mais il traduit une fracture réelle entre le nord et le sud du Mali.
Hassène Boussana, directeur d'une petite école de Tombouctou, ne connaît pas plus la mesure. Des neuf mois d'occupation islamiste, il parle comme d'un «retour à l'esclavage». «C'est ce que voulaient faire les teints clairs avec les Noirs. Comme autrefois, ils voulaient nous remettre à leur service.»
Ces positions antagonistes, le journaliste Mahi Touré les connaît bien. Dans son petit patio, il a passé des jours à écouter les doléances et les cauchemars des uns et des autres. «Il y a une peur réciproque, mais elle passera. Les communautés ont besoin les unes des autres, qu'elles le veuillent ou non.» La meilleure preuve se trouve, selon lui, au marché. Les prix y ont flambé. La boîte de thé est passée de 250 francs CFA à 450 (de 40 à 70 centimes d'euros). Le lait en poudre a triplé. «Les Arabes tiennent le commerce et la contrebande venus d'Algérie. Sans eux, les produits viennent de Bamako, où ils sont beaucoup trop chers pour nous. Donc les Arabes reviendront, car les habitants le souhaiteront.»
Avec d'autres arguments, Baba Seydou Cissé veut croire, lui aussi, à la renaissance d'un Tombouctou multiculturel. L'iman de la grande mosquée assure que l'islam tolérant de sa ville est un rempart efficace contre les haines. «Les intégristes ont voulu nous apprendre un islam de rejet. Mais, ici, cela fait mille ans qu'on enseigne un islam de paix, et leur message n'est pas passé. L'islamisme ne fut ici qu'un épisode, maintenant terminé.»
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