LE MONDE | 21.04.2013 à 19h42 • Mis à jour le 22.04.2013 à 12h43
Par Michel Onfray (philosophe)
Le président de la République a décidé d'une guerre au Mali au moment où il commençait à s'effondrer dans les sondages. Quand on choisit des publicitaires pour nourrir son programme politique, il ne faut pas s'attendre à autre chose qu'à une politique de publicitaire, autrement dit, à une opération de communication. Dans la configuration libérale qui fut celle de Nicolas Sarkozy, et qui reste celle deFrançois Hollande, ce qui est fait l'est toujours en regard de ce qu'on en dira dans les médias – donc de stratégie en matière de réélection.
Ici comme ailleurs, cette guerre au Mali montre l'impéritie idéologique du Parti socialiste qui n'a pas de pensée de la guerre – pas plus qu'il ne dispose d'une pensée de l'éducation, d'une pensée de la santé, d'une pensée de la culture, d'une pensée de la bioéthique, etc. Sur ce sujet de la guerre, les pourvoyeurs d'idées du PS en sont restés au logiciel dominant du Clausewitz (1780-1831) qui théorise dans la configuration napoléonienne.
LA GUERRE DES PETITS
François Hollande commande en effet à l'armée française de mener au Mali une"grande guerre" du genre napoléonien, alors que nous sommes dans ce que Clausewitz nomme la "petite guerre", autrement dit la guerre des petits, menée par une poignée de combattants dépourvus du matériel de haute technologie de l'armée française qui, dans la formule géopolitique et géostratégique malienne, se révèle d'une totale inefficacité.
La France dispose d'une technologie de pointe pour mener une guerre haut de gamme contre des adversaires qui combattent en djellaba, chaussés de tongs, se déplacent en pick-up et font trembler le gouvernement français en pouvant raflerdans n'importe quel endroit du pays une poignée de Blancs transformés en otages, ce qui paralyse immédiatement l'action militaire. Le général Giap et la défaite de Dien Bien Phu ont pourtant montré jadis la supériorité de combattants galvanisés par l'idéologie, déterminés à mener une "petite guerre" contre la force occidentale technologique activée par des fonctionnaires commandés par des politiques – aujourd'hui à la remorque des publicitaires.
François Hollande aurait pu lire ou relire L'Iliade dans laquelle Homère oppose la force d'Achille à la ruse d'Ulysse. Hollande a fait le choix des forts, qui sont souvent des brutes sans cervelle, contre celui des faibles, qui se révèlent la plupart du temps des malins très avisés. Achille de l'Elysée a choisi la force ; les combattants islamistes ont opté pour la stratégie d'Ulysse, car ils n'avaient pas d'autre solution.
Dès lors, que se passe-t-il ? Quand la force avance dans un désert où personne ne résiste ni ne s'oppose, parce que les rusés reculent et se réfugient dans les montagnes, le fort vainc sans péril et triomphe sans gloire, pendant que le faible n'a presque rien perdu de ce combat mené contre lui.
Les non-images de ce "conflit" montrées à la télévision témoignent de cette guerre dite victorieuse menée contre un ennemi réellement invisible : elles ressemblent à un film de propagande du service communication de l'armée française. Que fera Achille le fort quand Ulysse le rusé attendra le temps qu'il faudra dans des grottes inaccessibles aux forts ?
Enlisée dans le sable, arrêtée au pied des rochers, l'armée française n'aura le choix qu'entre l'interminable et coûteux siège d'une citadelle invisible dans le désert, avec des ennemis impossibles à localiser, et le retrait piteux qui permettra aux rusés de descendre des montagnes et de revenir dans les villes pour y fairerégner la terreur à nouveau.
LE VIEUX SCÉNARIO DE LA FRANÇAFRIQUE
Pour éviter cela, il faudrait à la France rester sur place et installer son armée en force d'occupation. Si tel devait être le cas, pour se justifier, elle activera l'habituelle rhétorique des droits de l'homme, de la tradition républicaine nationale française, de la lutte contre le terrorisme international, du droit d'ingérence cher au bon docteur Kouchner et à ses amis philosophes. Nous retrouverions alors le vieux scénario de la Françafrique.
Si d'aventure la France voulait vraiment faire des économies, elle proposerait, entre autres, une armée européenne qui mutualiserait les matériels, les savoir-faire, les troupes, la technologie, la compétence, les budgets, les commandements.
Mais il faudrait pour cela une pensée de la guerre qui prendrait enfin acte de la fin de la guerre froide, donc de la fin probable en Europe des grandes guerres, puis de l'avènement dans cette même zone d'une nouvelle ère dans les guerres mondiales : celle des "petites guerres". Ajoutons que, pour pareil projet, il faudrait aussi un président avec une crédibilité européenne et un projet politique digne de ce nom. Et des idées.
Quand un individu quasi seul peut mettre en péril la sécurité d'un grand pays industrialisé bardé de technologie militaire en fabriquant ses explosifs à partird'une recette trouvée sur Internet, a-t-on encore vraiment besoin d'un arsenal d'avions furtifs, d'une noria de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, d'un parc nucléaire apocalyptique, d'une armée pléthorique de techniciens ? Ou faut-ilrepenser la défense moins en regard de la force d'Achille que de la ruse d'Ulysse ?
A l'heure actuelle, nous avons moins besoin du Clausewitz occidental de la guerre totale que du Sun Tze oriental qui cherche à "vaincre sans combattre" et à "ne pasensanglanter la lame".
A qui fera-t-on croire que le risque de terrorisme en Europe, ou sur le sol français, viendrait d'une poignée de musulmans vivant dans les dunes africaines plutôt soucieux de leur business local et de leur zonage tribal que d'établir un califat européen ?
Soyons sérieux... Il semble plus facile pour un président soucieux de redorer son blason de pourchasser des va-nu-pieds dans le désert plutôt que de s'attaquer à des Etats riches, forts, puissants, disposant d'une véritable armée, voire de bombes atomiques, et qui souscrivent à l'idéal terroriste d'un certain nombre de musulmans intégristes, notamment l'expansion idéologique en Occident !
Pendant qu'elle fait la chasse aux Maliens en sandalettes, la France déroule le tapis rouge à des Etats qui rachètent petit à petit ce que la France en faillite brade aux émirs les plus offrants... Si la gauche voulait montrer sa différence, ce serait le moment !
Lire le débat Mali, victoire ou enlisement programmé ?, avec Jean-Marie Fardeau, directeur France Human Rights Watch ; Michel Onfray, philosophe ; Gérard Chaliand, géopoliticien ; Pierre Micheletti, ancien président de Médecins du monde ; Romain Simenel, ethnologue,Mehdi Meddeb et Léa-Lisa Westerhoff, journalistes.
Michel Onfray (philosophe)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire