Le désert et la porosité des frontières facilitent les déplacements des hommes et des armes
Par Hassan Gherab
Réaction connue chez les groupes terroristes, dès qu’ils sont pris en tenaille, encerclés, sous pression, ils se trouvent toujours des complices qui organiseront des attentats et/ou des attaques dans une région voisine pour desserrer l’étau et/ou venger leurs «frères martyrisés par les mécréants et les Croisés». Et c’est ce qui semble se passer avec la réactivation de groupes armés en Libye qui multiplient leurs actions.
Après l’attentat à la voiture piégée qui a visé, le 23 avril dernier, l’ambassade de France à Tripoli, blessant deux gardes français et provoquant d’importants dégâts, la capitale libyenne a vécu dimanche dernier, une autre journée de troubles. Des milices lourdement armées ont encerclé le ministère des Affaires étrangères et tenté de prendre le ministère de l’Intérieur ainsi que le siège de l’Agence nationale de presse (Ana). Certes, ces milices réclament l’adoption d’une loi devant exclure les anciens kadhafistes des hautes fonctions dans la nouvelle administration, mais le contexte régional marqué par la guerre que mène l’armée française au Mali contre les groupes islamistes armés fait dire à des analystes qu’il y a là un rapport cause-effet.
L’arsenal libyen alimente le marché d’armes dans la région
L’attentat contre des intérêts français en Libye, le premier depuis la chute du régime de Kadhafi en 2011, serait donc la première réaction des groupes terroristes qui essayent de faire baisser la pression sur leurs complices du Mali, et les incidents de dimanche dernier ne feraient que confirmer cette stratégie. D’ailleurs, des sources diplomatiques occidentales citées par le quotidien britannique
The Guardian, affirment que la situation explosive prévalant en Libye a été exacerbée par la guerre engagée par la France au Mali. «Des groupes djihadistes expulsés de Tombouctou se sont déplacés vers le Nord, traversant le Sahara à travers l’Algérie et le Niger pour se rendre en Libye», écrit The Guardian. Le directeur du projet Afrique du Nord à l’International crisis group (ICG), William Lawrence, le confirme «Si vous pressez sur un ballon à un endroit, il grossit dans une autre, résume William Lawrence. Il n’y a aucun doute que les actions françaises au Mali ont pressé le ballon en direction de l’Algérie et la Libye», dira-t-il en réponse à une question du quotidien français électronique lemonde.fr.
Cette instabilité qui favorise la connexion et l’interaction des groupes armés est d’autant plus difficile à gérer que la Libye est un véritable arsenal avec d’importantes quantités d’armes en circulation et les milices armées qui y circulent et agissent selon le bon vouloir de leurs commandants - même si 95% de ces milices travaillent pour le gouvernement ou sont avec lui-, ont assis leur contrôle sur les frontières du pays. La Libye est devenue, depuis la chute de Khadafi et après les parachutages par la France d’armes qui étaient censées armer la résistance, un marché d’armes dans la région riche et attractif. Et cet armement de guerre est pour la majorité aux mains des civils et des milices. De plus, «il y a une compétition entre milices. Certaines sont plus islamistes que d’autres, des rivalités entre personnalités existent, comme des hommes d’affaires qui défendent leurs intérêts», précise le chercheur de l’ICG.
Tous ces indices concourent à l’établissement d’un lien plus qu’étroit entre l’instabilité en Libye et la guerre au Mali. «Avant cette attaque [contre l’ambassade française, Ndlr], il n’y avait pas de menace spécifique, mais des menaces générales contre les étrangers», indique William Lawrence. Mais après l’attentat, la piste d’une opération terroriste a tout de suite été soulevée. «Al-Qaïda n’est pas présent en Libye, mais il existe des éléments djihadistes qui partagent la même idéologie. Par opportunisme, convergence et alliance, ils peuvent greffer leur agenda sur celui d’Al-Qaïda», indique Dominique Thomas, spécialiste des réseaux terroristes islamistes. A Derna, région de la Montagne verte qui a abrité la rébellion islamiste contre Kadhafi, et est aujourd’hui la zone autonome de la mouvance salafiste, «les islamistes durs ont leur propre agenda et il existe une autonomie de facto», confirme William Lawrence.
La Libye, arrière-base des groupes islamistes dans le Sahel
Et du Mali à la Libye, ou inversement, il n’y a qu’un désert à traverser avec 4x4 et armes. Les frontières poreuses et les complicités aident les passages de tout et tous dans les deux sens. Aussi, les analystes ont-ils vite fait d’établir un rapport direct entre la Libye surarmée, le Mali aux prises avec les groupes islamistes, Al-Qaïda et son avatar dans le Maghreb et le Sahel Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a d’ailleurs menacé la France de représailles pour son intervention militaire au Mali. Le groupe terroriste a appelé sur Twitter «tout musulman à viser la France, ses intérêts et ses sujets sur et hors du territoire français, jusqu’au retrait du dernier de ses soldats de la terre des musulmans et jusqu’à ce qu’il retire son soutien aux gouvernants de la région».
L’hypothèse des «liaisons» entre les actions de différents groupes armés de différentes régions et pays, voire entre les groupes eux-mêmes, est confortée par la mobilité des terroristes qui se déplacent selon leurs objectifs ou quand ils sont en perte de terrain, ce qui est le cas au Mali où de nombreux islamistes armés ont décroché après avoir été chassés des villes et pourchassés dans l’Adrar des Ifoghas par les armées française, malienne et tchadienne. Ne pouvant rejoindre l’Algérie dont les frontières sont mieux surveillées par l’armée algérienne et où il est plus difficile de trouver des complicités et des armes, ils se sont rabattus sur le sud de la Libye, dans la région située aux frontières avec l’Algérie, le Niger et le Tchad, où ils savent pouvoir établir des contacts avec d’autres groupes islamistes locaux, voire des éléments et chefs d’Aqmi qui les y auraient précédés. Des rumeurs, rapportées par des médias, ont même fait état de la présence d’un ex chef d’Aqmi, l’algérien Mokhtar Belmokhtar, connu sous le surnom Mokhtar Belâouar (le borgne) - sobriquet qu’il eu à l’époque où il se livrait au banditisme sur les pistes du grand sud algérien-, dans la région du sud libyen, peut-être même à Zinten, au cours des derniers mois.
Cette stratégie d’élargissement de la sphère d’action du terrorisme islamiste s’est confirmée avec le démantèlement, à Bamako, d’une cellule du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un des groupes islamistes armés présents dans le nord du Mali depuis 2012, par les services de sécurité maliens. Sept personnes ont été arrêtées. «Depuis le début de cette semaine, nous avons les preuves formelles. Les sept personnes interpellées le mois dernier dans des quartiers populaires de Bamako formaient la première cellule du Mujao à Bamako», a déclaré à l’AFP une source policière malienne. «Pour arriver à ce résultat, nous avons travaillé étroitement avec la Sécurité d’Etat (SE, services du renseignement) du Mali, dont le rôle a été déterminant dans le démantèlement de cette cellule […]. Les enquêtes se poursuivent», a-t-elle ajouté. Aucun détail n’a pu être obtenu sur les dates des interpellations et les lieux de détention des sept personnes.
Le sud du Mali, nouvelle cible des groupes terroristes
Toutefois, les arrestations sont confirmées et évoquées dans un rapport confidentiel que l’AFP a pu consulter dimanche dernier. D’après ce document, ces arrestations ont «conduit au démantèlement de la cellule naissante du Mujao à Bamako». Les individus appréhendés «sont tous de nationalité malienne […].Ils sont âgés de 16 à 57 ans. Ils ont été formés militairement et idéologiquement dans le nord du Mali par les islamistes». «Les tentatives d’infiltration vers le sud du Mali vont probablement se multiplier […]. La cellule du Mujao démantelée devait notamment commettre des attentats à Bamako», indique le document. Selon RFI, les individus étaient installés dans trois quartiers populaires de la capitale - Niamakoro, Sogoniko et Banankabougou - où ils auraient tenté de recruter d’autres volontaires pour commettre des attentats. Ainsi, les craintes de voir les attentats s’étendre au sud du Mali après les victoires enregistrées par l’intervention militaire franco-africaine contre les groupes islamistes armés dans le nord du pays sont aujourd’hui plus que justifiées. D’après une source militaire française, la présence d’une cellule du Mujao à Bamako n’est pas vraiment «surprenante», dans la mesure où ce mouvement terroriste est en partie composé de noirs maliens ou étrangers et non d’arabes ou de touareg, comme ses alliés d’Aqmi ou d’Ansar Eddine. Et ce qui est encore moins surprenant, c’est de voir le Mujao utiliser ses capacités d’extension et ses connexions pour «aider» ses alliés en mauvaise posture dans le Nord, même si, dans d’autres circonstances, tous ces groupes pourraient se disputer le leadership dans une région, comme ça été le cas avec Belmokhtar pour la direction d’Aqmi dans le Sahel dont il a été écarté, ce qui l’a poussé à prendre ses distances en créant son propre groupe, El Mouakioûn bid’am (les signataires avec le sang).
Ainsi, c’est la première fois que la menace terroriste est clairement identifiée dans le sud du pays. Jusqu’à présent, les terroristes étaient surtout actifs dans certaines zones du nord du Mali où, profitant de la révolte armée des touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawed (Mnla) pour l’autonomie du nord Mali, ils avaient réussi à s’imposer dans certaines villes et menaçaient même le sud. Avec le déclenchement de la guerre engagée par la France, les groupes terroristes ont été obligés de se replier plus au Nord, dans la forteresse naturelle que constitue le Tassili de l’Adrar des Ifoghas.
Poursuivis jusque dans leurs derniers retranchements, les terroristes seront obligés de tout faire pour desserrer l’étau, d’où les incursions qu’ils ont faites ces dernières temps à Gao, Kidal et Tombouctou, des villes «libérées» par les forces franco-africaines, pour y mener des attentats suicides et des attaques, dont l’objectif est de montrer qu’ils étaient toujours actifs et pouvaient frapper là où on les attendaient le moins.
Ainsi, Tombouctou, la plus importante ville du Nord, a connu son premier attentat suicide le 20 mars dernier et une incursion d’islamistes armés qui a débouché sur des combats de rues avec des forces maliennes aidées par des Français, le 31 mars. Il est vrai que la destruction des bases et installations des groupes islamistes armés dans le nord du pays a fait perdre à ces derniers la capacité de conduire de grandes opérations coordonnées. Mais vu leur mobilité, ils peuvent encore mener des actions d’harcèlement contre les forces maliennes et les soldats français.
Evidemment, cette situation oblige les Français, premiers impliqués et premiers concernés dans cette guerre qu’ils ont déclenchée, à tout faire pour ne pas la voir s’éterniser. Il s’agit donc de rétablir la sécurité, mais pas à n’importe quel prix.
La France ne peut continuer indéfiniment à financer l’effort de guerre - d’autant plus que sa situation économique ne le lui permet pas- et veut poursuivre le retrait de ses troupes avec des garanties que le départ du dernier soldat français ne signifie pas un retour de la situation au Mali à la case «départ». La transition a déjà commencé avec le début du retrait des quelque 4 500 soldats français et le passage de relais aux contingents de la Misma, composée de 6 300 hommes.
Un millier de soldats français resteront toutefois au Mali au-delà de 2013, pour soutenir en cas de besoin les forces de l’ONU. Les forces tchadiennes de la force africaine (Misma) déployée en appui à l’armée française ont également entamé un retrait progressif des quelque 2 000 soldats du Mali où elles ont perdu 36 hommes.
L’après-guerre ne doit pas laisser place à un vide sécuritaire
Aussi, l’implication de tous les Etats et acteurs concernés est-elle continuellement réclamée. En visite au Tchad, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a exhorté les partenaires africains de la France à ne pas laisser un «vide sécuritaire» au Mali, où il a de nouveau appelé à la tenue de l’élection présidentielle dès juillet. «Puisque nous rentrons dans une nouvelle phase, la phase qui est presque après-guerre, il ne faut pas laisser le vide sécuritaire», a plaidé le ministre, Le Drian, de passage samedi à N’Djamena, dernière étape d’une brève tournée africaine après le Mali et le Niger. «La décision de l’ONU de mettre en œuvre des casques bleus nous a amené à évoquer ensemble [...] la manière dont le Tchad continuera à intervenir au Mali par le biais de cette force», a expliqué
M. le Drian, après avoir rencontré le président tchadien, Idriss Déby. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé la création d’une force de maintien de la paix de 12 600 Casques bleus, chargée de stabiliser le nord du Mali et censée prendre le relais de la Misma. Récemment, M. Déby avait indiqué qu’il était prêt à mettre des soldats tchadiens à disposition de l’ONU si elle en formulait la demande. Il est «logique que le Tchad assure des responsabilités», a estimé à ce propos le ministre français.
La question qui demeure est de savoir de quoi sont encore capables les groupes terroristes qui sont actifs dans d’autres régions. Ce qui se passe en Libye et en Tunisie donne une idée des connexions qu’ils ont établies et qui leur permettent «d’exporter» la violence là où on les attend le moins, c’est même la stratégie qu’ils ont toujours adopté et qui, malheureusement, leur a souvent réussi.
H. G.
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