MALI / FRANCE - Article publié le : jeudi 24 janvier 2013 - Dernière modification le : jeudi 24 janvier 2013
Marc Trévidic, juge au pôle antiterrorisme du Tribunal de grande instance de Paris.
RFI
Par Frédéric Rivière
L’intervention française au Mali entrera demain vendredi 25 janvier 2013 dans sa troisième semaine. Le président de la République et les ministres concernés ne parlent jamais de guerre contre des groupes islamistes ou jihadistes, mais contre des terroristes. Réalité ou simple précaution d’usage ? Eléments de réponse avec Marc Trévidic, juge antiterroriste français et auteur de «Terroristes, les 7 piliers de la déraison», aux éditions Jean-Claude Lattès. Propos recueillis par Frédéric Rivière.
Marc Trévidic : Parler de guerre contre des groupes islamistes ou jihadistes et pas contre des terroristes, reflète la difficulté qu’en France nous avons tous, et encore plus si c’est politique, d’aborder la question de l’islam radical. Parce que c’est une religion, bien entendu, et on a peur d’aller dans les sables mouvants, sur ce terrain-là. Donc on préfère la formule générique de terroriste plutôt que quelque chose un peu plus marqué, un peu plus difficile à expliquer que l’islamisme.
RFI : La France a-t-elle engagé une guerre contre le terrorisme ?
La guerre aussi est un terme qui fait un peu peur. Evidemment, quand c’est dans un pays étranger, avec une armée, on peut parler de guerre. On peut parler de lutte d’une manière générale, lutte judiciaire dans notre pays. C’est plutôt une lutte armée, une guerre dans les autres pays. En tous les cas au Mali ça ressemble fort à une guerre.
Suite à l’intervention militaire au Mali, quel est le danger pour la France d’être victime d’un attentat ?
Ces dernières années, ces groupes nous menaçaient déjà. Pas tous, mais il ne faut pas oublier que le chef d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) Abdelmalek Droukdel, disait après l’intervention pour tenter de libérer l’otage français Michel Germaneau que l’on avait « ouvert les portes de l’enfer ».
Désormais on a encore un peu plus d’ennemis, parce que les autres groupes ; Ansar Dine, Mujao, nous pointent du doigt. Il n’y a pas qu’Aqmi. Nécessairement le risque est plus élevé. Plus on combat un ennemi, plus l’ennemi a envie de répliquer et nous combattre. Donc ça, il ne faut pas se leurrer.
Maintenant, je n’ai pas vu poindre de groupe très constitué et très fort en France. C’est plutôt des microgroupes, des individus plus ou moins isolés. Donc, ce n’est pas tellement nouveau. Je pense que l’appel au jihad individuel, qui a été lancé récemment du côté du Mali, est la démonstration que ces gens-là ne peuvent pas organiser quelque chose de grande ampleur. Ils font appel aux vocations individuelles sur le territoire.
La menace contre la France vient de l’extérieur ou de l’intérieur du pays ?
Elle vient de l’intérieur. A partir du moment où les groupes font appel au jihad individuel, ça montre bien qu’ils ne peuvent pas s’exporter. Ils n’en ont pas les moyens.
Le jihad individuel, c’est par exemple Mohammed Merah ?
Oui, c’est faire appel à des vocations individuelles, en dehors de tout le réseau. C'est-à-dire « vous en France, là où vous êtes, soutenez-nous en leur faisant mal ». Alors évidemment, ça ne donne pas des attentats de grande ampleur mais c’est plus difficilement maîtrisable pour nous, parce que c’est plus dilué. Donc c’est à la fois plus difficile pour nous de détecter, mais d’un autre côté, si on est pris à défaut, les conséquences sont moins importantes que si le groupe est très fort.
C’est une des transformations du monde terroriste ou du monde jihadiste que vous expliquez dans votre livre. Il y a quelques années, les groupes étaient très structurés, constitués notamment autour d’al-Qaïda alors qu’aujourd’hui il y a un éclatement des groupes qui se font de la concurrence ?
Il n’y a plus de leadership, il n’y a plus al-Qaïda, il faut être clair. Avant il y avait quelque chose de très structuré, tout le monde allait au même endroit, était pris en charge par les mêmes personnes en zone pakistano-afghane. Il y avait un émir incontesté, c’était Oussama ben Laden, car il a fédéré des Asiatiques, des Européens, des Maghrébins, de gens du Moyen-Orient. Maintenant, ce n’est plus du tout comme ça.
Du coup on a plus de mal, à faire notre travail de détection, de prévention. D’un autre côté, on a quand même beaucoup moins de risques de tomber sur un 11-Septembre bis, sur quelque chose de cette envergure. Il faut voir les deux côtés. Il y a du positif et du négatif.
La prise d’otages en Algérie, par exemple, c’est une volonté de la part de Mokhtar Belmokhtar, de prouver qu’il est fort, qu’il est indispensable et qu’il faut le rejoindre ?
Clairement, sinon, je ne vois pas trop l’intérêt. Je ne voyais même pas l’intérêt pour Ansar Dine et le Mujao, les groupes maliens plus locaux, de se mettre à dos toute la communauté internationale, alors qu’ils ont déjà la France contre eux.
Par contre, pour Belmokhtar c’est dire : « Moi je suis Aqmi, historiquement c’est nous qui faisons le jihad dans la région. Ce n’est pas Mujao ou Ansar Dine. Et nous c’est jihad international, c’est tout l’Occident que l’on combat. On veut la charia, pas simplement au Mali, on la veut sur la terre entière ». C’est un message assez fort.
« Et regardez. Nous sommes capables de mourir. On nous dit qu’on est des trafiquants, eh bien vous allez voir, on est capables de mourir pour notre cause. Venez nous rejoindre parce qu’on est les vrais moudjahidines ». Je pense qu’il y a un problème de leadership dans la région.
Vous parlez d’une forme d’incohérence politique : au gré du vent, le même barbu est un héros contre Kadhafi puis un terroriste au Mali, dans un flou artistique assez considérable. Pour vous cela sème le trouble ?
C’est un constat historique. Depuis que Ronald Reagan a appelés les combattants afghans les moudjahidines, « les combattants de la liberté ». Il les a comparés aux résistants français, il les a accueillis à la Maison Blanche en 1984. Donc ce problème-là, il a été récurrent en Bosnie contre les Serbes, aujourd’hui en Syrie, on sait très bien qu’à côté des combattants laïques du régime de Bachar, il y a des islamistes, des vrais groupes islamistes. Mais pour l’instant, ils sont du bon côté, le notre, donc, on ne va pas utiliser le mot « terroriste ». Mais moi, je suis sûr, que dans un an ou deux ans, si les choses pourrissent, on commencera à utiliser le mot « terroriste ».
Il y a une certaine hypocrisie de notre part. Elle est claire, il y a des idées qu’il faut combattre mais on n’a jamais combattu l’extrémisme en Europe. On combat les terroristes, et à un moment donné c’est eux qui nous menacent. Mais si on combattait l’extrémisme on parlerait aussi de l’Arabie Saoudite, de certains pays, qui le propagent.
Vous expliquez aussi, dans votre livre, que « jusqu’à maintenant le jihad était arabe, et les candidats noirs traités avec un peu de mépris par les islamistes ». Avec le Mali, dites-vous, l’émergence d’un black jihad est à redouter. C’est un phénomène qui est en train de monter ?
J’ai commencé à travailler à l’anti-terrorisme en 2000. Depuis, tous les jihads ont été dirigés par des Saoudiens, des Jordaniens, des Maghrébins, enfin des Blancs concrètement. Il ne faut pas oublier que quand l’islam s’est propagé, les gens de couleur noire étaient enchaînés, étaient mis en esclavage par les Arabes. Tout ça c’est resté. C’est quelque chose d’important. Et il y a ce racisme qui existe. Maintenant, ils ont leur jihad à eux, avec des groupes qui sont blacks. A Mujao ou Ansar Dine, c’est le cas, contrairement à Aqmi ou les chefs sont des Algériens. Donc, il y a une certaine fierté pour les jeunes blacks islamisés de pouvoir montrer qu’ils n’ont plus besoin de ce leadership arabe pour faire le jihad.
Est-ce que vous enquêtez vous, actuellement, sur des filières maliennes ?
Oui, sur plusieurs filières mais je ne peux pas en parler dans le détail.
Est-ce que, aujourd’hui vous pensez que l’attitude de l’Algérie, notamment après la prise d’otages, est dénuée de toute ambiguïté ?
Je la trouve effectivement sans ambiguïté. Enfin, si on occulte la question des installations pétrolières et gazières sur lequel il y aura beaucoup à dire : comment ça se fait que c’est la première fois qu’Aqmi s’en prend à une installation de gaz dans la région, alors qu’à des kilomètres pipelines ? Sinon, le message est clair : « ça ne sert à rien de prendre les otages chez nous, parce que nous, de toutes façons, on n’est pas là à discuter, à essayer de sauver à tout prix la vie des otages ».
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