En 2011, la défaite du colonel Kadhafi,
suivie du retour au Mali avec armes et bagages des réfugiés touaregs de
sa «légion saharienne», a déstabilisé ce pays. Les Touaregs ont alors
décrété l’indépendance de l’Azawad, le Nord-Est du pays qui comprend
l’Adrar des Iforas et qui était investi depuis des années par les
islamistes et les narcotrafiquants de l’Aqmi. Ces événements résultent
autant d’un sous-développement chronique que d’une situation sociale et
politique faite de frustrations récurrentes. Ils tirent leur origine
lointaine de la rivalité qui opposa deux administrations coloniales
accrochées à la gloriole d’une domination territoriale mâtinée d’une
mise au pas des populations locales.
Le 16 avril 1904, le commandant Laperrine, qui venait de créer les compagnies sahariennes pour «faire observer l’ordre dans les oasis», arrivait au puits de Timiaouin, à quelque 500 km au sud-ouest de Tamanrasset en Algérie. Envoyé par l’administration française, il devait intégrer à l’Algérie l’Adrar des Iforas, une région montagneuse du sud peuplée de Touaregs. Il envisageait aussi de poursuivre sa route jusqu’à Tombouctou pour frapper l’esprit des nomades (et des puissances européennes) en montrant que la France contrôlait le Sahara jusqu’aux rives du Niger. Mais il n’était pas le seul à vouloir rallier le puits de Timiaouin. Mis au courant des intentions de Laperrine, le commandant du territoire du Niger, dépendant de l’administration du Soudan français installée à Dakar, avait dépêché en urgence un détachement commandé par le capitaine Théveniaut. Sa mission était d’interdire au militaire venu d’Algérie de pénétrer dans les Iforas et a fortiori de continuer jusqu’à Tombouctou, le gouverneur du Soudan estimant que ces régions relevaient de sa compétence. En effet, si les chambres de commerce d’Algérie s’accrochaient à l’idée d’un chemin de fer transsaharien Alger - Gao pour exporter les richesses du Soudan, le gouverneur de celui-ci privilégiait le port de Dakar. De plus, il tenait à assurer l’approvisionnement des populations de la savane en sel de Taoudeni (Nord-Mali) dont les caravanes passaient par Tombouctou.
En Afrique, l’armée française restait marquée par l’affaire de la colonne Voulet-Chanoine survenue cinq ans plus tôt au Niger. Dans leur marche forcée en direction du Tchad au prix de massacres et d’exactions, les deux capitaines avaient assassiné le colonel Klobb envoyé de Tombouctou pour arrêter la colonne infernale. Aussi, à Timiaouin, la rencontre entre Laperrine et Théveniaut, d’abord orageuse, n’alla pas plus loin. Le premier retourna à In Salah tandis que le détachement soudanais du second regagnait Tombouctou, emportant avec lui l’annexion de l’Adrar des Iforas à la colonie du Soudan.
Annexés au Soudan français, les Touaregs de l’Adrar des Iforas et de l’Aïr tombèrent sous le contrôle des «groupes nomades». Détachements surtout composés de Sahéliens pour qui les rezzous des nomades contre leurs villages étaient encore proches. Les rancunes accumulées par ces sédentaires chargés de surveiller les nomades s’en ressentirent tout au long de la colonisation.
Alors que l’indépendance s’annonçait, des notables touaregs du Soudan français faisaient connaître dans une pétition leur opposition à «être gouvernés par une majorité noire dont l’éthique, les intérêts et les aspirations ne sont pas les mêmes que les nôtres» [cité par Pierre Boilley, Nomades et commandants].
On sait qu’à l’indépendance, en 1960, l’Adrar des Iforas fut inclus dans la République du Mali, et l’Aïr dans celle du Niger. Peu après, dans les Iforas, un incident mineur dégénéra en une violente répression (massacres, viols, empoisonnement de puits). Une partie des Touaregs se réfugia à l’étranger, en particulier en Algérie et en Libye. La région fut ensuite victime des sécheresses à répétition des années 70 et 80.
Dans les années 90, alors qu’éclatait un soulèvement touareg dans le Niger voisin, c’est à une vraie révolte que les autorités maliennes durent faire face, les obligeant, à l’issue d’accords de paix (1996), à prendre en compte le sous-développement de la région. Mais, pour un pays pauvre comme le Mali, le résultat fut bien mince. Entre-temps, en Libye, la constitution par le colonel Kadhafi d’une «légion saharienne» constituée de jeunes Touaregs désœuvrés pour conquérir la bande d’Aozou (Tchad) servit d’embryon à la militarisation d’une partie des réfugiés.
Aujourd’hui, l’intervention de la France et celle d’une force africaine en soutien à l’armée malienne ne sauraient ignorer ce passé de répression et de sous-développement. Une fois écartés les groupes islamistes étrangers, le comportement des troupes venues des pays de savane comptera autant que les armes dans la recherche d’un règlement avec les nomades de la région, pour lesquels la complémentarité économique entre populations est la règle. Car, dans ce coude du Niger où Tombouctou et Gao, cités songhaï, doivent toute leur gloire à l’empire du même nom (XVe-XVIe siècle), les Touaregs ont été, tour à tour, des voisins redoutés ou protecteurs.
A paraître : «Histoire du Sahara et de ses conquérants».
http://www.liberation.fr/monde/2013/01/24/au-sahara-une-rivalite-entre-coloniaux-francais_876512
Le 16 avril 1904, le commandant Laperrine, qui venait de créer les compagnies sahariennes pour «faire observer l’ordre dans les oasis», arrivait au puits de Timiaouin, à quelque 500 km au sud-ouest de Tamanrasset en Algérie. Envoyé par l’administration française, il devait intégrer à l’Algérie l’Adrar des Iforas, une région montagneuse du sud peuplée de Touaregs. Il envisageait aussi de poursuivre sa route jusqu’à Tombouctou pour frapper l’esprit des nomades (et des puissances européennes) en montrant que la France contrôlait le Sahara jusqu’aux rives du Niger. Mais il n’était pas le seul à vouloir rallier le puits de Timiaouin. Mis au courant des intentions de Laperrine, le commandant du territoire du Niger, dépendant de l’administration du Soudan français installée à Dakar, avait dépêché en urgence un détachement commandé par le capitaine Théveniaut. Sa mission était d’interdire au militaire venu d’Algérie de pénétrer dans les Iforas et a fortiori de continuer jusqu’à Tombouctou, le gouverneur du Soudan estimant que ces régions relevaient de sa compétence. En effet, si les chambres de commerce d’Algérie s’accrochaient à l’idée d’un chemin de fer transsaharien Alger - Gao pour exporter les richesses du Soudan, le gouverneur de celui-ci privilégiait le port de Dakar. De plus, il tenait à assurer l’approvisionnement des populations de la savane en sel de Taoudeni (Nord-Mali) dont les caravanes passaient par Tombouctou.
En Afrique, l’armée française restait marquée par l’affaire de la colonne Voulet-Chanoine survenue cinq ans plus tôt au Niger. Dans leur marche forcée en direction du Tchad au prix de massacres et d’exactions, les deux capitaines avaient assassiné le colonel Klobb envoyé de Tombouctou pour arrêter la colonne infernale. Aussi, à Timiaouin, la rencontre entre Laperrine et Théveniaut, d’abord orageuse, n’alla pas plus loin. Le premier retourna à In Salah tandis que le détachement soudanais du second regagnait Tombouctou, emportant avec lui l’annexion de l’Adrar des Iforas à la colonie du Soudan.
Annexés au Soudan français, les Touaregs de l’Adrar des Iforas et de l’Aïr tombèrent sous le contrôle des «groupes nomades». Détachements surtout composés de Sahéliens pour qui les rezzous des nomades contre leurs villages étaient encore proches. Les rancunes accumulées par ces sédentaires chargés de surveiller les nomades s’en ressentirent tout au long de la colonisation.
Alors que l’indépendance s’annonçait, des notables touaregs du Soudan français faisaient connaître dans une pétition leur opposition à «être gouvernés par une majorité noire dont l’éthique, les intérêts et les aspirations ne sont pas les mêmes que les nôtres» [cité par Pierre Boilley, Nomades et commandants].
On sait qu’à l’indépendance, en 1960, l’Adrar des Iforas fut inclus dans la République du Mali, et l’Aïr dans celle du Niger. Peu après, dans les Iforas, un incident mineur dégénéra en une violente répression (massacres, viols, empoisonnement de puits). Une partie des Touaregs se réfugia à l’étranger, en particulier en Algérie et en Libye. La région fut ensuite victime des sécheresses à répétition des années 70 et 80.
Dans les années 90, alors qu’éclatait un soulèvement touareg dans le Niger voisin, c’est à une vraie révolte que les autorités maliennes durent faire face, les obligeant, à l’issue d’accords de paix (1996), à prendre en compte le sous-développement de la région. Mais, pour un pays pauvre comme le Mali, le résultat fut bien mince. Entre-temps, en Libye, la constitution par le colonel Kadhafi d’une «légion saharienne» constituée de jeunes Touaregs désœuvrés pour conquérir la bande d’Aozou (Tchad) servit d’embryon à la militarisation d’une partie des réfugiés.
Aujourd’hui, l’intervention de la France et celle d’une force africaine en soutien à l’armée malienne ne sauraient ignorer ce passé de répression et de sous-développement. Une fois écartés les groupes islamistes étrangers, le comportement des troupes venues des pays de savane comptera autant que les armes dans la recherche d’un règlement avec les nomades de la région, pour lesquels la complémentarité économique entre populations est la règle. Car, dans ce coude du Niger où Tombouctou et Gao, cités songhaï, doivent toute leur gloire à l’empire du même nom (XVe-XVIe siècle), les Touaregs ont été, tour à tour, des voisins redoutés ou protecteurs.
A paraître : «Histoire du Sahara et de ses conquérants».
http://www.liberation.fr/monde/2013/01/24/au-sahara-une-rivalite-entre-coloniaux-francais_876512
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