jeudi 31 janvier 2013

Human rights watch: “Il faut une force internationale pour protéger les civils au Mali”



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Pour Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch, la France doit défendre le droit humanitaire international au-delà de l’intervention militaire.

Youphil.com: vous dénoncez différents types d’exactions au Mali de la part de l'armée malienne et des islamistes (violences, exécutions sommaires, utilisation d’enfants soldats). Avez-vous des chiffres sur ces crimes?

Jean-Marie Fardeau: Nous savons qu’il y avait quelques centaines d’enfants soldats avant le début de l’opération militaire française [le 11 janvier 2013]. Où sont-ils aujourd’hui? Nous ne le savons pas.
On recense des morts civils, au compte-goutte. Lors de la prise de Konnapar les islamistes juste avant l’arrivée des troupes françaises, dix civils ont péri dans les affrontements. La FIDH et un reportage de l’Expressont confirmé onze morts à Sévaré et deux autres plus à l’ouest, à Niono; des Touaregs et des Arabes exécutés par l’armée malienne.
Beaucoup d’Arabes, de Touaregs et de Maures ont fui. En revanche, nous n’avons aucune indication pour les villes de Gao et Tombouctou, pour l’instant.

Peut-on craindre un “nettoyage ethnique” des populations du Nord par l’armée malienne provenant majoritairement du Sud, une fois l’opération militaire internationale terminée?

Oui, c’est possible. Des milices à Sévaré (Ganda-izo) ont transmis des listes de gens pouvant être la cible de représailles à l’armée malienne. Ce sont des milices très violentes qui ont sévi dans les années 90. On ne sait pas ce que l’armée va faire de ces listes. C’est pour cela qu’il est très important qu’une force internationale soit présente aussi pour protéger les civils en attendant que l’Etat malien en soit capable.

Justement, vous demandez à la France de prendre des distances avec certains membres de l'armée malienne (les officiers ayant participé au coup d’Etat de mars 2012)...

Oui. Selon le discours officiel, la France marginalise les officiers putschistes. Ces derniers ne combattraient pas et le capitaine putschiste Sanoga resterait sur la base de Kati. Nous avons besoin d’observateurs de l’ONU afin de vérifier tout cela.

Vous demandez la protection des civils, et en particulier des enfants. Que peut faire la France pour les protéger?

La France est fière et engagée sur le terrain militaire, mais devrait mettre en oeuvre rapidement la résolution 2085 qui vise à garantir le droit humanitaire international et protéger les civils. D’autant plus qu’elle l'a beaucoup défendue devant l'ONU.
Par exemple, nous demandons la mise en place d'une ligne rouge disponible 24h/24 pour que les civils puissent appeler à l’aide ou signaler des violences; l’envoi d’observateurs des droits de l’Homme; le déploiement de juristes militaires et une coopération pleine avecl’enquête de la Cour pénale internationale. Pour l’instant, la France ne met la priorité que sur l’action militaire.
Pour protéger les enfants, il faut commencer par donner les moyens pour le faire: seule une petite part de l’argent nécessaire pour la prise en charge et les soins des enfants est disponible pour l’instant.

Selon vos sources, certaines bases militaires islamistes accueillent des enfants soldats. La France doit-elle éviter de bombarder ces bases pour les protéger?

C’est très compliqué au niveau du droit. Si la cible est légitime et que l’on n’a pas connaissance de la présence d’enfants soldats, ce n’est pas un crime de guerre. Si l’on sait qu’il y a de nombreux enfants soldats, on ne doit pas tirer, en théorie.
Le ministère de la Défense indique que plusieurs cibles n’ont pas été frappées par craintes de pertes civils. En tout cas, la question précise des enfants soldats n’a pas été évoquée par l’armée française. Elle est assez démunie face à ce problème. De notre côté, nous allons enquêter sur des éventuels crimes de guerre.

Que demanderiez-vous à François Hollande sur le dossier des droits de l’Homme au Mali?

Je lui demanderai un plan: qu’allez-vous faire dans les semaines et les mois à venir pour protéger les populations maliennes, au nord et au sud, en dehors de l’intervention militaire? Quel est le plan au niveau européen et onusien?

Après la réalisation de cet entretien, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé, le 29 janvier, qu'il était favorable à "l'envoi rapide" d'observateurs internationaux au Mali."Pour répondre aux risques d'exactions, nos forces ont reçu pour consigne de se montrer d'une extrême vigilance", a-t-il déclaré.

Crédit photo: nilsrinaldi/Flickr
http://www.youphil.com/fr/article/06169-human-rights-watch-mali-france-islamistes-touaregs-crimes-de-guerre?ypcli=ano

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