reportage
Lerneb, nord du Mali
de notre envoyé spécial
En temps normal, c’est un chapelet de villages pleins de vie qui orne cette partie de la piste sablonneuse qui slalome de la frontière mauritanienne à Tombouctou. Il y a peu, Hassi Fadili, Lekhchem, Bir Salam, Lerneb, grouillaient de monde. Et les jours de marché hebdomadaire, ces petits amas de tentes en laine de dromadaires et de cubes en banco, accueillaient des centaines de visiteurs. Des milliers parfois pour Lerneb, le plus gros village des environs. Mais en ces temps de bruits de poudre dans le Nord-Mali, lundi dernier, jour de foire à Lerneb, ce bourg comme les autres, avait des allures de village-fantôme.
Nulle trace de vie dans les parages, si ce n’est ces trois épiciers et ce vendeur de carburant restés seuls au milieu du marché désert. Sinon ces immenses convois de pick-up japonais surchargés de voyageurs qui roulent à la vitesse de l’éclair en direction de la Mauritanie, 120 kilomètres plus loin.
Selon le commissaire de police de Fassala, le poste-frontière mauritanien où se font recenser les réfugiés maliens, tous les jours entre 500 et 1.500 Maliens traversent la frontière entre les deux pays. A ce jour, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime le nombre de Maliens ayant rejoint la Mauritanie fuyant la guerre à plus de 55.000 personnes. Tous ou presque sont Arabes ou Touaregs.
« Les gens partent se mettre à l’abri. Ils ont peur des Noirs et de l’armée malienne. A chaque fois qu’il y a une rébellion dans la région, les Maliens s’en prennent aux civils. Dans les années 1990, on massacrait nos familles et on brûlait nos campements parce qu’on nous prenait tous pour des rebelles. Aujourd’hui qu’ils ont affaire à des groupes islamistes, les Noirs nous prennent pour des djihadistes. Pourtant, la majorité des Arabes et des Touaregs ne sont que de simples citoyens. Moi j’attends juste la voiture qui est partie conduire ma famille pour prendre ce qui me reste comme marchandise et partir moi aussi », explique Taleb un épicier de Lerneb, devant des étagères presque vides.
« Moi, aussi, j’attends une voiture », dit Moussa le « pompiste », vidant ses derniers bidons dans le réservoir d’un véhicule venant des environs de Tombouctou. C’est celui de Mohamed, un transporteur touareg qui depuis le début de l’offensive militaire franco-malienne ne cesse de faire la navette entre la Mauritanie et le Sahara malien.
« Toutes les familles ont quitté les villes. Tombouctou, Goundam, Léré ne comptent plus aucun habitant arabe ou touareg. Les seuls qui pourraient encore y être se cachent dans leurs maisons », assure le chauffeur.
Parti la veille des environs de la cité historique du Mali du nord, Mohamed a mis plus de quinze heures pour rallier Lerneb, « sans arrêts », selon ses propres mots. « J’aurais pu faire moins en prenant la route principale mais j’avais peur des Noirs. La population ne nous aime pas et l’armée malienne se dirigeait vers les environs de Tombouctou. J’ai donc pris un chemin détourné pour l’éviter, sinon on risquait de subir ce que les gens ont vécu à Sevaré et Mopti », dit le conducteur, en allusion aux exactions et meurtres dont auraient été victimes, selon des ONG internationales des droits de l’homme, des personnes issues de communautés très présentes au sein des groupes islamistes.
En vingt ans de transport, Mohamed n’a jamais fait autant de route. « Le plus dur, ce n’est pas de rouler tout le temps, c’est de voir autant de pauvres gens apeurés », se lamente le transporteur, montrant les sièges arrière de la cabine de son véhicule. Une jeune femme touarègue y est affalée. Paupières closes, larmes sur les joues et bouche pleine de bave, elle ne cesse de donner des coups de pied à la portière que le conducteur semble avoir bloquée. « Son mari était un militaire malien, mais dès le début du conflit l’année dernière, ses collègues l’ont assassiné. Depuis, elle ne mange presque plus et maintenant qu’il ne lui reste plus que son fils elle a eu tellement peur qu’il soit tué à son tour, qu’elle a complètement perdu la tête », chuchote-t-il.