Sarah Halifa-Legrand-Nouvel Observateur 23-01-2013 Mis à jour à 18h27
L’armée malienne se serait rendue coupable d’exactions dans les villes reconquises. Le risque était prévisible.
On ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenu. Des soldats maliens se seraient rendus coupables d’exactions, notamment d’exécutions sommaires, dans les villes reprises aux djihadistes, d’après plusieurs témoignages dont la presse et des ONG (HRW, FIDH) se sont fait l’écho.
Représailles, chasse à l’homme, conflit ethnique… « C’est exactement ce que l’on craignait : on n’a pas cessé d’avertir sur les risques humanitaires d’un afflux de réfugiés et les dangers d’un nettoyage ethnique. La situation va être difficile à gérer maintenant », s’agace un diplomate occidental à Bamako. « La France a bousculé le calendrier, du coup de nombreux aspects ne sont toujours pas au point : le concept opérationnel, la formation de l’armée malienne, la préparation des troupes africaines de la MISMA et la protection des civils. Tout cela reste d’actualité alors qu’on est désormais dans l’urgence », conclut-il.
Un soldat malien à un check-point à l’entrée du bourg de Diabaly (Jerome Delay/AP/SIPA)
Les avertissements de l’Onu
Le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon, le premier, l’a martelé à chaque rendez-vous sur le Mali depuis juillet dernier. Dans un rapport adressé au Conseil de sécurité de l’Onu fin novembre, il avait fait part de ses préoccupations en des termes alarmistes : « Si une intervention militaire dans le Nord n’est pas bien conçue et exécutée, elle pourrait aggraver une situation humanitaire déjà extrêmement fragile et entraîner également de graves violations des droits de l’homme ». Elle pourrait aussi, s’inquiétait-il, « ruiner toute chance d’une solution politique négociée à la crise ».
Rencontrée en septembre dernier, une élue du Nord avertissait déjà, pleine de hargne : « Les Noirs se vengeront des Blancs, de ces Touaregs et de ces Arabes par qui le mal est arrivé. Ils se vengeront des Touaregs indépendantistes du MNLA qui nous ont causé tous ces problèmes en amenant les djihadistes avec eux et de tous ceux qui se sont alliés aux islamistes étrangers ».
Le risque de représailles est d’autant plus fort que les ressentiments liés à ce conflit viennent s’ajouter à ceux du passé, jamais digérés. Car le Nord a déjà été le théâtre de violences intercommunautaires et raciales. Dans les années 90, des milices pro-gouvernementales avaient massacré des dizaines de civils à la « peau claire », touaregs et arabes.
A Paris, on est depuis longtemps conscient du danger. « Il est indispensable de ne pas avoir une vision uniquement sécuritaire, il y a un travail politique substantiel à faire avant une intervention », jugeait en octobre un connaisseur du dossier. « Il ne faut pas que l’armée malienne aille au Nord pour bouffer du Touareg », avait-il crûment ajouté.
Une nécessaire « police »
Et pourtant. « Les Français y sont allés franco, sans se retourner, avec pour seul discours apparent ‘la guerre contre les terroristes’ », remarque Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à l’université d’East Anglia. « Mais, poursuit-il, au Sud et surtout au Nord, les lignes de fractures exacerbées par la guerre sont telles qu’en dehors du combat strictement militaire contre ceux qui ont voulu prendre Sevare, il faudrait idéalement pouvoir compter sur un travail de police susceptible de prévenir des règlements de comptes d’ordre parfois privé. Or, pour être efficace, ce travail de police requiert la confiance des populations locales et exige de ne pas les ériger en ennemies ayant nécessairement collaboré avec ‘l’occupant’. »
La dernière résolution des Nations unies, la 2085 du 20 décembre qui autorisait, sous conditions, le déploiement d’une force internationale au Mali, prévoyait justement que l’Onu envoie sur place des observateurs « pour surveiller le respect du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme dans le cadre des opérations militaires menées dans le nord du Mali ».
Bamako pointé du doigt
La France sait que de telles exactions entacheraient nécessairement son intervention et pourraient dangereusement éroder le soutien dont elle bénéficie depuis qu’elle a lancé son opération le 11 janvier. Mais « on n’a pas de confirmation d’exaction », rétorque un diplomate français, sur la défensive.
Le ministre de La Défense Jean-Yves Le Drian, reconnaît cependant qu’ »il y a des risques ». Mais il renvoie, non sans raison, la responsabilité à Bamako : « Il faut être extrêmement vigilant et le président de la République (François Hollande) compte sur le sens des responsabilités des cadres de l’armée malienne pour éviter toute exaction ». A Paris, on convient néanmoins que « notre intervention militaire nous responsabilise sur l’ensemble du dossier malien, sur les questions de sécurité mais aussi sur les questions politico-développement ».
http://tempsreel.nouvelobs.com/guerre-au-mali/20130123.OBS6349/exactions-au-mali-c-est-exactement-ce-que-l-on-craignait.html
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