Touaregs du Mali : une rébellion inédite
Née après l’indépendance de maladresses politiques et policières, la rébellion touarègue s’est nourrie de frustrations économiques pour ressurgir régulièrement dans l’histoire récente du Mali. Jamais durablement écrasée, elle a à de multiples reprises été contenue par la négociation. Cette fois, pourtant, ses moyens militaires ont changé et ses ambitions se sont nettement rehaussées: désormais, l’indépendance.Entretien avec Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des mondes africains (CEMAF).
Des moyens et des buts de guerre nouveaux
16.03.2012
Propos recueillis par Pascal Priestley
La rébellion touarègue semble être devenue récurrente. Quelles sont ses racines historiques?
Le colonisateur a administré cette région de façon indirecte et peu investi, comme plus au Sud, dans la scolarisation et le développement. Ces régions étaient considérées comme peu utile. À l’indépendance, une centaine de Touaregs de l’Adagh étaient passé par l’école, au niveau du certificat d’études. Très peu de gens avaient participé aux luttes anticoloniales et d’indépendance. Il y avait donc une situation d’isolat, de marginalisation qui était déjà réelle à l’époque coloniale. La méconnaissance entre le Nord et le Sud était assez forte. Lors de l’indépendance du Mali en 1960, les Touaregs sont quasi-absents de l’administration. La politique socialiste de Modibo Keita a été très mal comprise par les Touaregs qui n’ont pas non plus très bien réalisé pourquoi les Français partaient. Là-dessus, il y a eu des incidents liés à l’incompréhension de certaines réformes et aussi de la part des classes dominantes dont beaucoup comprenaient mal la volonté de « déféodalisation » de la région. Mais il n’y avait pas de destin ni d’idéologie rebelle.
Il y a donc eu des maladresses ?
Vers 1962, se produit un incident tout bête : deux jeunes ont volé des armes et des chameaux à des goumiers de l’armée malienne. Cela a tout de suite été pris comme une étincelle de révolte. L’armée malienne a réprimé de façon disproportionnée cette « rébellion » qui ne concernait pourtant guère plus de deux ou trois cents personnes armée de vieux fusils.
Cet évènement a laissé des traces durables des deux côtés. Du côté malien parce qu’il y a eu par la suite une méfiance terrible vis-à-vis de ces gens « turbulents » qui pouvaient se révolter, d’où une chape de plomb et un contrôle militaire et policier assez fort jusqu’à l’éclatement de la seconde rébellion dans les années 90 et, du côté touareg, un grand ressentiment parce que beaucoup des leurs avaient été tués. On peut dire qu’a existé alors de part et d’autre certaines formes de racisme.
Sur fond de catastrophes climatiques…
Le nord du pays, de nouveau très isolé, où les gens n’avaient pas été vraiment intégrés à la vie politique ni aux différentes formes de l’État s’est ensuite trouvé confronté à deux séries de graves sècheresses dans les années 70 et 80. Beaucoup de jeunes sont partis là où l’on pouvait encore trouver du travail, en Algérie et surtout en Libye, qui à l’époque accueillait tout le monde à bras ouverts. Parmi ceux qui sont partis à pied à travers le désert pour trouver du travail, un certain nombre ont fini par se voir proposer des places dans l’armée libyenne pour former des soldats qui allaient être employés à l’extérieur, au Tchad ou même jusqu’à Beyrouth. En même temps, les camps militaires ont servi de lieux de discussion et d’organisation du mouvement politique touareg. Cela a été une époque assez curieuse car ce mouvement a fait se rencontrer des Touaregs venus de toutes les régions et c’est peut-être le seul moment où l’on peut parler de sentiment politique pan-touareg.
C’est ainsi que murit la seconde rébellion…
Dans les années 90 nait une nouvelle rébellion au Mali, suivie très vite par un soulèvement des Touaregs nigériens. Mais quand on regarde toutes les revendications de cette époque, il y avait une demande d’autonomie interne, mais il s’agissait sinon – surtout au Mali – de revendications « intégratrices », pour des routes, des écoles, une intégration à l’armée, aux douanes. .. On n’avait pas du tout à l’époque – même si, bien sûr, on certains y pensaient – de revendication d’indépendance. C’est une grande différence d’avec maintenant.Cette rébellion s’est conclue dans un premier temps en 1996 à Tombouctou, lors de la cérémonie de la « flamme de la paix ». Les mouvements se sont dissous et ont rendu leurs armes, brulées dans des grands feux de joie ; il en reste un monument. Plus de trois mille combattants ont été intégrés dans la police, dans diverses administrations et envoyés un peu partout au Mali, ce qu’ils ont accepté. J’ai senti à l’époque, que le Nord et le Sud se rapprochaient.Les Touaregs jouaient le jeu. On était assez optimiste, même si les choses n’avançaient pas vite, notamment le développement.
D’autre part, le fameux statut particulier espéré a été remplacé par une « décentralisation » étendue à tout le Mali. Malgré tout, les populations du Nord ont pu reprendre d’avantage en main leur destin et les choses semblaient s’améliorer. Malheureusement, les investissements ont été faibles et le Nord-Mali est resté un énorme bassin de chômage, sans routes etc… Il y a donc eu une période où les gens ont commencé à déchanter. Là-dessus est arrivée AQMI – en même temps que le trafic de drogue à grande échelle – et les gens du Nord se sont sentis floués parce que, d’une part, ils n’avaient pas tout ce qui avait été promis, le développement tardait et l’insécurité, avec AQMI, augmentait. Et, comme on sait, le Mali n’a pas été très brillant dans sa lutte contre AQMI. Après cette rébellion, il y a eu deux petites répliques qui n’ont pas été très importantes mais qui ont agacé le Sud. Il s’agissait souvent de gens qui avaient intégré l’armée et la désertaient. Cela a été d’autant plus mal perçu qu’une forme d’insécurité permanente en découlait.
Et pourtant, on parvient à un accord …
En 2006 sont conclus les accords d’Alger. Ils reprennent en grande partie le Pacte national qui n’avait pas été complètement appliqué. On avait aussi l’impression d’une sorte de modus vivendi entre l’Etat malien et AQMI sur fond de trafic de drogue, auquel ont participé, parmi d’autres, des jeunes Touaregs. On convoyait un 4 X 4 de drogue à travers le frontière algérienne et on gagnait beaucoup d’argent en peu de temps. Tout cela constituait un contexte assez trouble et un certain nombre de courants issus de rébellions des années 2000 se sont alors fondus dans le MNLA (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad) qui est aussi l’expression d’une jeune génération différente de celle de 90, peu sensible aux progrès accomplis.
Le dernier élément, c’est celui, bien sûr du retour de Touaregs de Libye, où ils étaient soit dans l’armée régulière, soit, moins nombreux, dans le CNT, qui ont gardé les armes qu’on leur avait données ou qui étaient à prendre dans les entrepôts ouverts pendant la révolution et qui sont revenus soit au Mali soit au Niger. Le Niger a réussi à bloquer tout le monde mais le président malien Amadou Toumani Touré, une fois encore, – par pacifisme ou incapacité ? – n’a pas réussi à les désarmer et a laissé ces combattants avec des armements considérables – y compris des armes lourdes de type orgues de Staline -. Le MNLA n’attendait que cela et s’est constitué une branche armée.
Qu’est-ce qui vous frappe, dans la rébellion actuelle ?
Il y a deux grandes nouveauté : la revendication nouvelle d’indépendance et le fait qu’on ne se trouve plus avec des gens qui se battent avec des kalachnikovs dans une tactique de guérilla mais avec une stratégie militaire complètement différente, où l’on attaque carrément des villes à l’arme lourde et l’on s’affronte de plein fouet à l’armée malienne. On n’est plus du tout dans les mêmes situations qu’en 90.
Cela n’effraye-t-il pas la base touarègue traditionnelle ?
Je note que l’armée malienne ne retombe pas dans ses erreurs passées et n’est pas en train de massacrer la population. Les gens fuient les combats mais pas forcément l’armée malienne. Mais, en effet, je ne suis pas du tout sûr du soutien de la majorité des populations touarègues au MNLA. Je pense que beaucoup de gens en ont assez de ces combats, de l’AQMI et aimeraient simplement retrouver la paix. Il est vrai que le MNLA ne se lancerait pas comme cela sans base sociale mais je doute qu’elle soit ultra-majoritaire.
Finalement, est-on dans un conflit traditionnel ou de nature nouvelle ?
Les deux. On est toujours face à ce fort sentiment de marginalisation régional, partagé par la population et inversement un agacement récurrent des populations du Sud à l’égard des Touaregs prétendument favorisés, d’autant que nous nous trouvons dans un État démocratique, où prendre les armes dans un État de droit – ou presque – est quand même une solution extrême. En outre, dans les années 90, il y avait encore le « mythe touareg », un certain romantisme. Aucune association ne s’est cette fois créée, en France, notamment, pour soutenir les Touaregs ; il n’y a pas beaucoup de soutien dans la classe politique ou la presse européenne, hormis les mouvement berbéristes.
On est frappé par l’ampleur des exodes de populations civiles.
Mais en 1990, les réfugiés se comptaient aussi par centaines de milliers. Les gens fuient les combats et ce d’autant plus qu’il y a, cette fois de vrais combats à l’arme lourde avec interventions de l’aviation. Il y a aussi la peur de la répression. Les Touaregs fuient Bamako car ils ne savent pas très bien comment les choses peuvent tourner. Il faut ajouter que l’on se trouve dans une situation alimentaire mauvaise. Tout cela fait que certains essayent de se protéger.
Quelle issue ? On parle de conférence internationale…
On ne voit pas très bien ce qui peut se passer. Le MNLA, pour l’instant, rencontre des succès. Il reste ferme sur ses positions de départ qui est de négocier uniquement sur la base de l’auto-détermination ce qui est inacceptable pour le Mali. On ne voit donc pas vraiment ce qui peut déclencher des pourparlers. Si le MNLA subit des revers important, cela peut l’amener à la négociation. Il est aussi possible qu’il fasse monter les enchères pour obtenir une autonomie plus importante qu’avant à l’intérieur du Mali mais pour l’instant, le mouvement reste très radical.
Que recouvre l’ « Azawad » ?
Le terme n’est pas très géographique. C’est au départ une région au nord de Tombouctou. Aujourd’hui, le nom a été repris pour désigner l’ensemble du Nord-Mali, ce qui fait près de 800 000 km². C’est un espace très vaste, donc, mais au ressources très limitées : un peu d’agriculture, de l’élevage, du tourisme potentiel si la paix revient, du pétrole potentiel mais on ne l’a pas encore trouvé, de l’uranium potentiel mais on ne sait pas où il est. La question de la viabilité du « pays » se pose donc. « Eux » affirment qu’il l’est, ajoutant qu’ils ont l’habitude de la marginalité. Pour ma part, je pense que cela peut être aussi une posture pour avoir plus en demandant plus.
Quelle est la force de frappe du MNLA ?
Je dirai entre 1000 et 1500 combattants. La direction du mouvement est assez jeune. On a souvent évoqué la collusion du mouvement avec AQMI et le Mali, c’est de bonne guerre, cela entretient la confusion. Une forme d’association a apparemment existé à Aguelhoc [où a eu lieu en janvier dernier une attaque meurtrière pour les militaires maliens NDLR] mais reste, à mon avis assez ponctuelle : un des chefs de la rébellion de 1990, Iyad Ag Ghali est devenu ces dernières années un Salafiste – non violent – qui sans rejoindre AQMI a servi d’intermédiaire pour les otages. Il a monté récemment un petit groupe de militants qui se positionne non comme proche d’AQMI mais cependant suivant cependant un Islam rigoriste [dans un communiqué publié dimanche 18 mars 2012, il appelle à la lutte armée pour l'instauration d'une république islamique, ndlr]. Mais je suis formel: il n’y a pas de conjonction entre le MLNA et AQMI, plutôt gênée par cette rébellion touarègue qui occupe la place. Et il y a même de fortes chances pour qu’un jour ou l’autre, le MNLA tombe sur AQMI.
Source: tv5.org – 16/03/2012
Autre Presse du 21 mars 2012
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