TESHUMAR.BE est dedié à la CULTURE du peuple touareg? de ses voisins, et du monde. Ce blog, donne un aperçu de l actualité Sahelo-Saharienne. Photo : Avec Jeremie Reichenbach lors du Tournage du film documentaire : « Les guitares de la résistance Touaregue », à la mythique montée de SALUT-HAW-HAW, dans le Tassili n’Ajjer-Djanet- Algérie. 2004. Photo de Céline Pagny-Ghemari. – à Welcome To Tassili N'ajjer.
lundi 21 janvier 2013
ROBERT FOWLER, OTAGE D’AQMI PENDANT QUATRE MOIS. “DIFFICILE DE NE PAS DEVENIR FOU”
CTU-MATCH | DIMANCHE 20 JANVIER 2013
De dr. à g., pendant leur séquestration, Louis Guay, diplomate et collègue de Fowler (au centre) et leur chauffeur Soumana, employé par l’Onu, qui sera le premier libéré. | Photo DR
Paru dans Match
Pour l'ex-otage canadien d'Aqmi, la France a eu raison d'intervenir.
De notre envoyé spécial Alfred de Montesquiou - Paris Match Réagissez !
Dehors, un mètre de neige recouvre le jardin, le soleil brille par la fenêtre dans ce grand cottage cossu, classé monument historique, où Robert Fowler réside avec sa femme. Les beaux tableaux s’alignent au mur, entre les rangées de livres soigneusement classés. Mais Fowler n’a d’yeux que pour son iPad, comme médusé par la voix qui s’exprime, tout droit sortie du Sahara. « Les moudjahidine sont prêts à l’offensive à n’importe quel moment », s’emporte Oumar Ould Hamaha sur la vidéo. « On est prêts à combattre la France, les Etats-Unis, tous les pays de l’Otan », assène encore le porte-parole du Mujao, une excroissance d’Al-Qaïda qu’affronte à présent l’aviation française au Mali. « Et dès qu’on aura conquis la France, continue-t-il, on ira aux Etats-Unis, à Londres... On va conquérir le monde entier : le drapeau d’Allah sera dressé depuis le lever jusqu’au coucher du soleil ! » Robert Fowler ricane, imite les paroles et mimiques du djihadiste, semble ne jamais se lasser de rejouer ses diatribes. « C’était comme ça, jour après jour », explique-t-il en secouant la tête. Car Fowler n’a pas attendu l’offensive française au Mali pour éprouver les dangers d’Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Oumar Ould Hamaha (à g.), l’ancien geôlier de Robert Fowler, devenu depuis un des leaders du Mujao. Mokhtar Belmokhtar (à dr.), l’« émir » d’Aqmi. La filiale d’Al-Qaïda détient sept otages français dans le Sahara. Photo DR
Otage d’Aqmi pendant cent trente jours, il a été enlevé par Oumar Ould Hamaha en personne, et le militant est resté son principal geôlier pendant toute sa captivité. Ancien haut fonctionnaire, ambassadeur et vice-ministre de la Défense du Canada, Robert Fowler était au Niger comme envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu quand les hommes d’Aqmi l’ont enlevé avec son collègue canadien Louis Guay. Passés à tabac, les deux hommes et leur chauffeur sont entassés dans un 4 x 4 qui fonce dans le désert. Les militants leur feront parcourir plus de 1 500 kilomètres à travers les dunes, avant de les cacher dans une série de camps que contrôle Aqmi dans le nord du Mali. « Le plus exaspérant, c’était quand ils nous disaient : “Rendez-vous compte de la chance que vous avez, il y a des touristes qui paieraient une fortune pour un safari pareil” », se souvient Fowler. Les deux captifs partageront pendant quatre mois le quotidien des militants qui vivent à la belle étoile, par des nuits glaciales et des journées où la chaleur frise les 45 °C. Une trentaine de combattants se relaieront pour garder les otages. Le plus jeune a 11 ans, une dizaine sont des adolescents turbulents – peut-être de futurs candidats aux attentats-suicides, pense Fowler – dont le plus petit est si court sur pattes que sa kalachnikov traîne sur le sol, à ses côtés, quand il marche. Fowler remarque que beaucoup sont issus d’Afrique noire, mais que tous les chefs sont clairs de peau et viennent d’Algérie. Une poignée d’entre eux parle français ; il y a aussi l’anglophone Obeida, venu du Nigeria.
Fowler pense que « c’était certainement un agent de liaison avec Boko Haram », le groupe terroriste qui sévit dans le pays. Certains sont très hostiles envers les otages « kafirs », les infidèles. Oumar, lui, est plutôt bienveillant, il passe des heures avec les Canadiens. « Il cherchait constamment à nous convertir, c’était son idée fixe pour gagner le paradis », se souvient Fowler. Un des autres « cadres » du camp est, justement, un converti. Hassan est venu d’Europe, probablement de France ou de Belgique, suspecte Fowler. « Dès le début il m’a dit : “J’aimerais bien vous découper en morceaux mais, hélas, le chef ne veut pas.” » Ce chef, à qui Fowler et Guay doivent paradoxalement la vie, c’est Mokhtar Belmokhtar, un des commandants les plus redoutés d’Al-Qaïda dans le Sahara. Vétéran du djihad en Afghanistan, où il a perdu un oeil, le « cheikh borgne » a quitté l’Algérie voilà une décennie pour mener ses combats au Sahel. Trafiquant notoire, il s’est tellement tourné vers la contrebande que certains analystes des services de renseignement le surnomment « M. Marlboro » et le suspectent d’être surtout un redoutable bandit de grand chemin. « Je pense que c’est une erreur de le sous-estimer, affirme Fowler, qui a longuement palabré avec lui et l’a observé à de nombreuses reprises, dans les différents camps qu’il a traversés. Belmokhtar est froid, calculateur et d’une volonté d’acier. Il m’a paru très pieux et il avait un ascendant absolu sur ses hommes. » Rapidement, Belmokhtar s’est aperçu que Fowler (64 ans à l’époque) et son compagnon de captivité n’allaient pas supporter l’épreuve sans soins adéquats.
« FOWLER SE FÉLICITE QUE PARIS AIT DÉCIDÉ
D’AGIR. LE DANGER QUE REPRÉSENTE AQMI EST ÉNORME ! »
Tout du long, le chef terroriste s’est donc assuré qu’on nourrisse suffisamment les otages, qu’ils reçoivent médicaments, couvertures et assez à boire. « Ce n’était pas tant de la compassion que de la bonne logique : il s’est dit que notre valeur marchande était bien plus élevée vivants que morts », glisse Fowler. Ainsi, les deux otages survivent malgré les scorpions, les serpents, les tempêtes de sable, les moments de doute et de dépression profonde, la nourriture infecte, l’eau putride et les jeunes djihadistes qui viennent les harceler. Fowler marque secrètement sa ceinture d’une encoche tous les jours, pour garder le fil du temps qui passe et ne pas devenir fou. Très vite, aussi, pour ne pas lâcher prise, il s’imagine écrire un livre sur son kidnapping. « J’ai dit à Louis : “Dans le fond, si on en réchappe, c’est une expérience extraordinaire. Combien de fois a-t-on l’opportunité de vivre aux côtés des hommes d’Al- Qaïda ?” » Fowler commence donc à prendre mentalement des notes, à structurer les chapitres du futur récit de sa survie. « Il faut savoir que les diplomates passent leur temps à faire ça : ils vont à un déjeuner, puis reviennent au bureau pour taper un rapport sur leurs conversations. J’ai reproduit la démarche. » Publié depuis en anglais, son récit, « Une saison en enfer », fourmille donc d’analyses et de détails. Il a établi des cartes approximatives de son parcours dans le désert, avec des schémas des grands camps où il a logé, ces fameuses bases que ciblent à présent les avions de chasse français. Très frustes dans leur pensée et dans leur religion, extraordinairement frugaux et endurants, les combattants d’Al-Qaïda lui sont aussi apparus comme de redoutables guerriers. Fowler souligne leur grande discipline en déplacement et l’efficacité de leurs sentinelles, armées de mitrailleuses lourdes lors des déploiements. Seul domaine qu’il refuse d’aborder : la gestion des otages, par égard pour les sept Français et les autres Européens et Africains encore captifs d’Aqmi. « Je ne veux rien dire qui puisse les mettre en danger, ou qui puisse aider Al-Qaïda à améliorer ses techniques de kidnapping », affirme le Canadien.
La ceinture sur laquelle Fowler incisait chaque jour un trait dans le cuir pour ne pas perdre la notion du temps. Photo DR
Fowler et Guay seront finalement relâchés après des semaines de négociations menées par des émissaires des présidents malien et burkinabé. Pendant ce temps, un groupe de quatre touristes – un couple de Suisses, une Allemande et un Anglais – a été enlevé par une autre unité d’Aqmi. « Le gouvernement canadien affirme à ce jour ne pas avoir versé de rançon, explique Fowler. Mais d’autres l’ont fait, c’est certain. Et le Mali a relâché des prisonniers islamistes au même moment... » Seul le gouvernement anglais, effectivement, ne paie rien. Son otage, Edwin Dyer, sera décapité quelques semaines plus tard. Les ravisseurs des touristes sont dirigés par un autre « émir » d’Al-Qaïda dans le désert : Abou Zeid. C’est le grand concurrent de Belmokhtar. « Je ne l’ai croisé que brièvement, au moment de notre libération, avec les deux femmes otages, se souvient Robert Fowler. On sentait qu’il était très imbu de lui-même, très dur. Et, vu l’état de santé dans lequel étaient les deux femmes, je peux vous assurer qu’il n’a absolument aucune compassion. » C’est Abou Zeid qui détient maintenant la plupart des otages d’Aqmi dans le Sahara, notamment les hommes du groupe français Areva. Certains craignent que l’actuelle offensive de la France aux côtés de l’armée malienne en déliquescence ne mette en péril ces captifs. Mais Fowler est convaincu qu’il fallait agir. « Le danger que représente Al- Qaïda pour toute cette partie d’Afrique est énorme », indique l’ancien diplomate, qui se félicite que Paris ait décidé d’agir. « Des rapports suggèrent à présent que les Français sont surpris par la férocité des combattants djihadistes et la sophistication de leur armement. Vraiment ? » Au moment de leur libération, fin avril 2009, Fowler et ses compagnons ont pu assister à toute une mise en scène de la force de frappe d’Aqmi : plus de cent combattants défilent devant eux d’un pas martial, mitraillette en bandoulière. La remise en liberté des otages a d’ailleurs failli mal se terminer.
« Au dernier moment, Abou Zeid refusait de nous relâcher, l’atmosphère est devenue très tendue », raconte le Canadien. Belmokhtar déboule alors, furieux, et leur ordonne de grimper dans un 4 x 4. « Il a disposé ses hommes armés autour de nous, pour nous protéger. J’ai vu le moment où les deux katibas allaient s’entre-tuer. » La scission est, depuis, devenue si marquée entre les deux hommes que Belmokhtar affirme avoir quitté Aqmi pour créer son propre groupe, les « Signataires du sang ». Son fidèle lieutenant, Oumar Ould Hamaha, est maintenant l’une des figures de proue du groupe Mujao, qui occupe les villes du Nord-Mali. Fowler a vu son geôlier pour la dernière fois alors que son véhicule s’apprêtait à foncer vers la liberté à travers le désert, avec Louis Guay et les deux femmes otages. Tandis que la voiture démarre, Oumar se met à courir près de la fenêtre, adressant un ultime message au Canadien : « Souviens- toi bien de témoigner, si jamais tu arrives au paradis, que j’ai fait tous les efforts pour te convertir. C’est pas ma faute si t’es toujours pas musulman ! »
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Robert-Fowler-otage-d-Aqmi-pendant-quatre-mois.-Difficile-de-ne-pas-devenir-fou-459109/
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