Les touareg, solution au conflit malien?
DECRYPTAGE – La création jeudi d'un nouveau groupe touareg, dissident des islamistes d'Ansar Dine et appelant une résolution pacifique du conflit au Mali, peut potentiellement changer la donne. Retour sur les différents mouvements armés de ce peuple berbère impliqués dans la crise malienne.
Ansar Dine
Le mouvement islamiste est le maillon fort des troupes qui combattent actuellement l'armée malienne et la France. "L'ensemble des forces dans le pays est estimé entre 2.500 à 3.000 hommes, la majorité étant des combattants d'Ansar Dine", indique Philippe Hugon, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest à l'Iris. Le groupe est mené par Iyad Ag Ghaly, un ancien chef de la rébellion touareg au Mali dans les années 1990, aujourd'hui tenant de l'aile radicale du mouvement. Il a également su rassembler des anciens membres d'Aqmi - Al-Qaïda au Maghreb islamique - ainsi que des ex-combattants du MNLA, le Mouvement national de libération de l'Azawad, les rebelles historiques de la région du Nord-Mali.
Ansar Dine (qui signifie "Défenseurs de l'islam") prône en particulier l'application de la charia dans l'ensemble du pays. "Ag Ghaly est entré véritablement dans le champ du religieux à partir de 1999, lorsqu'il s'est converti à l'islam radical. Cela n'était pourtant pas du tout dans la tradition touareg, qui est un peuple principalement laïc", précise Philippe Hugon. C'est le départ de ce mouvement de la table des négociations début janvier qui avait déclenché l'offensive des djihadistes dans le sud du Mali.
Le Mouvement islamique de l'Azawad
Après deux semaines de combat au Mali, le groupe Ansar Dine s'est scindé en deux, après l'annonce jeudi de la création du Mouvement islamique de l'Azawad (MIA). Ce dernier appelle à "une solution pacifique" au conflit et affirme qu'il "s'engage" à combattre "toute forme d'extrémisme et de terrorisme".
Son leader se nomme Alghabasse Ag Intalla et "appartient à la chefferie touareg, issu d'une grande famille de la ville Kidal", explique André Bourgeot, chercheur au CNRS et spécialiste de l'Afrique sahélienne et du peuple touareg. C'est lui qui, au sein d'Ansar Dine, négociait principalement avec l'Algérie et le Burkina Faso pour trouver une solution politique à la crise malienne. A l'époque, il s'opposait déjà au leader Ad Ghaly sur la position à adopter, avant que ce dernier ne décide de renverser le régime malien.
Dans un communiqué, Alghabasse Ag Intalla a déclaré "occuper" la région de Kidal, la plus septentrionale des trois principales villes du Nord-Mali et fief d'Ansar Dine. Pour l'heure, le nombre de combattants qui l'ont suivi reste inconnu, et l'on ignore donc l'importance de la l'organisation dissidente. Mais à travers la création de ce mouvement, "il y a une forme de retour au politique dans ce conflit", explique André Bourgeot. "Il est évident que l'enjeu majeur sera de savoir ce que vont devenir les mouvements touareg dans la lutte contre les djihadistes et dans la reconquête territorialed'une zone qu'ils connaissent parfaitement", précise Philippe Hugon, qui juge ce revirement "important" dans l'évolution du conflit.
Le MNLA
Depuis avril 2012, l'organisation touareg historique semble évoluer en ordre dispersé. Aussitôt son offensive dans le Nord-Mali et sa déclaration d'indépendance de l'Azawad, le MNLA s'est retrouvé débordé par les forces djihadistes, en particulier Ansar Dine, pour finalement être chassé de la région. Une partie de ses troupes a été tuée ou est partie pour l'autre organisation touareg. Il est d'ailleurs possible que plusieurs de ces anciens soldats aient désormais rejoint le MIA aux côtés d'Ag Intalla.
Le 14 janvier, le MNLA a changé d'attitude en se disant prêt "à aider" l'armée française pour reconquérir le Nord-Mali. Si Paris entretient depuis longtemps des relations privilégiées avec ces rebelles, ce n'est évidemment pas le cas du régime malien, qui a été fortement ébranlé par le mouvement. Mais le MNLA est-il capable de revenir dans le jeu? "Ses combattants n'ont pas d'assise militaire très importante, une partie d'entre eux ont fui en Mauritanie et demandent à être intégrés dans l'armée mauritanienne. Même le chef d'état-major du MNLA, Mohamed Ag Najim, serait lui aussi dans ce pays", explique André Bourgeot, qui ajoute : "Il n'y a donc plus beaucoup de têtes pensantes dans ce mouvement. Autrement dit, il ne représente plus grand-chose."
L'émergence d'un nouveau mouvement touareg peut accélérer un peu plus le retrait du MNLA. "Le MIA lui fait de l'ombre, car il ne dit pas non à la présence de l'armée malienne sur le territoire de l'Azawad, contrairement au MNLA qui ne veut pas discuter", analyse le directeur de recherches du CNRS. Autrement dit, le groupe dissident peut rapidement devenir un allié de circonstance de Bamako, bien qu'il devrait réclamer l'autonomisation de la région de l'Azawad. Mais le MIA peut également devenir une solution intéressante pour l'Algérie, acteur incontournable de la région, qui soutenait Ansar Dine avant son retrait des négociations. "Pour Alger, il peut potentiellement devenir un groupe avec lequel discuter, puisqu'il devient fréquentable", confirme André Bourgeot. "A mon avis, cela peut être une solution éventuelle au conflit", renchérit Philippe Hugon, pour qui les "touareg devront être au cœur d'une reconquête durable du Nord-Mali". Faute de quoi la crise risque de perdurer.
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