mardi 15 janvier 2013

« Le risque est grand de voir Bamako mener de larges représailles contre les Touareg »

LE MONDE | 15.01.2013 à 11h40 - Propos recueillis par Jacques Follorou Pierre Boilley est le directeur du Centre d’études des mondes africains. Spécialiste du Sahel, il analyse les combats entre groupes islamistes et l’armée française ainsi que leurs conséquences sur l’avenir du Mali. Le président français, François Hollande, emploie le seul vocable « terroristes » pour désigner les ennemis de la France sur le sol malien. Est-ce le bon terme ? Il est en partie faux. Pour l’essentiel, ces troupes sont composées des combattants islamistes d’Ansar Eddine qui veulent instaurer la loi islamique au Mali. Leur démarche est religieuse mais aussi politique au sens où ce groupe est une dissidence de la rébellion touareg malienne du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ce groupe n’a jamais fait d’enlèvements ou posé des bombes contre des objectifs civils. Ce qui n’est pas le cas, en revanche, des membres du Mujao ou d’Al-Qaida au Maghreb islamique, présents dans les rangs opposés aux soldats français. Il faut prendre garde aux termes employés pour ne pas trahir la réalité du terrain. Des représentants du MNLA et d’Ansar Eddine se sont déclarés prêts, fin décembre 2012, à cesser les hostilités. Comment expliquez-vous l’offensive islamiste ? L’une des principales causes de cette offensive est liée au fait que cette rencontre, le 21 décembre, à Alger était une négociation fantoche. Le chef d’Ansar Eddine, Iyad ag Ghali, a été tenu à l’écart. Il a vite dénoncé des pourparlers menés par des personnes sans mandat et manipulés par Alger. Le 2 janvier, il a publié une plate-forme qui valait déclaration de guerre. Le 4 janvier, il a confirmé publiquement qu’il attaquerait l’Etat malien s’il ne renonçait pas à la laïcité. Sa décision de lancer l’opération vers le sud du pays obéit aussi à des plans déjà évoqués par les chefs islamistes du Mali qui prévoient de faire le lien avec d’autres forces fondamentalistes de la région, dont celles de Boko Haram au Nigeria. Le MNLA a également souligné, pour sa part, l’absence de représentativité des personnes présentes à Alger. Cette fausse concertation a accéléré la mobilisation de la branche radicale d’Ansar Eddine alors que d’autres chefs coutumiers de ce mouvement, Bajan ag Hamatou ou Alghabass ag Intalla, plus modérés, soutenaient encore la voie de la négociation. Existe-t-il des dissensions parmi les combattants islamistes ? Les troupes islamistes ne sont pas toutes des salafistes acharnés. Il existe différents courants mais ils restent minoritaires. Par ailleurs, beaucoup de combattants ont rejoint ces rangs pour des raisons financières. AQMI a de l’argent grâce aux otages, les caisses d’Ansar Eddine sont en partie remplies par Alger et le Mujao reçoit des fonds manifestement par l’intermédiaire du Croissant-Rouge qatari et des réseaux saoudiens. La fidélité des soldats islamistes n’est pas que religieuse et peut donc vite s’évanouir. L’intervention française était-elle inéluctable ? A l’origine, cela aurait dû rester une affaire malienne. Tant qu’AQMI était isolé, il aurait pu être éradiqué avec l’aide de l’Algérie et de la Mauritanie. Mais les liens entre les dijihadistes d’AQMI et la présidence malienne ont mis en échec ce souhait. Des alliances locales ont ensuite modifié les lignes et AQMI est devenu un vrai problème pour le Mali. La venue de forces africaines était une solution peu viable et le processus était bloqué. Le MNLA, vaincu militairement par les groupes islamistes, se réorganisait et privilégiait la négociation avec Bamako. L’ouverture restait potentielle. On dirait que vous saluez l’arrivée des militaires français… Dès lors que les soldats français sont sur le sol malien, il faut qu’ils assument leurs actes jusqu’au bout, c’est au moins une garantie. Car il ne faut pas laisser la main à la seule armée malienne. Le risque est grand que les autorités de Bamako, soutenues par une armée putschiste, ne profitent de la présence des militaires français au Mali pour mener de larges représailles contre les Touareg à l’abri du paravent antiterroriste. On peut s’inquiéter quand on entend le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, appeler à la reconquête. Nous savons déjà que les civils touareg ne sont pas épargnés par les soldats maliens. Les Français en ont conscience car des contacts existent avec le MNLA pour ne pas confondre ses forces avec celles des islamistes. La stabilité du Mali ne peut se faire sans régler la question touareg et le problème de la marginalisation du nord du pays qui ont nourri le terreau djihadiste. Propos recueillis par Jacques Follorou,http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/15/mali-le-risque-est-grand-de-represailles-contre-les-touareg_1817055_3212.html 15 janvier 2013

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