lundi 14 janvier 2013

L’arsenal des islamistes en question

Sarah Diffalah- Nouvel Observateur -Mis à jour à 15h27 Les combattants du Nord-Mali semblent bien mieux armés et entraînés que prévu. Mathieu Guidère, spécialiste des mouvements islamistes, explique comment ils se sont constitués cet arsenal. L’armée française a essuyé dès les premières heures de son intervention au Mali des tirs islamistes tuant un soldat français, le lieutenant Damien Boiteux. Cette perte a mis en lumière la qualité des combattants opposés aux forces françaises. Et ils se révèlent bien plus équipés, bien plus armés et bien plus entraînés que prévu, d’après certaines sources proches du chef de l’Etat. Mathieu Guidère, spécialiste professeur de veille stratégique à l’université de Genève, auteur du livre « Les Nouveaux Terroristes », explique au « Nouvel Observateur » comment s’est constitué l’arsenal des terroristes. Certaines sources au ministère de la Défense et à l’Elysée se disent surprises de l’arsenal déployé par les islamistes au nord du Mali. Quelles sont les véritables forces de ces rebelles ? - Les islamistes ont trois types d’armement qui ont été constitués chronologiquement de la façon suivante : les premières armes, de l’arsenal libyen, sont tombées entre leurs mains au cours de l’année 2011, après la chute du colonel Mouammar Kadhafi. Ce sont essentiellement des armes de guerres légères, des kalachnikovs, des mitraillettes, des pick-up, quelques véhicules qui permettent le déplacement dans le désert, quelques roquettes, quelques missiles sol-air pas tout à fait opérationnels. Ces armes ont essentiellement été employées lors des premières batailles qu’ils ont gagnées à Tombouctou, Gao et Kidal contre l’armée malienne. Mais il n’en reste pas grand-chose. La deuxième vague d’armement a eu lieu à la suite de la défaite de l’armée de Bamako. Dans la déroute malienne, les soldats ont abandonné leurs bases avec leurs armes. Les islamistes ont tout simplement récupéré de l’armement d’armée régulière : quelques blindés, de l’artillerie, des batteries (sorte de missiles que l’on voit sur les véhicules blindés). Ces armes n’avaient pas encore été utilisées jusqu’à maintenant. La troisième vague est récente. Depuis août, depuis que la France s’est montrée plus active et offensive sur ce sujet, les islamistes se sont préparés à la possibilité d’une intervention. Ils ont commencé à utiliser l’argent gagnée lors de différents trafics de drogue et d’otages. Avec ce petit capital, ils ont, dès septembre, acheté tout ce qu’ils pouvaient sur le marché noir. Ils ont approché tous les trafiquants de la région, notamment les Nigérians, les Tchadiens et les Libyens. Il y a pas mal d’armement russe. La Russie, appréhendant une intervention militaire occidentale, a laissé ses marchands d’armes vendre en Afrique tout et n’importe quoi. Et là, les islamistes ont stocké du matériel moderne, performant et efficace notamment contre les hélicoptères et les chars, comme des lunettes ou jumelles à vision nocturne. Cela dit, dans l’ensemble, en raison de sa composition et des phases de son acquisition, cet armement est hétéroclite, totalement inégal dans sa composition. Surtout, les islamistes manquent de munitions, qui plus difficile à trouver sur le marché. Ils doivent donc faire attention à leur utilisation. Photo prise le 7 août 2012, montrant des combattants d’Ansar Dine à Kidal, dans le Nord Mali. (AFP / ROMARIC OLLO HIEN)D’où viennent ces armes ? - Il y a plusieurs types de trafiquants institués dans la région : des Libyens dans la région frontalière du sud, des Tchadiens, quelques Burkinabés, quelques Nigérians. Sur ce marché au noir africain, on y trouve aussi les Sud-Africains qui vendent un armement plus chers et plus performants. Le Nord est tombé sous le contrôle de différents groupes, aux revendications et intérêts très divergents. Mais dans leur combat commun ils se sont assurés des victoires militaires. Sait-on combien il y a de combattants sur le terrain ? Qui sont-ils ? - Il existe une évaluation basée sur leurs propres dires. Ainsi, Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) a deux brigades : l’une dirigée par Abeldhamid Abou Zeid, l’autre par Yahia Abou al-Hammam, qui commandent au total près un millier d’hommes à eux deux. Ensuite, il y a cette brigade sécessionniste, concurrente et autonome, le Mujao (Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest) qui a entre 400 et 500 hommes au maximum. Enfin le groupe islamiste le plus important, Ansar Dine, est touareg. Ses membres ont déclaré 5.000 combattants, mais après avoir gagné contre le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), ils ont récupéré leurs soldats, embrigadé des enfants-soldats et des jeunes désoeuvrés et sans emploi. Aujourd’hui, on évalue leur force à 10.000 hommes maximum. Au total, on a donc entre 10.000 et 12.000 hommes. Mais ce ne sont pas tous de vrais combattants. La brigade d’Abou Zeid est aguerrie au combat terroriste, contrairement à ceux qui ont rejoint sur le tard Ansar Dine. On peut dire que le cœur des combattants est estimé à 3.000 hommes. Où s’entraînent t-ils ? - Dans le désert. Ils ont repris les bases et les casernes de l’armée malienne. Ils ont aussi leur propres camps d’entraînement. La France pouvait-elle vraiment ignorer l’ampleur des forces islamistes ? - C’est vrai que les dernières acquisitions importantes ont été réalisées sur le marché noir très récemment. Mais exprimer l’étonnement fait aussi partie de la communication du ministère de la Défense. Sinon, comment justifier la perte d’un soldat aussi rapidement et l’utilisation du Mirage 2000, un avion de combat, contre des gens qui portent des kalachnikovs… Peut-on craindre que la situation s’enlise et deviennent plus compliquée ? - Tant qu’on est dans la phase aérienne, ce n’est pas compliqué. C’est sur le terrain, une fois que des soldats seront en contact avec les islamistes que les choses peuvent évoluer. La guérilla est plus compliquée à combattre. On peut faire un parallèle avec la guerre en Afghanistan en 2001. Les Américains avaient commencé à bombarder le pays et puis sur le terrain ensuite, la situation a été complètement différente. Peut-on craindre de nombreuses pertes françaises ? - Je ne pense pas. La France attend de passer le relais aux Africains puisque a priori, François Hollande ne souhaite pas envoyer de soldats au sol pour un contact direct. En revanche, on peut s’attendre à des pertes africaines, comme cela a été le cas en Somalie. Propos recueillis par Sarah Diffalah – Le Nouvel Observateur,http://tempsreel.nouvelobs.com/guerre-au-mali/20130114.OBS5313/mali-l-arsenal-des-islamistes-en-question.html 14 janvier 2013

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