mercredi 9 mai 2012


Refugiés maliens: "Ma maison en fumée"

Dernière mise à jour: 9 mai, 2012 - 13:00 GMT
Le conflit dans le nord du Mali a poussé des milliers d'hommes et de femmes à fuir vers les pays voisins, comme la Mauritanie où leur quotidien relève d'un calvaire.
Par Maud Jullien
Le camp de Mbera accueille des hommes, des femmes, et de nombreux enfants comme celui-ci, pris en charge dans un centre de Médecins Sans Frontières.
"La maison de mes propres parents est partie en fumée en janvier dernier, juste après le début de la rébellion touareg dans le Nord. Toutes mes affaires, ma moto, mon ordinateur, mon matelas... sont partis en fumée. Ils n'ont tué personne. La police est arrivée avant, mais il était déjà trop tard pour éteindre le feu."
Assis dans sa tente du Haut Commissariat aux réfugiés vide au milieu du camp de Mbera en Mauritanie, Oumar Ag Abdul Kader ne sait pas exactement qui a attaqué sa maison dans la capitale Bamako, juste qu'il s'agissait de Maliens noirs en tenues civiles.
"Le 1er février, les gens ont commencé à saccager tous les biens touaregs," raconte Oumar. "Ils ont brûlé des maisons, des voitures et attaqué tous ceux qui ont la peau blanche - même les Arabes, ils ne faisaient pas de différence... à Bamako et à Kati."
"La maison de mes propres parents est partie en fumée en janvier dernier, juste après le début de la rébellion touareg dans le Nord."
Omar Ag Abdul Kader, réfugié malien en Mauritanie
Omar vit maintenant dans le camp de réfugiés de Mbera à 50 kilomètres de la frontière Malienne, avec plus de 60 000 autres personnes, issues de la communauté Touareg, pour la plupart.

Peur de représailles

Si certains d'entre eux comme Kader ont été directement ciblés, de nombreux autres ont fui par peur de représailles.
"Il y a eu des émeutes et j'avais peur qu'ils me prennent pour un membre d'AQMI ou du MNLA," se rappelle Abdul Ag Mohamed Assala, le directeur de l'école du camp de réfugiés.
"Je n'étais pas directement menacé, mais j'entendais mes collègues parler. Ils disaient que tous les Touaregs étaient responsables de toute la crise Malienne. Ils disaient parfois que les Touaregs ont tué des membres de leurs familles et qu'il faut faire la même chose aux Touaregs parmi eux".
Abdul dit avoir été particulièrement choqué quand il a vu un policier Touareg se faire tabasser par ses collègues parce qu'il s'était présenté comme Malien et non pas en tant que membre de sa tribu.

Quelques faits

  • Depuis 1960, le Mali a connu quatre rébellions touarègue
  • A chaque soulèvement, les représailles de l'armée malienne a tué de nombreux Touaregs
  • Les Maliens du sud tendent à considérer tous les Touaregs comme sympatisans des rébellions
Il a alors pris la fuite, en laissant derrière lui un travail et une situation confortable.
Des l'annonce dès premières violences, la communauté Touareg du Sud du Mali a été prise de panique et certains sont partis sur le champ, sans rien emporter.
Hamel, un ancien employé d'une ONG à Bamako, ou il gagnait bien sa vie, raconte: "J'ai laissé tout mon argent dans mon compte en banque. Je n'ai rien pris, je n'ai même pas pensé à prendre l'avion, j'ai juste fui vers le Nord."
Si les gens ont fui aussi vite et sans se retourner, c'est parce que les événements du début des années 90 sont encore présents dans les mémoires.
Lors de la deuxième rébellion Touareg, l'armée Malienne a tué des centaines de civils.
Hamel est "un enfant du camp" comme il dit. En 1991, sa famille et lui ont, comme aujourd'hui, tous quitté. Il a été scolarisé au camp jusqu'en 1994.
Abdul Aziz Ag Mohamed était lui aussi enfant dans les années 90, mais il se souvient que son grand père, un marabout, et son oncle, un médecin, ont été tués par l'armée malienne.
Il raconte que ces événements ont contribué à faire de lui un rebelle du MNLA, mais il ajoute aussitôt qu'il n'a jamais fait de mal à des civils.
Son épouse est réfugiée au camp de Mbera, où il lui a rendu visite après plusieurs jours passés sur le front.

Groupes anonymes

Il y a eu quatre rébellions Touarègue depuis les années 1960. La communauté s'estime lésée par le gouvernement central de Bamako et demande l'indépendance de la région de l'Azawad.
Au début de l'année, plusieurs groupes rebelles, dont le MNLA, ont lancé leur offensive dans le Nord.
La destabilisation de Bamako par un coup d'Etat en mars leur a permis de prendre facilement Gao, Kidal et Tombouctou, les principales villes de la région.
Abdul Aziz Ag Mohamed affirme que le MNLA contrôle tout l'Azawad, et que le groupe islamiste Ansar Dine, qui a participé à la conquête du Nord et qui règne maintenant sur la majorité de Tombouctou, n'est en réalite qu'une branche du MNLA.
Mais il admet que des milices armées actives dans le Nord sont encore source d'insécurité.
Dans la ville de Lère, où le combattant était en poste jusqu'au début du mois de mai, il y aurait 400 combattants du MNLA, qui n'ont d'autre objectif, selon lui, que de rassurer la société civile en stabilisant la zone et en veillant à "montrer à l'échelle internationale que nous sommes dans notre Etat, un Etat libre, démocratique et indépendant."
Mais dans la zone autour de Lère, rapporte Abdul Aziz, des groupes anonymes transportent des armes en brandissant des drapeaux du MNLA, alors qu'ils ne répondent pas aux ordres de l'organisation.
Selon le combattant, ces milices profitent du désordre pour "piller et massacrer."
Les premières victimes de l'insécurité sont les populations du Nord qui se sentent abandonnées et souffrent des pénuries de vivres que celle-ci engendre.
"Nous ne savons pas qui contrôle quoi", déplore Meini Ould Chebani, un ancien cadre de l'administration Malienne, qui attend toujours son abri dans le camp de Mbera.
"Nous avons besoin de rétablir une autorité à Bamako pour qu'il puisse y avoir quelqu'un avec qui négocier; nous ne pouvons pas rester dans cette situation."
"Dans la commune dont je viens, il ne reste que des femmes et des enfants; tous ceux qui étaient trop faibles ou trop pauvres pour s'en aller. Il n'y a pas d'autorité pour les protéger; pas de maires, pas de policiers, pas de juges. La plupart d'entre eux étaient originaires du Sud du Mali, où ils sont repartis."

Sécurité

A cause de l'instabilité, peu de biens rentrent au Mali par sa frontière Nord.
Un membre du ministère mauritanien de l'intérieur indique que les transporteurs qui passaient par Fassala, le poste-frontière entre le pays et le Nord du Mali, ont pour la plupart changé de route.
Resultat: les prix des denrées alimentaires ont augmenté et de nombreux habitants du Nord fuient l'insécurité alimentaire.
"J'étais très loin des combats, mais on ne pouvait pas rester parce qu'on ne trouvait pas de nourriture, on ne trouvait pas de voitures, on ne trouvait rien", raconte Mohamed el Moktar Ag Mohamed, également originaire de la région de Tombouctou.
Avant que le MNLA ne puisse commencer à véritablement gérer le territoire et la population de l'Azawad dont ils ont proclamé l'indépenance, il faudra rétablir la sécurité physique et alimentaire, ce qui passe par le démantèlement des milices armées, et la gestion de la menace d'AQMI.
Une menace qui isole la région de ses voisins, de l'aide internationale, de la couverture médiatique et du tourisme qui était une de ses principales sources de revenues.
Conscient de l'enjeu, Abdul Aziz assure que son organisation a pris la responsabilité de rechercher et de punir ces "groupes criminels" suivant le processus juridique du MNLA.
Mais il admet que l'organisation n'a pas les moyens de se battre sur deux fronts -- à la fois pour l'indépendance et contre les autres groupes

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