Dans le Grand Sud algérien, les groupes de musique touarègue se comptent par dizaines dans chaque ville. Un véritable phénomène culturel, explique El-Watan.
10.06.2011 | Djamel Alilat | El Watan
DE TAMANRASSET
Guitares électriques et costumes touaregs, rythmes traditionnels et arrangements rock, folk ou blues, ces groupes innovent et investissent la scène depuis quelques années. Mélangé au blues et aux sonorités africaines, le tindi s’est dépoussiéré pour entamer une nouvelle vie. Les gens du Nord ne se rendent pas vraiment compte de cette révolution dont l’écho n’arrive qu’étouffé. Des dizaines de groupes rêvent tous d’imiter leurs idoles qui ont pour noms Tinariwen, Tamkrest, Terakraft, Toumast, Itran Finatawa, ou bien encore Atri N’Assouf. La locomotive qui draine derrière elle tout ce beau monde est, bien entendu, le mythique Tinariwen. Plus qu’une idole, Ibrahim Ag Alhabib, dit Abraybone, le leader de Tinariwen, est une icône pour beaucoup de jeunes Touaregs.
A Tamanrasset, la musique de ce groupe dont la renommée a atteint les coins les plus reculés de la planète, s’échappe de tous les cafés et de tous les commerces et leurs posters se vendent plutôt bien. Originaire d’Illizi, Messaoud Arallah, chanteur du groupe Idraren n’Tassili, a sa petite idée sur le phénomène. “Il y a le tindi moderne, le style imzad, le style tassili, et puis le style el guitara, mais tous les groupes, sans conteste, puisent dans le répertoire musical touareg avant d’introduire des arrangements modernes”, dit-il.
Globalement, deux révolutions musicales se sont opérées coup sur coup dans le vaste désert des hommes bleus. Le regretté Athmane Bali [1953-2005] a introduit le luth, et Ibrahim (Abraybone) du groupe Tinariwen la guitare électrique. De ces deux principales influences sont nés deux courants musicaux, selon que l’on joue de l’un ou de l’autre instrument, des airs qui doivent remonter à l’époque de la reine Tin Hinan [l’ancêtre mythique des Touaregs, aurait vécu au IVe siècle de notre ère] ou peut-être plus loin. Il arrive souvent que le luth côtoie la guitare électrique dans le même groupe. On dit que Nabil Bali, le fils du défunt Athmane, possède son propre style, plus guitare que oud, d’ailleurs. On lui prédit également un avenir brillant au firmament de cette chanson touarègue qui commence à se faire une petite place au soleil du Nord.
Il est incontestable que cette musique séduit de plus en plus. Son secret est peut-être ce mélange de sonorités et d’influences qui se sont dissoutes dans le creuset de ce rythme touareg chaloupé, calqué sur la marche du chameau ou la démarche de la gazelle. “Nous avons des gammes très proches du blues, mais les musiciens jouent à l’unisson et non en harmonie et tous les instruments jouent la même mélodie. Même la basse joue un jeu mélodique”, explique Hamoudou Mohamed, animateur culturel à la maison de la culture d’Illizi. Avant de se prendre au sérieux, la plupart des groupes jouant de la guitare acoustique ou électrique ont tout d’abord commencé par accompagner des groupes de touristes dans les campements et les bivouacs afin d’apporter cette indispensable touche d’exotisme aux longues soirées sous le ciel superbement étoilé du Tassili et du Hoggar.
Hamoudou nous explique le tindi : “C’est un rythme à six suites. C’est un pentatonique, c’est-à-dire la plus vieille gamme du monde.” Pour Omar Bouzid, chercheur en musicologie, la musique chez les Berbères est vieille de plus de cinq mille ans. C’est dire si un vieux peuple, un peuple premier, comme les Touaregs, tire ses racines musicales de loin. “Il est dommage qu’il n’existe pas de conservatoire au Sud pour donner une plus grande culture musicale à tous ces jeunes”, regrette Hamoudou. Une telle structure aurait certainement été d’une grande aide pour polir tous ces diamants bruts que recèlent le Tassili et le Hoggar, même si pour l’instant ils se débrouillent plutôt bien sans l’aide de personne. Sur scène, tous les membres des groupes, garçons ou filles, sont parés de leurs plus beaux costumes traditionnels. L’attachement des Touaregs à leur culture est manifeste.
Parti des sables du Ténéré et porté par des musiciens talentueux, le blues du désert, comme on l’appelle outre-Atlantique, a fini par conquérir le monde. Blues, tindi moderne, el guitara, musique ishumar ou assouf, ce genre musical n’a pas encore trouvé un nom qui fasse l’unanimité, même si les fondateurs du genre évoquent volontiers l’assouf, qui veut dire nostalgie, vide ou encore désert.
Pour Dida Badi, chercheur en anthropologie culturelle, dans la musique touarègue, on désigne souvent le genre par l’instrument musical qui le véhicule. El Guitara est un nouveau style qui n’a pas dérogé à cette règle, justement, du nom de cet instrument majeur. Notre anthropologue, qui travaille depuis longtemps sur le patrimoine musical touareg, tente une explication sur le phénomène des groupes dits “el guitara” : “C’est en quelque sorte la rythmisation de la culture touarègue en général, et le renouveau de la musique en particulier. Mais c’est surtout du point de vue thématique, car les genres et les rythmes sont toujours traditionnels. C’est le tindi et l’imzad qui sont repris par ces groupes. Le tindi lui-même est composé de plusieurs rythmes qui sont tirés du quotidien ou inspirés de la nature, comme la marche du chameau, la démarche de la gazelle ou de l’autruche.”
Ainsi, face à la perte des repères identitaires dans un monde en constante évolution et en lançant ce mouvement musical, les artistes touaregs ont apporté un début de réponse à tous ceux qui cherchent à concilier tradition et modernité, culture, identité et universalité.
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