17/06/2011 | 17H34
Ecartelée entre cinq Etats, la communauté touarègue se bat pour sa survie. Le groupe Tamikrest porte dans ses chansons les revendications des nomades du Sahara. Interview et écoute de Toumastin.
Des fusils ou des guitares ? La question reste d’actualité pour les Touaregs. Après le groupe Tinariwen, précurseur d’un blues des sables qui a soufflé un vent nouveau sur la worldmusic, voici Tamikrest, leurs petits frères de Kidal, dans le nord du Mali. Pour Ousmane Ag Mossa, leur leader, pas sûr que les guitares parviennent à faire taire les fusils encore bien longtemps.
Que signifie Toumastin, le titre de votre second album qui vient de sortir ? Ousmane Ag Mossa – Ça veut dire “mon peuple” en langue tamasheq (les Touaregs s’appellent eux-mêmes “Kel Tamasheq” – “ceux qui parlent tamasheq” – ndlr). Nous avons enregistré l’album au studio Bogolan à Bamako avec le producteur américain Chris Eckman du groupe Dirtmusic. Nous voulions conserver l’originalité de la musique tamasheq en y apportant une touche moderne. Ce qui ne change pas, ce sont les thèmes abordés. On parle de notre situation, de nos problèmes, de la défense de nos droits.
La musique vous donne-t-elle avant tout le moyen de défendre une cause ? Oui, clairement. Je voulais devenir diplomate avant de créer Tamikrest. J’ai toujours cherché à faire connaître les souffrances de mon peuple. Depuis ma naissance, je n’ai connu que cela : crises alimentaires, sous-développement, sécheresses, manque d’infrastructures, absence de soutien du gouvernement malien. Je constate qu’il y a très peu de gens pour dénoncer cette situation. Personne, par exemple, pour évoquer nos problèmes à la tribune des Nations unies ni défendre nos droits auprès des instances internationales.
Qu’est-ce qui vous a détourné de vos projets et poussé à devenir musicien ?
Je me suis vite rendu compte que les autorités maliennes n’encourageaient pas les jeunes Tamasheqs à poursuivre des études, qu’il existait un certain racisme dans les établissements. J’ai fait mon premier cycle d’études dans une école non gouvernementale de Tinzaouatine, près de Tamanrasset, sur la frontière entre l’Algérie et le Mali. Mais c’est à Kidal, où j’ai entamé mon second cycle, que les problèmes ont commencé : les professeurs et l’administration se sont montrés d’une sévérité excessive à notre égard par rapport aux autres élèves. Il suffisait d’un rien pour être exclu d’un cours. En 2006, certains des anciens rebelles ont repris les armes : le gouvernement ne respectait pas les accords de paix signés avec les insurgés touaregs sur le développement de notre région. Devant les troubles qui secouaient à nouveau la région de Kidal, nous sommes partis à Tamanrasset pour faire de la musique. C’était le seul moyen de mettre en oeuvre notre projet : faire connaître la réalité de notre situation. Un groupe comme Tinariwen a prouvé qu’avec la musique on pouvait sensibiliser beaucoup de gens, faire savoir qui nous étions et dans quelle situation difficile nous nous trouvions. Avant, on jouait de la musique pour se distraire. On ne pensait pas vraiment faire carrière.
Le succès international d’un groupe comme Tinariwen a-t-il eu un impact politique ? Cela a provoqué une prise de conscience indispensable. Il faudra sans doute faire plus par la suite.
Vous seriez prêt à rejoindre la rébellion, à prendre les armes ? Si c’est le prix à payer pour notre liberté, je n’hésiterai pas. Je ne suis pas belliqueux mais l’autonomie de mon peuple, la reconnaissance de ses droits et de sa dignité m’importent plus que tout. Si un peuple souffre aujourd’hui en Afrique, c’est le nôtre. Nous sommes dépossédés de nos terres et marginalisés. On nous traite de terroristes. Nous avons vécu librement pendant des siècles jusqu’aux années 60 où le découpage de nos terres par les cinq Etats qui nous abritent aujourd’hui (Algérie, Mauritanie, Mali, Niger et Libye) a remis en cause notre mode de vie et notre légitimité à décider pour nousmêmes. Aujourd’hui, nous ne sommes plus maîtres de notre destin.
Quel est votre rêve pour le peuple touareg ? Une confédération des tribus ? Une plus grande autonomie au sein de la République du Mali ?
Personnellement, je ne me suis jamais senti malien. J’ai un passeport malien parce que je n’ai pas d’autres choix.
Que pensez-vous de l’enlèvement et de la mort de ces deux Français à la frontière entre le Mali et le Niger en janvier dernier, attribués à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Quelles conséquences cela a-t-il eu pour vous ?
Le gouvernement malien sait où se trouvent ceux qui ont perpétré ces crimes. S’il n’intervient pas, c’est qu’il a conscience que de tels actes décrédibilisent notre cause. Ça justifie leur politique de répression et cautionne la fermeture de notre région. Aujourd’hui, le désert est plus que jamais zone interdite. La manière dont le gouvernement a communiqué sur cette affaire prouve qu’il cherche à faire l’amalgame entre les terroristes d’Aqmi et les mouvements pour l’autonomie de la région de l’Azawad. A l’étranger, qui va faire la distinction ?
Les événements de Tunisie, d’Egypte ou de Libye ont-ils des répercussions ici ? Les problèmes que nous affrontons nous empêchent hélas de nous pencher sur ce qui se passe là-bas. Cela dit, j’ai bien conscience de l’enjeu. Ces peuples cherchent à chasser des dictateurs et à faire valoir leurs droits élémentaires de citoyens. Nous, nous en sommes encore à faire valoir notre statut de citoyen. Pour la jeunesse tamasheq, ce qui se passe là-bas est un exemple.
Quelle est votre situation à Kidal, dans ce nord du Mali coupé du monde ?Nous sommes en stand by. Nous ignorons ce qui va advenir. Mais les choses ne pourront pas rester en l’état parce que la situation se dégrade de jour en jour.
Envisageriez-vous de quitter Kidal et sa région dans le cas où la situation deviendrait trop périlleuse ?
Je ne pourrais pas vivre ailleurs. Mes ancêtres sont enterrés ici. Nous les suivrons. Nous ne pourrons pas trahir la mémoire de nos parents qui se sont fait tuer pour cette terre.
Dans votre nouvel album, une chanson porte un titre qui signifie “héritiers du désert”…
Nous sommes les héritiers du désert.
Le peuple tamasheq pourrait-il s’éteindre ? Oui. Tous les Etats dont nous dépendons veulent nous voir disparaître. Nous représentons un obstacle dans leurs négociations avec les multinationales auxquelles ils ont confié l’exploitation des richesses minières, de l’uranium et du pétrole. Ils n’accepteront jamais de leur plein gré que ces terres passent sous notre responsabilité.
La récente découverte de nouveaux gisements risque-t-elle de compliquer votre situation ?
C’est probable.
Une nouvelle rébellion est-elle inévitable ?
Absolument. En tant qu’artiste, à Tamikrest comme à Tinariwen, nous devons exiger une dernière fois, pacifiquement, nos droits à disposer de nos terres, à l’autodétermination.
Comment envisagez-vous la suite de la carrière de Tamikrest ?
Je ne réfléchis pas en terme de carrière. Je ne joue pas cette musique pour moi-même. Je ne cherche pas à avoir une histoire personnelle dans la musique. Tout ce que je fais, c’est porter le message de mon peuple.
Quel âge avez-vous ?
J’ai 25 ans.
Vous avez des responsabilités familiales. La musique, n’est-ce pas aussi le moyen d’apporter un certain bien-être à vos proches ?
Oui. Mais lutter pour ma communauté, c’est lutter aussi pour ma famille.
Votre communauté compte plus que votre famille ?
Elle compte plus que moi-même.
Album Toumastin (Glitterhouse Records)
En concert le 22 juin à Paris (Point Ephémère)
Que signifie Toumastin, le titre de votre second album qui vient de sortir ? Ousmane Ag Mossa – Ça veut dire “mon peuple” en langue tamasheq (les Touaregs s’appellent eux-mêmes “Kel Tamasheq” – “ceux qui parlent tamasheq” – ndlr). Nous avons enregistré l’album au studio Bogolan à Bamako avec le producteur américain Chris Eckman du groupe Dirtmusic. Nous voulions conserver l’originalité de la musique tamasheq en y apportant une touche moderne. Ce qui ne change pas, ce sont les thèmes abordés. On parle de notre situation, de nos problèmes, de la défense de nos droits.
La musique vous donne-t-elle avant tout le moyen de défendre une cause ? Oui, clairement. Je voulais devenir diplomate avant de créer Tamikrest. J’ai toujours cherché à faire connaître les souffrances de mon peuple. Depuis ma naissance, je n’ai connu que cela : crises alimentaires, sous-développement, sécheresses, manque d’infrastructures, absence de soutien du gouvernement malien. Je constate qu’il y a très peu de gens pour dénoncer cette situation. Personne, par exemple, pour évoquer nos problèmes à la tribune des Nations unies ni défendre nos droits auprès des instances internationales.
Qu’est-ce qui vous a détourné de vos projets et poussé à devenir musicien ?
Je me suis vite rendu compte que les autorités maliennes n’encourageaient pas les jeunes Tamasheqs à poursuivre des études, qu’il existait un certain racisme dans les établissements. J’ai fait mon premier cycle d’études dans une école non gouvernementale de Tinzaouatine, près de Tamanrasset, sur la frontière entre l’Algérie et le Mali. Mais c’est à Kidal, où j’ai entamé mon second cycle, que les problèmes ont commencé : les professeurs et l’administration se sont montrés d’une sévérité excessive à notre égard par rapport aux autres élèves. Il suffisait d’un rien pour être exclu d’un cours. En 2006, certains des anciens rebelles ont repris les armes : le gouvernement ne respectait pas les accords de paix signés avec les insurgés touaregs sur le développement de notre région. Devant les troubles qui secouaient à nouveau la région de Kidal, nous sommes partis à Tamanrasset pour faire de la musique. C’était le seul moyen de mettre en oeuvre notre projet : faire connaître la réalité de notre situation. Un groupe comme Tinariwen a prouvé qu’avec la musique on pouvait sensibiliser beaucoup de gens, faire savoir qui nous étions et dans quelle situation difficile nous nous trouvions. Avant, on jouait de la musique pour se distraire. On ne pensait pas vraiment faire carrière.
Le succès international d’un groupe comme Tinariwen a-t-il eu un impact politique ? Cela a provoqué une prise de conscience indispensable. Il faudra sans doute faire plus par la suite.
Vous seriez prêt à rejoindre la rébellion, à prendre les armes ? Si c’est le prix à payer pour notre liberté, je n’hésiterai pas. Je ne suis pas belliqueux mais l’autonomie de mon peuple, la reconnaissance de ses droits et de sa dignité m’importent plus que tout. Si un peuple souffre aujourd’hui en Afrique, c’est le nôtre. Nous sommes dépossédés de nos terres et marginalisés. On nous traite de terroristes. Nous avons vécu librement pendant des siècles jusqu’aux années 60 où le découpage de nos terres par les cinq Etats qui nous abritent aujourd’hui (Algérie, Mauritanie, Mali, Niger et Libye) a remis en cause notre mode de vie et notre légitimité à décider pour nousmêmes. Aujourd’hui, nous ne sommes plus maîtres de notre destin.
Quel est votre rêve pour le peuple touareg ? Une confédération des tribus ? Une plus grande autonomie au sein de la République du Mali ?
Personnellement, je ne me suis jamais senti malien. J’ai un passeport malien parce que je n’ai pas d’autres choix.
Que pensez-vous de l’enlèvement et de la mort de ces deux Français à la frontière entre le Mali et le Niger en janvier dernier, attribués à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Quelles conséquences cela a-t-il eu pour vous ?
Le gouvernement malien sait où se trouvent ceux qui ont perpétré ces crimes. S’il n’intervient pas, c’est qu’il a conscience que de tels actes décrédibilisent notre cause. Ça justifie leur politique de répression et cautionne la fermeture de notre région. Aujourd’hui, le désert est plus que jamais zone interdite. La manière dont le gouvernement a communiqué sur cette affaire prouve qu’il cherche à faire l’amalgame entre les terroristes d’Aqmi et les mouvements pour l’autonomie de la région de l’Azawad. A l’étranger, qui va faire la distinction ?
Les événements de Tunisie, d’Egypte ou de Libye ont-ils des répercussions ici ? Les problèmes que nous affrontons nous empêchent hélas de nous pencher sur ce qui se passe là-bas. Cela dit, j’ai bien conscience de l’enjeu. Ces peuples cherchent à chasser des dictateurs et à faire valoir leurs droits élémentaires de citoyens. Nous, nous en sommes encore à faire valoir notre statut de citoyen. Pour la jeunesse tamasheq, ce qui se passe là-bas est un exemple.
Quelle est votre situation à Kidal, dans ce nord du Mali coupé du monde ?Nous sommes en stand by. Nous ignorons ce qui va advenir. Mais les choses ne pourront pas rester en l’état parce que la situation se dégrade de jour en jour.
Envisageriez-vous de quitter Kidal et sa région dans le cas où la situation deviendrait trop périlleuse ?
Je ne pourrais pas vivre ailleurs. Mes ancêtres sont enterrés ici. Nous les suivrons. Nous ne pourrons pas trahir la mémoire de nos parents qui se sont fait tuer pour cette terre.
Dans votre nouvel album, une chanson porte un titre qui signifie “héritiers du désert”…
Nous sommes les héritiers du désert.
Le peuple tamasheq pourrait-il s’éteindre ? Oui. Tous les Etats dont nous dépendons veulent nous voir disparaître. Nous représentons un obstacle dans leurs négociations avec les multinationales auxquelles ils ont confié l’exploitation des richesses minières, de l’uranium et du pétrole. Ils n’accepteront jamais de leur plein gré que ces terres passent sous notre responsabilité.
La récente découverte de nouveaux gisements risque-t-elle de compliquer votre situation ?
C’est probable.
Une nouvelle rébellion est-elle inévitable ?
Absolument. En tant qu’artiste, à Tamikrest comme à Tinariwen, nous devons exiger une dernière fois, pacifiquement, nos droits à disposer de nos terres, à l’autodétermination.
Comment envisagez-vous la suite de la carrière de Tamikrest ?
Je ne réfléchis pas en terme de carrière. Je ne joue pas cette musique pour moi-même. Je ne cherche pas à avoir une histoire personnelle dans la musique. Tout ce que je fais, c’est porter le message de mon peuple.
Quel âge avez-vous ?
J’ai 25 ans.
Vous avez des responsabilités familiales. La musique, n’est-ce pas aussi le moyen d’apporter un certain bien-être à vos proches ?
Oui. Mais lutter pour ma communauté, c’est lutter aussi pour ma famille.
Votre communauté compte plus que votre famille ?
Elle compte plus que moi-même.
Album Toumastin (Glitterhouse Records)
En concert le 22 juin à Paris (Point Ephémère)
1 commentaire:
Je serai fière et heureuse de pouvoir intégrer cette interview à mon blog, avec votre permission, bien entendu, car elle me semble tout à fait dans l'esprit que je souhaite - du fond du cœur -lui insuffler.
Je n'ai souhaité créer un blog, alors que j'ignore tout de l'informatique et d'Internet, que parce que de France je dispose de facilité d'accès dont ne disposent pas ceux qui ont tant à dire, à communiquer. Je n'ai rien à dire, aucun avis à donner : seulement transmettre et partager
Grâce à ce que vos Frères me font l'honneur et l'amitié de me communiquer par mail.
Nous sommes unis par cette certitude - voire cette évidence - qu'Hawad a exprimé avec la Force et le Génie qui lui sont propres : VOTRE DESTIN VOUS APPARTIENT, il est entre vos mains.
De cela, vous en avez la Volonté, la Force et le Talent.
Merci de l"affirmer et de le clamer pour tous ceux -des vôtres ou des nôtres- qui se seraient laissé envahir par le doute ou l'incertitude.
Je serai présente à votre concert, moi qui ne sors que très rarement, et si je puis formuler un souhait, c'est que vous puissiez nous donner une traduction de vos textes. Cela est essentiel.
Merci à vous,
Salutations fraternelles,
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