L'Afrique en questions n°15,La résilience nigérienne à l'épreuve de la guerre au MaliMathieu Pellerin, Actuelle de l'Ifri, février 2013 |
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« Le silence au nord du Niger précède sans doute la tempête ». Cette inquiétude confiée par un humanitaire touareg basé à Agadez avant l’opération Serval est globalement partagée par les rares observateurs de terrain présents dans la zone. Le système d’intégration des populations touarègues au système politique nigérien, sur lequel nous reviendrons en détails, fonctionne et sert d’amortisseur aux chocs ressentis par la population. Les trafiquants arabes, toubous et touaregs s’affrontent fréquemment sans pour autant remettre en cause pour l’instant l’équilibre sécuritaire de la région. Des cellules islamistes, aujourd’hui présentes dans le nord du Niger, ne semblent pas rencontrer l’adhésion des populations touarègues et n’ont qu’une influence encore mineure. La présente contribution s’attachera à analyser les éléments qui plaident pour une relative résilience nigérienne face aux facteurs de déstabilisation, avant d’en souligner les limites et d’évoquer les risques qui découlent de la guerre au Mali.
L’intégration des populations touarègues comme condition de la paix au Nord
Le nord du Niger est une zone peu couverte par les médias et peu analysée par la recherche scientifique depuis la fin de la dernière rébellion en 2009. Elle est pourtant au cœur des bouleversements qui déstabilisent le Sahel. La situation nigérienne est d’ailleurs singulièrement préoccupante de ce point de vue. Les forces de sécurité nigériennes, composées de 28 000 militaires, policiers, gendarmes et officiers de la garde nationale, sont écartelées entre des dangers présents aux quatre points cardinaux. Au sud, elles doivent lutter contrer les infiltrations d’éléments de Boko Haram, à l’ouest elles font face aux infiltrations de groupes armés ou terroristes maliens. Elles doivent par ailleurs contrôler la très poreuse frontière libyenne tout en assurant une présence croissante à la frontière tchadienne[1].
Depuis la chute de Kadhafi, le Niger est en effet confronté à des défis sécuritaires de premier ordre. Le nord du pays a enregistré l’arrivée de dizaines de milliers d’ishumar (chômeurs) et de quelques centaines de combattants nigériens revenus de Libye, sachant que selon un humanitaire basé à Tahoua, 75 % des Nigériens revenus au pays auraient échappé aux contrôles en traversant la frontière par le désert. Ces pressions migratoires sont intervenues alors que le Niger enregistrait une période de sécheresse intense, qui a été suivie d’inondations meurtrières. Pour l’heure, et malgré les craintes exprimées au lendemain de la chute de Kadhafi, l’équilibre sécuritaire du nord du Niger semble pour le moment préservé.
Le principal risque qui plane au Nord procède traditionnellement de la menace d’une reprise de la rébellion par les populations touarègues et, dans une moindre mesure, par les populations arabes[2]. Sans revenir sur le détail de ces rébellions déjà largement étudiées[3], il convient de noter qu’un système d’intégration a permis à la plupart des ex-rebelles d’occuper des postes administratifs et politiques au sein du régime du président Mahamadou Issoufou[4]. Ainsi Mohamed Anacko de l’Union des forces de la résistance armée (UFRA) est président du Conseil régional d’Agadez, Rhissa Feltou du Mouvement des nigériens pour la justice (MNJ), maire d’Agadez, ou d’Issouf Ag Maha (MNJ), maire de Tchirozérine. C’est également le cas des deux anciens leaders et rivaux du MNJ Rhissa Ag Boula, conseiller du président Issoufou, et Aghali Alambo, conseiller du président de l’Assemblée nationale Hama Amadou. Ces anciens rebelles se voient confier pour mission de pacifier les communautés établies dans le nord du pays. À titre d’exemple, Rhissa Ag Boula a parrainé fin 2011 la cérémonie de remise des armes d’Amoumoune Kalakouwa. Le fait que tous les deux soient membres de la tribu Kel Tadele est un facteur d’inclusion. Le régime a dédié des fonds au désarmement et à la préservation de la paix permettant à d’anciens rebelles reconvertis dans le monde humanitaire de bénéficier d’une rente de situation. C’est le cas des responsables de l’antenne à Agadez de l’ONG Croisade, tous deux ex-chefs de front lors de la rébellion de 2007, ou du dirigeant de l’ONG HED Tamat.
Le président Mahamadou Issouffou semble avoir fait de la question touarègue une priorité nationale, raison pour laquelle il a nommé Brigi Rafini, un Touareg originaire d’Iferouane, d’où est partie la rébellion en 2007, au poste de Premier ministre. Les rumeurs annonçant le remplacement du Premier ministre se sont multipliées depuis un an sans jamais se concrétiser. Son remplacement pourrait en effet être lu comme une remise en cause de l’équilibre politique et provoquer des frustrations dans les communautés du Nord. Preuve que le régime s’attache à pacifier le Nord, trois forums de la paix ont été organisés par les autorités dans les villes d’Arlit en janvier, de Tchintabaraden en avril et à Diffa en juillet 2012. Dans un contexte de pauvreté chronique aggravée en 2012 par une très grave sécheresse puis de violentes inondations, les autorités ont réaffirmé leur volonté de stabiliser le Nord avec l’annonce d’un important plan de développement pour ces régions, censé mettre en œuvre les accords de 1995, une revendication exprimée à l’occasion de chacun de ces forums.
Les limites du système d’intégration
Les indéniables efforts consentis par les autorités nigériennes et les mérites fréquemment vantés du système d’intégration des populations touarègues ne suffisent pas à gérer les fragilités sociales et sécuritaires du nord du Niger. Une première inquiétude tient aux limites du modèle d’intégration évoqué précédemment. La légitimité des acteurs qui le composent est parfois sujette à caution, certains des ex-rebelles (dont nous tairons les noms) étant accusés de ne plus représenter les intérêts touaregs. Un autre paramètre dépasse les acteurs du système, à savoir la fracture générationnelle qui rappelle les circonstances maliennes ayant vu naître le MNA[5]. Le Niger n’a toujours pas entamé sa transition démographique. Avec l’un des taux de natalité les plus élevés au monde (7,1 enfants par femme), la population nigérienne déjà jeune (15 ans de moyenne d’âge) devrait continuer à rajeunir. Certains de ces ex-rebelles reconnaissent d’ailleurs en coulisses de ne pas « tenir » cette jeunesse bouillonnante. Enfin, une dernière limite de ce système concerne le manque d’emprise sur lesishumars et autres combattants revenus de Libye, déracinés, peu intégrés aux réseaux du Nord, parlant peu ou pas tamasheq. Concentrés dans plusieurs petites localités du Nord, ils sont considérés comme les groupes qui peuvent être potentiellement les plus prompts à reprendre les armes.
L’armement généralisé des populations est à cet égard extrêmement préoccupant, la collecte des armes confiée aux ex-rebelles se heurtant fréquemment à la réticence des populations trop inquiètes de se priver du seul instrument leur garantissant une sécurité individuelle et familiale. Outre les caches d’armes héritées de la dernière rébellion, les traditionnels trafics depuis l’Algérie et la Libye sont devenus la principale source d’approvisionnement en armes au lendemain du renversement du colonel Kadhafi. Preuve, s’il en fallait, de cette prolifération d’armes, la chute de leur prix sur le marché local. En juin 2012, un pistolet automatique coutait entre 38 et 54 euros et une kalachnikov entre 80 et 120 euros[6]. En mai 2012, plusieurs dizaines de missiles ont été déterrés à Bilma tandis qu’au second semestre de cette même année, d’importantes quantités d’armes auraient été introduites dans les régions de Tillabéri, Tahoua et Agadez en provenance de la Libye[7].
La même dynamique existe en matière de combattants. À ce jour, il resterait encore 4 000 ex-combattants qui n’ont pas déposé les armes dans le nord du Niger, sans compter les combattants revenus de Libye, même si la grande majorité d’entre eux ont continué leur route jusqu’au Mali. Ces ex-combattants, réfugiés dans les montagnes de l’Aïr, descendent de temps à autre pour dépouiller un convoi de marchandises ou attaquer un convoi de drogue. Ils sont dans le même temps recrutés pour convoyer la drogue d’Agadez jusqu’à la Libye. Il est singulièrement complexe d’évaluer le nombre de personnes qui vivent directement ou indirectement du trafic de drogue mais ce chiffre peut sans nul doute dépasser les 20 000 personnes au Mali et au Niger selon nos estimations personnelles. Depuis le début de l’opération Serval, les trafics de drogue sont en berne au Mali comme au Niger, et le risque est grand de voir une partie des acteurs de la filière mis au chômage et donc potentiellement incités à prendre les armes et à organiser des actions d’envergure dans la région.
Le Niger peut compter sur des forces de sécurité relativement efficaces et sur un système judiciaire qui a fait ses preuves ces derniers mois dans la lutte contre la criminalité organisée et les trafics de drogue. Toutefois, là encore, l’ampleur de la tâche est immense et il est impossible d’assurer à ce jour la sécurité sur tout le territoire du nord du Niger. Outre les règlements de compte fréquents entre marchands d’oignons ou éleveurs et le banditisme résiduel commun à toute zone considérée comme fragile, les trafics de drogue évoqués précédemment font l’objet de nombreux affrontements mortels entre trafiquants. Certains jouissent par ailleurs de relations/protections au sein de l’appareil étatique. De même, l’immensité du territoire rend particulièrement complexe, pour ne pas dire impossible, la surveillance des frontières libyenne et malienne. Avant le lancement de l’opération Serval, il était fréquent que des pick-up d’armes et de combattants viennent de Libye pour rejoindre le front malien aux côtés des différents groupes armés, en particulier le MUJAO. Ces incursions ont parfois donné lieu à de violents accrochages avec l’armée nigérienne.
Le Niger face à la contagion malienne
Le contexte dépeint précédemment permet d’appréhender la manière dont le Niger va devoir gérer les conséquences de la guerre au Mali. À ce jour, rien n’indique que des mouvements armés au Niger soient décidés à rejoindre le front malien, mais certains éléments doivent être considérés avec la plus grande vigilance. Le MUJAO a établi des relations de trafic et des connexions idéologiques avec certains groupes arabes basés à l’ouest du Niger, dans la région de Tassara. Ils représentent plusieurs centaines de trafiquants, lesquels sont parfois en concurrence pour le contrôle de la rente de la cocaïne. Ces relations, fondées sur des appartenances tribales communes, posent la question de la réaction des groupes nigériens à l’intervention malienne et française au nord du Mali. La même interrogation est permise concernant les cellules islamistes radicales implantées au nord du Niger. De ce point de vue, le régime nigérien a une grande responsabilité dans la canalisation de ces groupes, connus et partiellement contrôlés. En outre, les autorités nigériennes sont confrontées au risque de voir affluer des insurgés islamistes depuis le Mali, soit afin de s’implanter au nord du Niger en s’appuyant sur les réseaux embryonnaires existants, soit afin de rejoindre le sud de la Libye, considéré comme l’une des zones refuge les plus probables des jihadistes établis au Mali.
Une seconde inquiétude concerne la réaction des populations touarègues du nord du Niger. L’ensemble des témoignages recueillis localement indique un soutien massif à l’intervention française et une ferme volonté d’éradiquer l’islamisme au nord du Mali. Pour autant, cette neutralité pourrait se trouver mise à mal si l’armée malienne venait à s’adonner à des exécutions sommaires dans les communautés arabe et touarègue, une éventualité quasi inéluctable[8]. En mai 2012, Mohamed Anako déclarait sur RFI : « si la CEDEAO intervenait au Mali, il y aura des jeunes Touaregs du Niger, d’Algérie et de la Libye qui iront combattre aux côtés de leurs frères du MNLA et ça se généralisera ». Les mêmes mises en garde ont été formulées par d’anciens rebelles lors du forum de Tchintabadaren[9] au mois d’avril. À l’heure où ces lignes sont écrites, les forces de la CEDEAO sont en cours de déploiement, une implication ouest-africaine qui suscite l’inquiétude des populations au nord du Niger comme au nord du Mali. Mais la principale inquiétude porte essentiellement sur l’armée malienne[10], auteur de deux bavures à Diabaly contre des populations arabes et touarègues ces derniers mois. La progression annoncée de l’armée malienne au nord du pays risque de s’accompagner de nouvelles exactions qui pourraient radicaliser les communautés arabes et touarègues. Outre le risque d’affrontement entre l’armée malienne et le MNLA, il est à craindre que des combattants et leaders touaregs au Niger se joignent à l’effort de guerre pour s’opposer à l’armée malienne.
[1] Le risque d’une reprise de la rébellion touboue au Tchad demeure sensible au Niger en raison de l’existence résiduelle du mouvement rebelle actif dans le Tibesti, le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT). Surtout, le Niger compte une importante communauté touboue au Nord et abrite quelques leaders et ex rebelles toubous.
[2] Eu égard à la participation minoritaire des Arabes dans la dernière rébellion, en 2007 et au poids démographique secondaire de ces populations.
[3] Voir les travaux de : Yvan Guichaoua, Circumstantial Alliances and Loose Loyalties in Rebellion Making: The Case of Tuareg Insurgency in Northern Niger, Yale University, 2009, 30 p. et Frédéric Deycard, Les rébellions touarègues du Niger : combattants, mobilisations et culture politique, IEP Bordeaux, 2011, 551 p.
[4] Élu président de la République le 7 avril 2011.
[5] Le Mouvement National de l’Azawad (MNA) est un mouvement de jeunes Touaregs né en 2010 et influant dans la région de Kidal. Il était proche de l'Alliance Nationale des Touaregs du Mali (ANTM) d'Ibrahim Ag Bahanga, décédé en août 2011.
[6] Une kalachnikov valait en moyenne 300 euros à la fin de 2011
[7] Selon des sources sécuritaires nigériennes
[8] Ainsi que l’ont montré déjà certains assassinats sommaires à Konna et Diabaly. D’une manière générale, on craint une véritable chasse aux « peaux rouges » (désignation raciste des populations arabes et touarègues parfois utilisée par les autres communautés du Mali). Il semble que les populations arabes et touarègues de villes comme Tombouctou ou Gao aient déjà anticipé ces « chasses aux sorcières » en quittant massivement ces localités.
[9] L’écho est singulièrement fort à Tchintabaraden, ville où s’est déroulé le plus important massacre de populations touarègues en 1990. Plus de 3 000 Touaregs ont été tués par des éléments des forces de sécurité nigériennes.
[10] Et de manière secondaire par les milices dites « de Sévaré ».
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