Français enlevés au Cameroun: "A côté de Boko Haram, Aqmi et le Mujao sont des agneaux"
De nombreuses zones d'ombres entourent encore l'enlèvement d'une famille de sept Français au Cameroun. Le groupe terroriste islamiste du Nigeria fait figure d'accusé n°1. L'éclairage de Bertrand Monnet, qui dirige la chaire de management des risques criminels à l'Edhec.
L'enlèvement mardi d'un collaborateur de GDF Suez et de sa famille alors qu'ils se trouvaient en vacances au nord du Cameroun, braque les projecteurs sur le groupe terroriste Boko Haram du Nigeria, où les otages auraient été emmenés et où règne un véritable business du kidnapping. Très bon connaisseur de la région, Bertrand Monnet, qui dirige la chaire de management des risques criminels à l'Edhec, apporte son éclairage. Il se trouvait d'ailleurs au Nigeria au moment de l'enlèvement et de cette interview dont voici la première partie.
L'extrême nord du Cameroun où a eu lieu l'enlèvement était-il identifié comme risqué?
La zone est située à quelques kilomètres de la frontière nigériane mais il n'y avait pas de signaux permettant de prévoir que Boko Haram allait passer au Cameroun. Ce n'est pas un problème de proximité qui détermine le risque, c'est la capacité à franchir les frontières pour y enlever quelqu'un. Or c'est la première fois qu'ils font ça. Ce n'était pas prévisible. D'autant que le parc naturel de Wasa où s'est rendue la famille kidnappée est un site touristique très connu dans toute la région. Il sert même d'élément de promotion du Cameroun en direction des expatriés.
Vous privilégiez vous aussi la piste du groupe terroriste islamiste Boko Haram?
Il y a une très forte chance qu'il soit effectivement impliqué même s'il est difficile de dire précisément de quelle façon. Il s'agit en effet d'une nébuleuse avec plusieurs sous-groupes dont le plus actif est l'Ansaru. Mais des gens capables de faire ça, il n'y en a pas beaucoup. Certes, le déroulement de l'enlèvement - une interception par 6 personnes sur 3 motos - pouvait suggérer un certain amateurisme. De fait, il y a bien des "coupeurs de routes" au nord du Cameroun, autrement dit, des bandits. Mais, d'après mes sources, ils ont pris un véhicule sur place pour exfiltrer les otages au Nigeria. Je pense donc qu'il s'agit bien d'une émanation de Boko Haram.
Qui était visé selon vous, un salarié expatrié de GDF Suez, des Français ou plus généralement des Occidentaux?
Les Français constituent une cible magistrale depuis le démarrage de l'opération Serval au Mali. La France est devenue le grand Satan des groupes islamistes armés de la région. En s'attaquant à elle, on est sûr de se valoriser. C'est une stratégie marketing qui consiste à faire parler d'eux par l'horreur. A cet égard, prendre en otage une famille française avec des enfants assure un retentissement maximal.
Certaines sources évoquent une séparation des adultes et des enfants. Est-ce que cela peut préparer une libération de ces derniers selon vous?
Il faut déjà être sûr de savoir si quelqu'un a vraiment vu ça. Ensuite, est-ce qu'ils vont garder les enfants, je n'en sais rien. D'après des interviews de professionnels du rapt que j'ai effectués en Colombie, un enfant est un otage difficile: peu mobile - alors que le groupe doit souvent se déplacer-, et pouvant générer de l'empathie. Ce qui est impensable du point de vue d'un kidnappeur. Malheureusement, il faut savoir qu'à côté de Boko Haram, Aqmi, le Mujao ou Ansar Eddine sont des agneaux. Les terroristes de Boko Haram sont des barbares: ils tuent des centaines de personnes toute l'année, mitraillent des églises, lancent des grenades pendant les offices et font des raids dans les villages chrétiens qu'ils transforment en Oradour-sur-Glane. Ce qui déclenche d'ailleurs des représailles contre des musulmans.
Cela augure donc mal de négociations...
C'est une organisation islamiste extrêmement dure. Ils ont déjà tué des otages, un Britannique notamment, et ils ne négocient pas. Un Français (Francis Collomp, ndlr) a été enlevé le 22 décembre par Ansaru, au nord du Nigéria. Or à ma connaissance, de source bien informée, aucun contact n'a pu être noué pour l'heure en vue de sa libération. Ils agissent "à la colombienne", avec un black out qui peut durer des mois si nécessaire, pour mettre le maximum de pression. C'est encore une autre différence avec les prises d'otages des groupes islamistes qui oeuvrent dans le Nord du Mali.
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