jeudi 21 février 2013

Mali-Azawad : la France ne peut pas se contenter d'un simple "appel au dialogue"..


Mali-Azawad : la France ne peut pas se contenter d'un simple "appel au dialogue"
jeudi 21 février 2013
par Masin
http://www.tamazgha.fr/Mali-Azawad-la-France-ne-peut-pas.html
Dans un article sur la Libye publié sur ce même site [1], je souhaitais que l’intervention des alliés contre Kadhafi n’aboutisse pas à la mise en place d’un autre autoritarisme qui priverait la Libye de son authentique identité. Le résultat vous le connaissez : un État islamiste qui, au lendemain de la chute du tyran, décrète la charia. Mais, les Berbères de Libye ont décidé de cheminer dans le sens de leur histoire en s’engageant dans la promotion culturelle et l’internationalisation de la dimension berbère, en plus de la "berbérisation" des espaces publics [2] par l’ouverture d’écoles en langue berbère, du réaménagement de la signalisation urbaine… et ce n’est qu’un début.



C’est, désormais autour de cet axe que s’articule ce présent article. En effet, la question du terrorisme islamiste au Sahel est une affaire cruciale non seulement pour les Africains mais aussi pour le reste du monde. Leur implantation dans cette région ne date pas de ces deux dernières années du fait, d’une part, du repli des islamistes algériens, avec l’aide sans doute de la "holding" DRS – qui prospère dans la manipulation et la gestion de ces groupes- et d’autre part, de la présence d’un ramassis d’énergumènes spécialistes du trafic en tout genre la nuit et islamistes le jour. Au bout de quelques années nous avons vu fleurir sur ce territoire de multiples prédateurs dont le dénominateur commun reste l’idéologie islamiste de conviction ou de circonstance. Les médias, notamment français, nous présentent à longueur de journée cet état de fait comme une menace réelle pour l’Europe en générale et pour la France en particulier. Certains spécialistes, en établissant le parallèle avec l’Afghanistan des Talibans, avancent l’hypothèse d’une occupation du Mali par les islamistes dans un but djihadiste. En d’autres termes, ces islamistes sont à la recherche d’un pays à partir duquel ils vont s’adonner au terrorisme international. Le souvenir du 11 septembre nous hante encore. Cette hypothèse est réelle. Aucune conscience progressiste au monde ne peut accepter une entreprise terroriste. Une intervention s’impose logiquement, d’autant plus que le Mali – que certains médias présentent comme une grande démocratie – ne dispose ni d’une armée ni même de structures démocratique fiables.
La France décide seule, s’engage seule et de façon unilatérale dans une guerre contre le terrorisme islamiste au Sahel. On se gardera de poser la question de savoir si elle le fait uniquement en son nom ou au nom de toute l’Europe, ou encore pourquoi ‘l’oncle Sam’ est toujours absent, lui qui aime tant faire les guerres ! Faut-il encore le rappeler, la France n’a pas reçu de manière explicite un mandat de l’O.N.U, ce qui pose un sérieux problème. Quelques jours après cet engagement, la France, toujours elle, se plaint d’être seule sur le terrain. On a beau donner des chiffres de nombreux contingents africains mais en réalité très peu l’y ont rejoint. Ces réticences sont probablement dues au contexte économique mondial actuel, qui touche plus sévèrement les pays africains depuis des décennies pour ne pas dire depuis toujours.

Voilà donc un sujet pour lequel la France de tout bord politique oublie ses divergences ; elle parle d’une seule et même voix, il n’y a plus ni de droite ni de gauche. Contre le "terrorisme" la France s’est donc retrouvée, enfin ! Et on se pose tout de même la question de ce qui a motivé la France à aller seule, précipitamment. Nous nous gardons alors de penser à d’autres intérêts autres que le terrorisme international. Le partage du monde, le retour sur les sentiers de la colonisation, la décolonisation effective… tout cela n’a pas lieu d’occuper les esprits épris de justice. Mais, qui aurai dit il y’ a 12 mois que "Flanby" pouvait être un chef de guerre ? Le problème est ailleurs ; l’Histoire du monde regorge d’exemples.

Il serait naïf de penser que l’idée d’intervenir militairement au Sahel est conjoncturelle, il s’agit bel et bien d’un projet dormant portant une date d’exécution. Cette intervention aurait été menée le 11 janvier 2012 quel que soit le nom du président. Le problème c’est ce qui n’est pas dit, ou ce que tout le monde feint d’ignorer car pour vendre une guerre en ces temps de vaches maigres il faut un alibi solide et celui de l’islamisme et de l’intégrisme en est un. Le reste se dévoile de lui-même : la ceinture saharienne est l’une des parties les plus riches du continent africain. Une région hautement convoitée par les Chinois, les Canadiens, les Américains notamment et cet intérêt manifeste menace de facto l’esprit de "recolonisation" économique cher à la France, il ne s’agit plus maintenant d’occuper des pays (colonisation de peuplement) mais seulement des sous-sols riches en minerais en contrôlant les structures politiques des pays en question : une nouvelle forme de colonisation. Nous ne savons pas réellement si c’est, comme l’écrit DW [3], en répondant à l’appel à l’aide lancé par le président malien que la France intervient militairement dans le cadre d’une opération baptisée "Serval" ; ou c’est en répondant à celui des multinationales qui pillent le sous-sol touareg. La fin de la France-Afrique alors reste une utopie.


Mine d’uranium d’Arlit dans l’Aïr


Le principal objectif de cette intervention serait "le recouvrement de la totalité, de l’intégrité du territoire malien aux mains des islamistes". Le gouvernement français ne cesse de marteler que "la France n’a pas vocation à rester au Mali". Soit ! Mais, en posant la question épineuse des Touaregs, les langues se délient. Dans une émission de radio [4], Le ministre de la défense J. Y. Le Drian réaffirme les objectifs de l’intervention en se gardant de ne pas trop se prononcer sur les populations touarègues, se cachant derrière des phrases alambiquées telle que "c’est aux Maliens de résoudre leurs problèmes internes, nous sommes là pour vaincre le terrorisme et rendre son intégrité territoriale au Mali, d’aider les Maliens à organiser des élections et enfin former l’armée Malienne,….". Nous sommes donc amenés à se poser la question de savoir le sort que réserve la France aux Touaregs et à l’Azawad. Pourquoi la France insiste-t-elle à ce que personne ne touche aux frontières qui balafrent le paysage du pays Touaregs ?

Il y a quelque chose de pathétique dans la politique française. D’un côté, on ne veut aucunement froisser Alger même si une énorme zone d’ombre entoure l’attaque du site gazier d’In Aménas et le rôle du déploiement des éléments du DRS (Département du renseignement et du service) sur le territoire de l’Azawad depuis des années ; d’un autre on n’a aucune volonté de mettre fin définitivement au terrorisme islamiste dans cette zone puisque pour l’instant on se contente seulement de chasser les intégristes vers les frontières du Niger, de l’Algérie et de la Mauritanie. L’Algérie a, semble-t-il, fermé ses frontières avec le Mali, mais certains témoignages [5] font état de liens étroits entre ces groupes islamistes et les structures du DRS algérien qui assurent le ravitaillement de ces terroristes (soutien logistique depuis 2003) ou encore l’histoire abracadabrante du sinistre Amari Saifi (alias El Para), ex militaire algérien devenu l’islamiste le plus recherché d’Afrique, pris en 2004 par des rebelles tchadiens qui proposent à la France, aux USA et à l’Algérie son extradition et que personne n’en a voulu, ou encore les différentes mises en scène militaires entre de vrais militaires (DRS) et de vrais faux islamistes pour soi-disant libérer des otages dans le désert. Tout cela sent le roussi, c’est pourquoi cette mission "libératrice" parait si peu convaincante.

Le tracé géométrique des frontières au lendemain des "indépendances" des pays du Sahel est arbitraire et injuste : héritage d’une hégémonie française. La France n’avait donc pas tenu compte des spécificités historiques, culturelles et ethniques des peuples de la région. Une sorte de "fourre-tout" où les uns n’ont aucune filiation, aucune histoire commune avec les autres. La décolonisation méprisante. Aussi étonnant qu’il puisse paraître est ce refus de l’entrée de la Turquie dans l’Europe par les tenants du "vivre ensemble". Ce n’est pas cela le sujet.

Le projet d’indépendance du pays touareg ne date pas d’aujourd’hui ; il remonte à l’aube du vingtième siècle. Le fantôme Kawsen hante encore le peuple touareg, ils ont payé cher l’insurrection générale contre l’occupation coloniale Française.
Le découpage frontalier, fait au couteau, qui morcèle le pays touareg, qui coupe le contact entre les populations de la région, entre le Mali, le Niger, la Libye, le Burkina-Faso et l’Algérie, a fait l’objet d’un soulèvement en 1963. En 1990, les Touaregs sous domination malienne et nigérienne se sont soulevés pour revendiquer une autonomie régionale. Depuis 2007, de nombreux groupes touaregs, notamment ceux de l’Azawad, s’organisent pour dénoncer le cantonnement, l’exclusion et la répression qu’ils subissent. Il faut dire que le Mali a perdu le nord : la route goudronnée vers le nord, c’est-à-dire la région de l’Azawad, s’arrête à GAO, pas de centres de soins ni d’infrastructures pour l’éducation et on se pose la question de savoir de quelle intégrité territoriale nous parle-t-on. Après la chute de Kadhafi en 2012, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), fondé principalement par les Touaregs de l’Azawad, revendique clairement l’indépendance de l’Azawad. Ce mouvement qui a pour ligne politique la laïcité, la démocratie et l’intégration des communautés qui composent l’Azawad n’intéresse nullement la France. Au contraire, il n’a pas été épargné par les confusions et les amalgames de la part de certains médias occidentaux, le confondant avec le groupe Ansar-Dine dirigé par Iyad ag Ghali (un Touareg ayant participé au soulèvement de 1990) qui a succombé au pouvoir en acceptant de travailler pour le gouvernement malien (2007) et sans doute "cuisiné" par le DRS algérien, dans le but de brouiller les pistes du soulèvement touareg. En effet, l’Algérie reste hostile et farouchement opposée à l’idée d’indépendance de l’Azawad. L’Etat algérien a une grande part de responsabilité dans le blocage de toute issue qui satisfasse les revendications du MNLA. Derrière le discours minimaliste de la diplomatie française, qui se contente d’un "simple appel au dialogue entre le nord et le reste du Mali", on entrevoit la mainmise de l’Algérie et les pressions qu’elle exerce sur Paris. Appeler au dialogue c’est mépriser les deux belligérants que sont les Maliens (sans institutions politiques véritables et légitimes) et le MNLA (un mouvement de libération et d’émancipation). Pourquoi la France feint d’ignorer la situation que vit la région de l’Azawad ? Pourquoi ce déni des revendications légitimes des Touaregs ? Comment compte-t-elle gérer les souffrances et les camps de réfugiés touaregs ?

Pour régler de façon durable la question touarègue, un simple "appel au dialogue" ne suffit pas, particulièrement lorsque les blessures du passé : répression par l’armée malienne de toute velléité d’auto-détermination depuis 1963 ou récentes [6] : massacres récurrents dans les campements, empoisonnement de puits d’eau, injustice et impunité, exactions, exode massif de la population jeune, racisme contre les populations maures et touarègues sont encore vivaces dans l’esprit de ces laissé-pour-compte de la mission "libératrice" de Hollande. Le refus de la décentralisation de la vie politique, économique et sociale par les gouvernements maliens a engendré de l’exclusion du champ de l’emploi et du racisme anti-touareg : Moussa ag Mohamed et Barka Cheikh furent lâchement supprimés pour le seul tort d’avoir dit au gouverneur (autorité malienne) que ce que vous nous faites est du racisme (élimination des contestataires). La France, avec l’aide de l’Europe, a promis au Mali de remettre sur rail l’armée malienne pour prendre le relais le moment voulu. Peut-elle garantir le respect des droits de l’Homme et le respect de la dignité humaine dans cette région ? Va-t-elle laisser faire l’armée malienne comme ce fut le cas durant les massacres des années 90-96 ? Le scénario sordide que l’on peut craindre est celui de la vengeance : une fois "l’intégrité du Mali" retrouvée, l’armée malienne aura le destin de l’Azawad en les mains et ce sera la porte ouverte au nettoyage ethnique (chasse à l’Homme, confiscation des biens et exécutions sommaires), sachant que c’est le MNLA qui a chassé l’armée malienne du nord. La France doit donc fournir à la communauté internationale et aux populations berbères (du nord et du Sahel) les garanties indispensables et fondamentales. Il ne peut y avoir de demi-mesure dans le registre des droits Humains. Elle ne doit pas transiger entre la dignité, la citoyenneté, l’égalité, la justice, la liberté et la solidarité, essences même des droits de l’Homme. Sinon qu’elle arrête de nous "bassiner" avec son idiome de "patrie des droits de l’Homme" depuis le 26 août 1789. Comme le dit si bien Ali Yahia Abdennour" [7]Que la force de la raison, triomphe de la raison de la force car la violence mène l’homme qui n’éprouve pas d’états d’âme en la pratiquant, vers le règne animal et sa loi implacable du talion. Il faut exclure l’exclusion et être intolérant avec l’intolérance". Cela dit, espérons que la résolution des problèmes maliens ne se fasse pas sans ceux de L’Azawad. Désormais, la mission "libératrice" doit profiter aux deux camps.

Mestafa G’idir.
Aix-en-Provence, le 2 février 2013
- Lire également l’excellent article de Gérard Lamari : "Du Sahel convoité : de l’offensive galopante de l’impérialisme et du désarroi des Berbères".

Notes

[1] Mestafa G’idir, "A propos de la Libye : et les Berbères ?", Tamazgha.fr  : http://www.tamazgha.fr/A-propos-de-...
[2] Saïd At Teyyeb, "Quelles perspectives pour les Berbères de Libye ?", Tamazgha.fr  :http://www.tamazgha.fr/Quelles-pers...
[3] "Mali : la France intervient, la Cédéao se mobilise", DW.de  : http://www.dw.de/mali-la-france-int...
[4] Émission de Patrick Cohen avec J.Y. Le Drian/. France inter (jeudi 31/01/2013 : 7h-9h).
[5] Hélène Claudot-Hawad, "Business, profits souterrains et stratégie de la terreur. La re colonisation du Sahara",Tamazgha.fr : http://tamazgha.fr/Business-profits....
[6] "Paroles touarègues", émission "Les Pieds sur terre", de Sonia Kronlund, France Culture, le 30 janvier 2013 :http://tamazgha.fr/Paroles-touaregu...
[7] Ali -Yahia Abdennour : La dignité humaine, éditions Inas, Alger, 20

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