Au Mali, l'armée française embarrassée par les bavures des militaires maliens
Les soldats du Mali et de la France devraient travailler la main dans la main, en attendant le renfort des troupes africaines, dans la lutte contre les djihadistes. Mais la désorganisation de l'armée malienne et les accusations d'exactions qui pèsent sur elle jettent un sérieux trouble.
Dans les relations entre les armées malienne et française, il y a un "avant" et un "après" dimanche 9 février. Ce jour-là, les militaires ont subi une attaque de djihadistes, plusieurs heures durant, dans le coeur de Gao, une ville dans l'est du Mali, libérée deux semaines plus tôt. Après quelques heures, l'armée française a fini parbombarder le commissariat de la ville, ex-siège de la "police islamique", où s'étaient retranchés des djihadistes armés.
"A présent, les Français nous consultent davantage", constate un commandant malien. De son point de vue, l'opération du 9 février ne peut s'apparenter à une victoire: "Toutes ces munitions gaspillées et tout ce boucan en ville, pour cinq hommes seulement! Si nous avions disposé simplement de quelques grenades lacrymogènes, ils seraient sortis de leur trou." Beaucoup de bruit pour rien, alors? Voire. Pour un autre commandant, la puissance de feu employée ce jour-là était indispensable, car dissuasive. Lesislamistes armés qui se cachent dans les villages à proximité de Gao ont compris à quoi ils s'exposent en cas d'attaque. Ils seraient nombreux en direction du nord, en particulier, le long du fleuve Niger et de la route qui mène à Bourem, une ville située à 80 km de Gao, dont les soldats français et maliens ont pris le contrôle, samedi 16 février.
Les réticences de l'armée française
Mais que s'est-il passé, au juste, le 9 février? Les combats ont commencé quelques heures après que deux kamikazes se sont fait sauter au check-point de la route de Bourem, précisément, et que des djihadistes ont infiltré la ville, aidés par certains habitants de Gao. Les troupes maliennes ont alors demandé l'appui des Français; il s'agissait, en priorité, de quadriller la ville et de procéder à des fouilles dans les maisons. Mais les militaires français ont refusé: il semble, en substance, que Paris veut éviter d'être associé trop étroitement avec une armée soupçonnée d'êtreincapable de contrôler ses troupes et d'éviter les bavures. Une attitude comprise par le colonel-major Didier Dacko: "Je ne leur en veux pas de ne pas être venus tout de suite. C'était la toute première fois que nos deux armées se trouvaient face à l'ennemi commun, sans réelle coordination." A Konna, à la mi-janvier, seules les forces spéciales françaises accompagnaient l'armée malienne.
Avec le recul, la prudence des Français semble bien inspirée: "Si l'armée française avait tiré à tout bout de champ, on l'aurait montrée du doigt et accusé de mettre en danger la vie des civils", estime Dacko.
Les gradés de l'armée malienne eux-mêmes confirment les exactions menées par certains de leurs hommes. L'Etat-major enchaîne les réunions pour tenter d'éviter les bavures et s'efforce de sanctionner les coupables.
Les officiers maliens soulignent que les "bavures" ne peuvent être évitées au sein de leur armée désorganisée, avec des soldats amers et violents, pour certains. Au sein des troupes, beaucoup reprochent à la population de Gao sa passivité lors de l'attaque djihadiste, au début de 2012.
Les gradés, eux, sont plus pragmatiques: "Nous, militaires maliens, nous étions plus de 1000; en face, il y avait moins de 300 combattants. Nous devons être capable de faire notre autocritique", souligne le chef des forces spéciales maliennes, le commandant Abbas Dambélé. Faut-il réorganiser l'armée, alors? "Le mot est trop faible!", répond Moh Traoré, commandant du 34è régiment. Une refonte totale s'impose, ajoute Didier Dacko: "Notre armée est à l'image exacte de notre pays. Le coup d'Etat a accéléré sa putréfaction".
Si les habitants de Gao ont accueilli les armées dans la liesse, la peur a désormais pris le pas. Conscient de cet écueil, l'état-major malien enchaîne les réunions sur les mesures à prendre pour calmer des soldats parfois incontrôlables. Certains militaires procèdent à des fouilles de maisons suspectes sans être accompagnés de gendarmes, et en profiteraient pour récupérer motos, frapper de potentiels suspects, ou encore égorger du bétail, par simple esprit de revanche. "C'est du pillage, reconnaît Didier Dacko. Ils agissent par manque d'éducation et de formation. Face à un homme en uniforme, que peut faire un habitant? Il obtempère, bien sûr. Et il nous est quasiment impossible de retrouver les soldats auteurs de ces actes."
>>> Lire aussi, Dans la maison du djihadiste Mokhtar Belmokhtar
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