ACTU-MATCH | MERCREDI 20 FÉVRIER 2013
OTAGES. NÉGOCIATIONS SECRÈTES
Image extraite d’une vidéo des sept otages enlevés à Arlit, au Niger, le 16 septembre 2010. Tous étaient des expatriés travaillant pour Areva ou pour une succursale de Vinci. Cinq sont des Français. Le rapt a été revendiqué par Aqmi. Françoise Larribe et les deux Africains ont été libérés en février 2011. | Photo DR
Paru dans Match
Les rançons payées au Mali par Paris financent l’achat des armes des terroristes en Libye
Quand il a lu sur Internet que l’ex-ambassadrice américaine au Mali, Vicki J. Huddleston, affirmait que la France avait versé 17 millions de dollars pour la libération de trois otages aux mains d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique), l’ancien chef rebelle, Touareg nigérien, a esquissé un sourire. Depuis cette époque, il est devenu ministre et reste un acteur de l’industrie minière dans son pays où ont été enlevés, en septembre 2010, sept employés d’Areva et de Satom qui travaillaient à Arlit, dans les mines d’uranium. Si ce Nigérien est aujourd’hui désabusé, c’est qu’il a l’impression d’un gâchis à propos des otages.
Proche d’Areva et issu d’une famille apparentée au clan iforas, du nom du massif malien où sont retenus les Français, le Touareg effectue, dès le 22 septembre 2010, moins d’une semaine après l’enlèvement, un premier voyage d’un mois au Mali pour rencontrer le chef des ravisseurs, Abou Zeid. Il y en aura, en tout, une dizaine. Il est mandaté par le gouvernement de transition, inquiet de cette attaque qui a mis un coup d’arrêt à la première source de revenus du Niger. En ce qui concerne les otages, il a pour mission de « suivre le dossier et éventuellement chercher leur libération ». Avec des cousins d’Agadez, l’ex-rebelle file à Kidal, la capitale du pays touareg malien. Il attend cinq jours un contact qui l’envoie à Tessalit, à une centaine de kilomètres de la frontière algérienne, occupée aujourd’hui par les soldats français et tchadiens.
Au bout d’une semaine, rendez-vous est pris pour le 15 octobre dans la montagne. « Je l’ai raté à cause d’un ennui mécanique », me dit-il. Le 18, il rencontre enfin Abou Zeid, auquel il a été recommandé pour son sérieux et sa probité. L’émir est intéressé, sinon flatté, de recevoir l’émissaire des plus hautes autorités d’un pays sur lequel il espère étendre son influence. « Nous avons mangé et dormi à côté de nos véhicules, se rappelle le Nigérien. Il m’a dit que les Français sont des mécréants avec lesquels il est en guerre. Civils ou militaires, il n’y a pas de différence pour lui. Les prendre en otage est donc normal. Je lui ai parlé de la dame malade et des deux otages africains, qu’il pouvait relâcher car ils desservaient sa cause. Il n’était pas contre, mais n’envisageait pas de scinder le groupe pour le moment. » Le Touareg propose, au nom d’Areva, 1 million d’euros par tête pour ces trois-là. « Tu arrives trop tard, me dit-il. J’ai donné ma parole aux Maliens il y a cinq jours. »
De retour à Niamey, l’émissaire remet un rapport à son gouvernement, qui ne cache rien à l’ambassade de France et reçoit la visite d’un officier traitant de la DGSE, avide de savoir car, dit-il, « les Maliens ne disent rien ». En fait, Paris est déjà en relation avec Abou Zeid. Un hasard. Le directeur des relations extérieures d’Air France, de sensibilité de gauche, qui fut jadis proche du président burkinabé Sankara et des rebelles touareg, a appelé un de ses amis maliens, le député touareg Ahamada Ag Bibi. « Les otages ? On peut arranger le contact. Ce n’est pas difficile ! » dit le Malien au détour de la conversation. Le directeur prend ces paroles au sérieux car il sait que le député roule pour Iyad Ag Ghali, leader de la rébellion des années 90 et chef traditionnel des Iforas qui peuplent le massif où se trouvent les otages gardés par Aqmi.
A N’DJAMENA, ON SE SOUVIENT DES COUPS DE GUEULE DUNOUVEAU NÉGOCIATEUR. SES MÉTHODES EXPÉDITIVES NE PLAISENT GUÈRE
Mieux : le directeur a ses entrées depuis longtemps chez ATT, Amadou Toumani Touré, le président malien renversé depuis par un coup d’Etat. Il en parle au président d’Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta, qui prévient Claude Guéant. Le secrétaire général de l’Elysée donne son feu vert pour que cette filière soit exploitée. ATT a fixé le cadre : 2 à 3 millions pour la femme et les deux Africains, pas plus. Ce sont les plus faciles à libérer car, en fait, Abou Zeid n’en veut pas. La négociation est en cours mais, fin novembre, les choses se gâtent. Bibi, le député, gêné, confie à son ami qu’un autre Français est entré dans la boucle. Il dit avoir été envoyé par Sarkozy et dénigre le directeur d’Air France, qu’il considère comme un amateur, et propose plus cher. L’inconnu reprend la même filière touareg, puisqu’il n’y en a pas d’autre, en pratiquant la surenchère.
Ancien colonel du service action de la DGSE, Jean-Marc G. était conseiller du président tchadien en 2008, quand celui-ci faillit être renversé par les rebelles. A N’Djamena, on se souvient de ses coups de gueule et de ses relations exécrables avec l’attaché de défense de l’ambassade. Poussé vers la sortie de la DGSE, on le croise aussi chez le président Bozizé de République centrafricaine, pour des prestations assurées grâce à la société qu’il a créée en Suisse. Il obtient un contrat pour la sécurité de Satom, une filiale du groupe Vinci, qui construit des routes au Mali. Plusieurs otages étant employés par Satom, il s’impose comme négociateur. Sans mal car, pour l’Elysée, la France ne négocie pas. Ce travail est donc privatisé auprès d’un ex-officier qui rend compte à la DGSE. L’honneur de la République est sauf. Chez Areva, la sécurité du groupe a été confiée à un ancien général de la Direction du renseignement militaire, proche de Jean-Marc G. Il est décidé que cet ex-officier et sa société seront mandatés pour tous les otages, ceux de Satom mais aussi d’Areva. Exit donc, avec menaces à l’appui, le directeur d’Air France. A Bamako, les méthodes expéditives du nouveau négociateur français ne plaisent guère. Peut-être parce que les caciques du régime voient les tarifs monter pour des intermédiaires, sans toucher leur part. Parrainé par Iyad Ag Ghali, qui vient d’entrer à nouveau en dissidence, Jean-Marc rencontre une première fois Abou Zeid. « Il a refusé de le recevoir pendant dix jours, me dit l’émissaire touareg nigérien qui, à la mi-décembre 2010, entame son second voyage.
Il ne l’a pas salué, parce que c’est un infidèle. Le négociateur lui a dit qu’il venait non pas de la part du gouvernement français, mais pour Vinci. Abou Zeid ne l’a pas cru. » Contre les otages, l’émir demande une rançon, mais aussi la libération de prisonniers, comme ce fut le cas pour Pierre Camatte. Sur la pression de Nicolas Sarkozy, ATT avait cédé, avec réticence. Cette fois-ci, on ne lui demande pas son avis. Un Tunisien d’Aqmi, qui a pourtant commis un attentat contre l’ambassade de France au Mali, s’échappe comme par hasard de prison en janvier 2011. ATT est furieux. Il limoge son directeur de la sécurité d’Etat, le colonel-major Mami Coulibaly, qui travaille, contre récompenses, selon son propre aveu au chef de l’Etat malien, pour le Français. L’« évasion » du terroriste, qui sera repris plus tard, est en réalité un gage pour Abou Zeid, qui a dressé une liste d’islamistes à libérer en Mauritanie, au Pakistan et en Algérie. Le 25 février 2011, Françoise Larribe et les deux Africains sont libérés. Ils sortent par le Niger, ATT ayant refusé qu’un avion aille les chercher. Est-il furieux parce qu’il n’a pas touché sa commission ? Ou bien, plus probablement, ne digère-t-il pas qu’Aqmi et les rebelles touareg qui ont à nouveau pris les armes contre son régime, se partagent avec Aqmi quatre fois plus que ce qu’il avait autorisé, soit 12 millions d’euros, réglés par les sociétés françaises, sans compter la prestation du négociateur. Ce qui correspond aux 17 millions de dollars annoncés par l’ex-ambassadrice américaine.
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