Mali: "Nous sommes en première ligne contre les djihadistes"
Par - Date: 11 Juillet 2012 31 réactions Article lu 2114 fois (actualisé toutes les 30mn)
Alors que son dernier bastion du nord du Mali vient de tomber aux mains des islamistes, ce mercredi soir, le Mouvement national de libération de l'Azawad se dit "en guerre" contre ces groupes, explique son porte-parole interrogé par L'Express.
La terreur et la confusion règnent au nord du Mali. Trois mois après avoir conquis militairement cet immense territoire désertique, puis déclaré son indépendance, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), majoritairement touareg, a été délogé des principales villes du nord par les groupes djihadistes alliés d'Aqmi. Ce mercredi soir, des sources citées par l'AFP affirment que les rebelles ont même été chassés de leur tout dernier bastion, Ansogo, situé près de Gao. Dans cette ville comme à Tombouctou, la charia s'impose par la force à la population et les islamistes détruisent les monuments "impies".
Alors que la communauté internationale évoque l'envoi d'une force d'intervention pour rétablir l'autorité malienne, Moussa ag Assarid, porte-parole du MNLA, livre à L'Express son analyse de la situation.
Fin juin, le MNLA a été chassé des villes du nord par les groupes islamistes armés. Cela ressemble à une débâcle...
Ce n'est pas une débâcle, croyez moi! Nous avons dû quitter la périphérie de Tombouctou et évacuer le siège du gouvernorat de Gao où nous avions établi notre Conseil transitoire de l'Etat de l'Azawad [le gouvernement provisoire proclamé unilatéralement par la rébellion]. A Gao, nous avons été attaqués à l'arme lourde par des hommes du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et d'Aqmi, commandés notamment par Mokhtar Belmokhtar, l'un de leurs émirs. Les gens du Mujao nous ont accusés d'avoir assassiné un professeur de la ville, ce qui est totalement faux... Ils ont payé des jeunes de la ville pour manifester contre nous et même leur servir d'auxiliaires. Nos forces armées étaient stationnées dans un camp militaire hors de la ville et près de l'aérodrome. Nous avons préféré ne pas répliquer à l'arme lourde, pour ne pas provoquer un carnage [les combats ont fait au moins 20 morts].
Nous préparons notre riposte
Actuellement, les forces du MNLA sont repliées à une trentaine de kilomètres au nord de Gao et à 60 kilomètres de Tombouctou. Nous préparons notre riposte. Mais, en dehors de Tombouctou et Gao, nous sommes présents sur tout le territoire ainsi que sur les frontières avec la Mauritanie, l'Algérie, le Niger et le Burkina-Faso et... le Mali.
Quand le MNLA a lancé son offensive contre l'armée malienne, en janvier dernier, pourquoi n'a-t-il pas tenté d'abord de chasser Aqmi et ses alliés? Ces mouvements djihadistes vous ont ensuite pris de vitesse...
Notre priorité est le combat pour l'indépendance de l'Azawad [le nord du Mali]. Entre janvier et mars, il nous était impossible d'être sur deux fronts à la fois: nous ne pouvions pas nous préoccuper des groupes djihadistes tant que nous avions l'armée du Mali sur le dos... Effectivement, ces mouvements ont profité de notre avancée pour s'installer dans les villes. Puis ils se sont retournés contre nous, car nos buts et nos revendications sont totalement opposés. Nous luttons pour un territoire indépendant, où toutes les populations de l'Azawad - Touaregs, Peuls, Songhaïs, Maures, peuvent décider de leur avenir et cesser d'être considérés comme des citoyens de seconde zone par l'Etat malien. Aqmi, le Mujao et Ansar ed-Dine, eux, veulent imposer leur interprétation fanatique et terroriste du Coran. Ce qu'ils veulent, c'est établir un émirat salafiste. Au Mali, pour Ansar ed-Dine; dans tout le Sahel pour Aqmi et le Mujao...
Vous avez pourtant fait cause commune avec Ansar ed-Dine [dirigé par Iyad ag Ghali, ancien chef rebelle touareg des années 1990]. Jusqu'au début du mois de juin, des négociations étaient en cours pour fusionner vos deux mouvements...
Ces négociations ont suscité beaucoup de débats au sein du MNLA. Mais elles ne sont pas allées très loin, car nous n'étions pas d'accord sur l'instauration d'un Etat religieux dans l'Azawad. Nous avons été un peu naïfs et peut-être trop démocrates avec des gens qui ne veulent pas de la démocratie. Nous avons pensé qu'une aile islamiste "modérée" pouvait exister dans notre futur gouvernement. Mais Ansar ed-Dine veut imposer un Etat religieux, basé sur la doctrine wahhabite, totalement étrangère aux traditions des populations locales. Regardez ce qu'ils font à Tombouctou: ils interdisent tout, infligent des châtiments corporels, détruisent les mausolées de nos savants et de nos ancêtres. Nous avons condamné chacune de leurs exactions et le fossé s'est définitivement creusé quand, début juin, à Kidal [à 290 kilomètres de Gao], Ansar ed-Dine a réprimé, à coups de bâton, une manifestation de femmes qui refusaient l'application de la charia.
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afp.com/Issouf Sanogo
La rupture avec Ansar ed-Dine est-elle définitive?
Elle est totale. Nous sommes en guerre contre Ansar ed-Dine, comme nous le sommes contre Aqmi, le Mujao et Boko Haram qui envoie des djihadistes dans la région. En réalité, tous ces groupes servent les intérêts d'Aqmi. Ils bénéficient de leur logistique, de leur appui financier. Ils ont beaucoup d'argent provenant des rançons des enlèvements et du trafic. Nous savons aussi que le Mujao est soutenu financièrement par un Etat, voire plusieurs. Ils ont de l'armement lourd. Nous en avons aussi. Ils sont déterminés. Nous le sommes aussi. La différence, c'est que nous ne sommes soutenus par personne...
D'ailleurs, la communauté internationale, notamment les pays de la Communauté économique des états d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), étudie la possibilité d'envoyer une force d'intervention pour rétablir la souveraineté malienne au nord...
Cette intervention, elle se ferait au nom de la fameuse intangibilité des frontières? Mais, depuis des années, l'Etat malien n'a rien fait pour protéger les frontières du nord et les populations de l'Azawad des agissements d'Aqmi et de ses alliés. Les premières victimes du terrorisme et du fanatisme, ce sont les populations locales!
Depuis des années, l'Etat malien n'a rien fait contre les agissements d'Aqmi et de ses alliés
Par ailleurs, je ne vois pas comment une force armée interafricaine arriverait à déloger simultanément les forces du MNLA et les groupes terroristes... Ce que devrait comprendre les Occidentaux, c'est que nous sommes en première ligne contre ces terroristes. Nous les connaissons mieux que quiconque, nous disposons de sources renseignements au sol irremplaçables. Si la communauté internationale, nous apportait un appui aérien et un soutien logistique, nous serions les mieux placés pour débarrasser la région des djihadistes.
C'est totalement irréaliste, d'autant plus qu'il s'agit de rétablir la souveraineté malienne dans le nord...
Cela peut sembler irréaliste, mais face à la menace djihadiste, il peut y avoir des intérêts communs. Les groupes terroristes sont soutenus discrètement par des puissances extérieures, pourquoi leur ennemi immédiat, c'est à dire le MNLA, ne pourrait-il pas l'être? Il faut avoir à l'esprit que les djihadistes menacent non seulement les pays de la région, mais aussi les intérêts occidentaux. Aqmi s'est déclaré en guerre contre la France. Une fois l'Azawad débarrassé de ces groupes terroristes, le MNLA pourrait entamer des négociations avec l'Etat malien pour trouver une solution politique. Cela paraît impossible? Ce qui est absolument impossible, c'est de négocier avec les terroristes islamistes.
Propos recueillis par Boris Thiolay, publié le 11/07/2012 à 20:25, mis à jour à 20:28
Source: L'express
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