mercredi 18 juillet 2012


Mali: Compromis ou usage de la force dans le Nord ?

DAKAR, 17 juillet 2012 (IRIN) – Après le coup d’État militaire qui s’est soldé par le renversement du président Amadou Toumani Touré et la prise de contrôle du nord du Mali par des groupes rebelles, les négociateurs régionaux sont désormais confrontés à une crise politique et sécuritaire complexe nécessitant la formation rapide d’un gouvernement crédible et une certaine prudence concernant la possibilité d’une intervention armée, indiquent des experts.
Au nord du pays, une grande partie du désert, y compris les villes-clés de Tombouctou, Gao et Kidal, est passée sous le contrôle d’Ansar Dine, un groupe islamiste lié à Al-Qaïda qui applique la loi islamique de façon stricte et souhaiterait l’imposer dans le reste du pays. Le gouvernement de transition, qui n’a pas été élu, affiche des faiblesses, et son chef, le président Dioncounda Traoré, qui a été pris à parti et blessé par la foule dans l’enceinte du palais présidentiel en mai, se trouve toujours à l’étranger.
L’insécurité entrave le déroulement des opérations d’aide humanitaire dans le Nord, et la population déjà affectée par une grave sécheresse sombre un peu plus dans la détresse. Plus de 340 000 Maliens ont fui leur domicile pour s’installer dans les régions et les pays voisins.
Les efforts de paix déployés par l’organisation régionale, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’ont pas encore porté leurs fruits et l’envoi d’une force composée de 3 000 soldats est évoqué. La CEDEAO a demandé l’autorisation de déployer cette force, mais le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé davantage de détails sur sa mission.
« Sans un large soutien des pays occidentaux, toute intervention militaire serait très difficile. La situation pourrait devenir cauchemardesque dans toute l’Afrique de l’Ouest », a dit Jeremy Keenan, un professeur et chercheur associé de l’École d’études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres.
« S’il n’y a pas de gouvernement à Bamako [capitale du Mali], il sera très difficile d’intervenir. Il faudrait un gouvernement reconnu immédiatement. Sans cela, il sera très difficile de passer à l’étape suivante, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un processus de paix », a dit M. Keenan à IRIN.
Les milices rebelles qui ont renversé M. Touré en mars ont indiqué que le coup d’État était une réponse à l’échec du gouvernement face à la rébellion touareg dans le Nord, mais le vide laissé par le pouvoir à Bamako, au Sud, a permis aux insurgés de conquérir des territoires et de consolider leur présence, alors que les troupes gouvernementales offraient peu de résistance.
Les ambitions contradictoires des combattants touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et des miliciens islamistes d’Ansar Dine ont anéanti la brève alliance conclue après le coup d’État, les islamistes dénonçant les revendications séparatistes des touaregs laïcs, qui ne soutiennent pas l’interprétation stricte de l’islam que leurs camarades d’arme appellent de leurs vœux.
Après des guerres intestines sanglantes, les combattants d’Ansar Dine ont vaincu les rebelles touaregs à Gao avant de détruire des mausolées classés au patrimoine mondial de l’UNESCO dans la ville de Tombouctou, où ils ont également provoqué l’indignation des habitants forcés de respecter leurs lois strictes. Les combattants d’Ansar Dine auraient posé des mines autour de Gao pour prévenir toute contre-attaque.
« Ansar Dine et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) sont comme des criminels internationaux, habitués à mener toute forme d’actions terroristes », a dit Abba Maïga, un entrepreneur de Gao dont les activités de construction souffrent depuis le début de l’occupation islamiste.
« Ils prétendent agir au nom de l’islam, dont ils devraient défendre les valeurs. Malheureusement, ces criminels transgressent les interdits de l’islam – ils volent, violent, tuent, mentent et ont des mœurs légères », a-t-il dit.
Issa Mahamar de Tombouctou a dit, « Ansar Dine est composé de trafiquants de drogue et d’armes ».
À la fois du mois de juin, les habitants de Kidal ont organisé une manifestation contre les Islamistes, qui ont violemment dispersé les manifestants.
Les soldats sénégalais et maliens s entraînent avec les forces spéciales américaines au Mali photo d ‘archive
« La Constitution dit que le Mali est un pays laïque. Les membres d’Ansar Dine se comportent mal  – ils ne sont pas du tout populaires à Kidal », a dit un habitant de la ville qui s’est présenté sous le nom d’Imrane. Il a indiqué qu’il faisait partie d’un mouvement régional de jeunes et que la résistance contre Ansar Dine s’organisait.
Certains craignent que la crise malienne ne déstabilise les États voisins, qui accueillent déjà des milliers de réfugiés. L’absence d’autorité ou de contrôle gouvernemental dans le nord du pays pourrait permettre aux groupes extrémistes liés à Al-Qaïda de trouver un refuge.
« La crise constitue une menace pour la stabilité régionale, même si elle a été en grande partie circonscrite au Mali pour l’instant. Des groupes rebelles islamiques présents au Mali veulent imposer l’application de la charia [loi] dans le Sahel. Et le coup d’État du 22 mars est un revers pour la démocratie en Afrique de l’Ouest », a dit Paul Melly, journaliste et chercheur associé du programme Afrique de Chatham House, un groupe de réflexion britannique.
Les touaregs nomades du Mali mènent une insurrection pour défendre leurs droits territoriaux et culturels dans le Nord depuis le début des années 1990. Leurs attaques se sont intensifiées au cours de ces dernières années ; en janvier, ils ont lancé une offensive contre les troupes gouvernementales. Suite à l’arrivée des combattants islamistes d’Ansar Dine et à l’afflux d’armes après la guerre civile en Lybie en 2011, ils se sont facilement emparés du nord du Mali en profitant du coup d’État à Bamako.
Cependant, le MNLA ayant perdu du terrain face à Ansar Dine, un règlement négocié de la crise apparaît de plus en plus compliqué, l’incertitude demeurant quant à l’intérêt des islamistes pour la stabilité et la paix au Mali.
Les observateurs indiquent que le nord du Mali abrite désormais une multitude de groupes armés, d’extrémistes religieux, de rebelles laïcs, de sécessionnistes et de bandits qui ont des intérêts concurrents, y compris des activités criminelles comme les trafics de drogue, de personnes et de biens. Une résolution pacifique devrait néanmoins permettre le rapprochement des principaux acteurs, y compris des membres d’Ansar Dine qui ne s’opposent pas aux négociations.
Les discussions devraient porter sur les causes de la crise malienne, et notamment l’absence de gouvernement démocratique inclusif, la détresse des Maliens qui vivent dans le nord du pays, et le rôle joué par l’armée dans la démocratie du pays, a dit David Zounmenou, un chercheur du groupe de réflexion sud-africain « Institute for Security Studies » (Institut d’étude sur la sécurité).
« La première étape consiste à restaurer la cohérence politique à Bamako », a dit M. Zounmenou, notant que les relations sont tendues entre le Premier ministre Cheick Modibo Diarra et le président Traoré.
« L’étape suivante consiste à profiter de l’opportunité offerte par Ansar Dine – certains de ces membres sont prêts à négocier ».
M. Melly de Chatham House a indiqué que le MNLA serait ouvert aux discussions, particulièrement après la perte de Gao, tandis qu’Ansar Dine accepterait de négocier pour protéger ses intérêts économiques.
« Ansar Dine est ouvert au compromis. La question des intérêts économiques – le trafic de drogue, de cigarettes, de personnes dans le Sahara – est rarement abordée, mais elle est centrale. Certains rebelles bénéficieront peut-être davantage de la protection de leurs intérêts économiques que de la protection de leurs intérêts idéologiques, mais le gouvernement doit se montrer prudent, car il ne doit pas donner l’impression de participer aux trafics », a dit M. Melly à IRIN.
Le Mali trouvera la paix ou s’enfoncera dans une crise similaire à la guerre civile sans fin qui affecte la Somalie, auquel cas une intervention militaire sera nécessaire, a dit M. Zounmenou.
« Le principe de la responsabilité de protéger entraînera une intervention militaire. C’est extrêmement difficile et je ne pense pas qu’un pays accepte de prendre cette responsabilité ».

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