mardi 17 juillet 2012


Mali: comment arrêter les fous de Dieu ?

-Nouvel Observateur-Créé le 17-07-2012 à 11h01 -
Prudence à l’ONU, méfiance à Alger, chaos politique à Bamako. Une opération militaire contre les salafistes n’est pas pour demain.
Le drapeau noir des salafistes pourrait bien flotter encore un moment dans le ciel sinistre de Tombouctou, Kidal et Gao. Tombées une à une en moins d’un trimestre entre les mains de fanatiques islamistes, les trois grandes villes du nord du Mali seront longtemps privées de fêtes, de foot, d’alcool, de cigarettes et de tout contact physique entre hommes et femmes en public. Même la destruction des mausolées de saints musulmans de Tombouctou, au nom d’un islam ultraradical, n’aura pas ébranlé le Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour la troisième fois, il a retoqué la semaine dernière un projet d’opération militaire pour libérer le désert septentrional malien du joug de ses nouveaux maîtres. Il faut dire que la route du Sahel est semée d’embûches.

L’impossible intervention

La junte qui a renversé, le 22 mars, le président Amadou Toumani Touré refuse, dans son orgueil blessé, de voir des forces étrangères reconquérir les territoires qu’elle a perdus. Depuis que les rebelles touaregs du MNLA, profitant de la confusion du putsch, se sont emparés de la moitié nord du pays en charriant dans leur sillage les islamistes, la capitale malienne s’enfonce dans une crise dont personne ne voit le bout. Le capitaine putschiste Sanogo continue de dicter ses conditions à un gouvernement civil de transition sans grande légitimité et privé de son président par intérim, soigné à Paris depuis qu’il a été laissé pour mort par des manifestants projunte venus assiéger son palais. Le marasme est tel que l’on se demande s’il ne faudrait pas d’abord intervenir militairement à Bamako.
Mais si l’ONU tergiverse tant, c’est surtout par crainte d’un enlisement dans les sables des confins du Mali. Elle juge très hasardeux le projet d’opération militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Lâcher 3 000 hommes dans un désert grand comme une fois et demie la France face à des combattants qui en connaissent la moindre dune et qui ont récupéré dans les arsenaux libyens des missiles pouvant abattre des avions ? Autant dire aller au casse-pipe. D’autres options sont sur la table : une force sous commandement de l’Union africaine (UA), la remise sur pied de l’armée malienne et même la réactivation de l’état-major commun au Niger, au Mali, à la Mauritanie et à l’Algérie, qui n’a jamais vraiment servi. Mais après ? Quelle solution politique proposerait-on au Nord s’il n’y a toujours pas d’interlocuteur digne de ce nom à Bamako ?
Le clan des va-t-en-guerre ne désarme pourtant pas. C’est du côté de l’ex-puissance coloniale qu’ils cherchent un soutien : à peine François Hollande était-il élu qu’ils envoyaient un à un leurs émissaires, le président de l’UA, puis ceux du Niger, de Guinée et du Sénégal, lui murmurer à l’oreille pour qu’il soit leur porte-voix à l’ONU. Inquiète pour ses six otages retenus par les terroristes islamistes dans le Nord, ses nombreux ressortissants et intérêts dans la zone mais aussi à l’idée que des attentats puissent être commis jusque chez nous, la France est montée en première ligne sur le dossier. Elle a même promis un appui logistique à une éventuelle force, quand d’autres Etats fronçaient les sourcils. Parmi eux, l’Algérie, puissance régionale qui veille jalousement sur son arrière -cour sahélienne, verrait d’un très mauvais oeil des troupes étrangères s’immiscer dans sa zone d’influence et les islamistes radicaux, qu’elle a réussi à repousser hors de ses frontières, se replier chez elle. Or, “sans l’appui d’Alger, on ne pourra pas monter une opération militaire”, prévient un diplomate européen à Bamako.
“En réalité, depuis le début, personne, à l’ONU, ne veut vraiment d’un recours à la force, confesse-t-il. La stratégie a consisté à brandir la menace d’une intervention tout en ouvrant des canaux de négociation pour convaincre les groupes du Nord d’aller vers une solution négociée.” Elle se révèle pourtant contre-productive. Une opération militaire paraît, au fil des jours, de moins en moins réalisable. Aqmi et ses alliés, le Mujao et Ansar Dine, ont mis à profit les hésitations internationales pour accroître leur emprise sur la région et se préparer à résister à une éventuelle offensive. Ils recrutent au sein de la population grâce à l’argent des rançons, des trafics et, semble-t-il, de financements provenant d’Algérie et du Qatar ; ils sont rejoints par des djihadistes de la sous-région – Nigérians du groupe islamiste Boko Haram, Sénégalais, Nigériens – et d’ailleurs – Pakistanais, Afghans. Ils consolident leurs camps, ont miné les abords de Gao et prospectent dans les pays limitrophes en quête de bases de repli.

Négocier, mais avec qui ?

Quant à la solution négociée, elle est plus que jamais un mirage. Discuter de quoi ? Avec qui ? “On ne parle pas à Aqmi et au Mujao ; ce sont des terroristes. Mais au MNLA, on aurait pu proposer une décentralisation poussée, et à Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine, un important pouvoir local”, confie le diplomate à Bamako. Les Touaregs du MNLA ont l’avantage d’être laïques et de promettre de combattre Aqmi, mais le défaut d’être séparatistes. Officiellement, l’indépendance de l’Azawad, leur berceau historique du nord du Mali – qu’ils ont proclamée le 6 avril après l’avoir conquis militairement – n’est pas négociable. Mais ils laissent la porte entrebâillée : “Rien n’est gravé dans le marbre”, concède l’un de leurs porte-parole, Moussa Ag Assarid. Iyad Ag Ghali a, lui, le lourd tort de vouloir instaurer un Etat islamique sur tout le Mali et de s’être allié à Al-Qaida. Mais c’est un Touareg à la réputation d’opportuniste, ancien écumeur de bars, radicalisé sur le tard, ce qui en fait doublement un interlocuteur possible. Si seulement les deux groupes touaregs avaient pu faire alliance… On y a presque cru il y a quelques semaines.
L’échec de leurs discussions a fait l’effet d’une douche froide. Le grand perdant est le MNLA et, avec lui, l’espoir d’une issue négociée à court terme. Ils ont beau disposer d’armes lourdes rapportées de Libye par leurs combattants qui servaient dans la Légion verte de Kadhafi, les rebelles séparatistes sont à court de liquidités pour acheter des recrues, du carburant et des munitions, rejetés par les populations arabe, peule, songhaï mais aussi touarègue majoritairement défavorables à l’indépendance, et affaiblis par les défections. Chassés de Tombouctou, Kidal et Gao par les islamistes chaque jour plus puissants, ils attendent leur heure.
Car, dans le désert, le vent peut tourner. “Les frontières entre les groupes sont très poreuses, les alliances réversibles”, rappelle Yvan Guichaoua, chercheur à l’Université d’East Anglia. L’ONU ne s’y est pas trompée : en appelant à sanctionner les rebelles liés à Al-Qaida, elle espère voir le gros des combattants transhumer vers de meilleures alliances. Cela suffira-t-il pour renverser la vapeur ? A ce jeu, Iyad Ag Ghali est très futé : il aurait déjà troqué le drapeau noir des djihadistes pour une bannière blanche, fl anquée d’une arme automatique, d’un sabre et d’un Coran, sans renoncer pour autant à ses relations avec Aqmi. “Entre Ansar Dine, le Mujao et Aqmi, il semble qu’il y ait une répartition géographique voire ethnique et une division du travail, tout en maintenant des passerelles, explique Yvan Guichaoua. Jusqu’ici ils se sont entendus sur leurs objectifs ; il n’y a pas eu de conflit entre eux.”

L’Algérie dans la danse

Pour ne rien arranger, en face, “on a un poulet décapité qui court dans tous les sens”, résume le chercheur. Alors que toute négociation est vouée à n’être que provisoire en l’absence d’interlocuteur valable à Bamako, deux médiateurs s’activent pourtant, en toute opacité. Bien que discrédité pour avoir laissé la junte faire sa loi, le Burkina Faso continue de conduire la médiation officielle sous mandat de la Cedeao. L’Algérie est, quant à elle, discrètement entrée dans la danse il y a quelques semaines, sans aucun mandat mais au soulagement de tous. Jugée incontournable pour le règlement de la crise au Nord, il lui aura fallu voir sept de ses diplomates pris en otage à Gao et essuyer deux attentats revendiqués par le Mujao pour se mettre enfin en branle. Elle s’autorise, du coup, à discuter secrètement avec tous les acteurs sans exception.
Reste une dernière option : accroître la surveillance aux frontières afin de couper les islamistes de leurs sources d’approvisionnement en hommes, en armes, en liquidités, et empêcher les connexions avec les autres groupes terroristes de la région. Les Américains ont, en toute discrétion, mis tout le Sahel sous leur radar. Mais comment s’assurer que rien ne filtre à travers les milliers de kilomètres qui séparent le désert malien de ses voisins ?
“Les islamistes ne sont pas des enfants de chœur, ils menacent de déstabiliser la sous-région, mais on n’en est encore qu’au stade de la menace. Bref on n’est pas dans l’urgence”, conclut cyniquement un expert. A Bamako, le diplomate européen en déduit qu’”on est parti pour une crise qui va durer, un scénario de conflit de basse intensité”. Le cauchemar d’un “Aqmiland” va peut-être se réaliser.
Les islamistes tiennent désormais tout le nord du Mali. (STR/AP/SIPA)
Les islamistes tiennent désormais tout le nord du Mali. (STR/AP/SIPA)

Aucun commentaire: