Comment éviter la catastrophe programmée ?
Écrit par Djibo HAMANI Université Abdou Moumouni (As-Salam N° 136 Sha’ban 1430 - Juillet-Août 2009)
Lundi, 03 Août 2009 10:23
« Pourvu que ça dure », disait la mère de l’empereur français Napoléon Bonaparte, qui venait de passer de la pauvreté à l’opulence du fait de l’ascension fulgurante de son fils. « Pourvu que ça dure », pensaient les Nigériens qui, après une décennie chaotique et incertaine, connaissaient enfin une paix relative, une vie politique quasinormale, et une certaine sérénité, malgré l’incapacité de leurs dirigeants à les sortir du dernier rang des pays les plus pauvres de l’Univers. Deux élections sans problèmes, un seul premier ministre sous deux présidences, le Niger semblait bien parti pour explorer les voies nouvelles que lui proposait la « démocratie occidentale ». Certains de nos compatriotes n’hésitaient pas à se livrer à quelques fanfaronnades en se posant en modèles de « démocratie maîtrisée ». Et puis, patatras ! Tout s’écroule, l’horizon politique s’obscurcit, parce que le Pouvoir adopte une posture à laquelle personne ne s’attendait. Un ancien Premier Ministre, fidèle parmi les fidèles, président du parti au pouvoir et candidat autoproclamé à la succession de celui qu’il avait servi fidèlement depuis près d’une vingtaine d’années, est saisi et jeté en prison pour des motifs plus que futiles. La division s’installe dans le camp au pouvoir et les « alliés » de circonstance et l’opposition jubilent. Personne ne se doutait que le monsieur qui, aux dires des journaux, « dormait » depuis huit ans, leur préparait en réalité un coup de Jarnac.
Personne ne se doutait qu’il s’agissait du démarrage d’une machination machiavélique qui allait prendre tout le monde de court. Enfin, la botte secrète fut dévoilée, mais avec une cascade de maladresses qui montrent que, si l’intention était ancienne, sa mise en oeuvre ne fut point réfléchie, ou qu’elle a été l’oeuvre de piètres individus qui réfléchissent plus du chapeau que de la tête. C’est certainement cette dernière hypothèse que la réflexion historique retiendra. Autant la victoire du Président aux élections fut un travail d’équipe, autant la présente aventure apparaît comme un acte strictement individuel, une volonté personnelle, peut-être imaginée par d’autres, mais ces autres agissent comme des courtisans et non comme des « militants » ou des alliés.
Et c’est là que se situe la gravité de la situation ! Dans cette aventure, même le MNSD, parti du Président, disparaît du groupe des initiateurs. Les « barons » du régime sont muets et cachés. Ceux qui orchestrent cette mésaventure nationale sont des inconnus sortis du néant, des jeunes souvent mineurs, des « tchali-tchalis » tirés de la « Société civile », des marginaux du barreau et quelques chefs traditionnels sommés de déclarer leur adhésion. En réalité, l’entreprise de mystification avait commencé avec ce fameux « Programme Spécial du Président de la République » qui a abouti à une totale éclipse du Gouvernement sur la scène nationale et dans les consciences.
Toute activité qui, normalement, relevait de la responsabilité du gouvernement était mise à l’actif du Chef de l’Etat : les ministres se déplaçaient pour contrôler les « Projets du Président », porter les messages du Président aux populations, distribuer les « micro crédits » avec « l’argent du Président ». Le lien institutionnel entre le gouvernement et les responsables de l’administration publique se sont mués en cordon ombilical reliant le Président « aux populations », qui étaient appelées à « remercier le Président » pour ses bienfaits. Nous avons entendu des chefs de l’ « opposition » chanter les louanges du Président de la République, le parant de toutes les qualités humaines possibles.
Il n’était plus possible de distinguer entre les maires de l’opposition et ceux du Pouvoir, tant le concert de louanges était unanime dans tous leurs discours. Quand il a senti que la situation était suffisamment mûre, le Président a sorti son grand jeu : le Peuple, annonce-t-il alors, veut qu’il continue et il ne peut se dérober à cet appel venu des tréfonds du peuple. Le Président l’a dit et redit notamment à Agadez et après, le Ministre de l’Intérieur et tous les kakaki du Tazarce l’ont répété : il s’agit d’un contrat entre un homme et le peuple. Ce régime serait donc un régime de type nouveau plus proche de la monarchie que de la république.
C’est-à-dire que le MNSD lui-même disparaîtrait en tant que parti et ne serait plus qu’une courroie de transmission des ordres venus du Palais. Le Président ne devra rien à personne et on se demande alors à quoi servirait la Constitution après le Référendum. Le débat actuel semble parfois oublier que le danger principal n’est pas le projet d’une nouvelle constitution, mais l’allégeance du pays tout entier à un seul homme, l’avènement d’un régime de monarchie absolue où le Chef de l’Etat pourrait dire, comme le roi de France Louis XIV : « L’Etat, c’est Moi ». La nouvelle constitution elle-même serait une coquille vide, car il n’ y aurait plus de République. Voilà le danger qui menace le pays :
disparition de toutes les libertés fondamentales, caporalisation des moyens d’information, confusion entre l’Etat et le Chef, arbitraire le plus total, caprices du Prince et de ses laudateurs, grandement facilités par la disparition du MNSD en tant que parti et la toute puissance de la courtisanerie. Un tel régime serait un terrible recul pour le pays. Et nous voyons déjà se profiler la menace à travers les tentatives de déstructuration de notre nation par l’appel irresponsable au régionalisme. Comme dans les pires dictatures connues surtout par l’Europe, le pays, la nation cesseraient d’exister et ne seraient plus qu’un agrégat d’individus liés directement au Chef.
Aussi longtemps que nous puissions remonter dans l’histoire de notre pays, nous ne trouvons nulle part cette éclipse de l’Etat ; même dans les monarchies les plus centralisées (Songoi, Borno, Katsina, Gobir, Damagaram etc.), le roi savait qu’il était au service d’une réalité qui lui était supérieure, soumis à des lois non écrites mais connues de tous, et qu’il ne pouvait transgresser sans s’exposer à de graves dangers dont le moindre était sa destitution. Le danger est réel et les perspectives inquiétantes, car les agents de la déstabilisation du pays sont à l’oeuvre.
La puissance du fric et les promesses alléchantes, la mobilisation des moyens de l’Etat et de l’Administration et l’utilisation de jeunes mineurs au service de cette cause, l’embrigadement d’une fraction de la chefferie et de quelques marabouts pompeusement qualifiés d’ « ouléma », ceux que Muhammad al-Maghili appelait déjà, en l’an 1500, « les savants du mal » (Epître à l’Empereur Askiya Muhammad), sont destinés à créer, au sein de notre société, des fractures qui justifieraient toutes les fraudes « électorales » futures. Tous ceux qui se laissent embrigader aujourd’hui savent que c’est grâce à ce régime (très imparfait) de libertés, qu’ils existent, qu’ils se sont épanouis. Où seraient les partis et organisations favorables au « Tazarce » sans les libertés garanties par la Constitution ?
Les prétendus « ouléma » qui choisissent le Tazarce ou se disent non concernés ontils oublié l’incomparable progrès de l’Islam dans la vie et la conscience des Nigériens depuis 1991 ? Les associations islamiques se sont multipliées et aujourd’- hui, grâce à ces libertés, le fait islamique est devenu visible aussi bien au niveau du peuple (ce qui n’est pas nouveau !) qu’au niveau de cette fraction aliénée et parfois anti-islamique qui dirige l’Etat et rédige les Constitutions et les Lois. Certes, nous sommes sous la loi d’une pensée laïque (en réalité athée puisqu’il s’agit de laïcité à la française), mais, pour l’Islam, il n’y a rien de commun entre la période 1899-1991 et la période 1991- 2009.
Nous savons bien dans quelles conditions scandaleuses l’actuelle constitution a été confectionnée, et ces conditions ne font pas honneur à la classe politique nigérienne qui a montré, en ces moments, que sa seule préoccupation était d’accéder au pouvoir, et de profiter de ses avantages. Et les tenants actuels du pouvoir ne furent pas les moins enthousiastes à avaler toutes les couleuvres, pourvu que le régime militaire prenne fin. Malgré tout, il est nécessaire de rappeler à tous, quel que soit le bord qu’ils servent actuellement, qu’une mauvaise Constitution vaut toujours mieux que cette forme d’anarchie que représente l’absence de Loi. Car la dictature est aussi une forme d’anarchie puisqu’ elle finit toujours par l’instabilité et le recul dans tous les domaines.
Si l’entreprise actuelle de démolition du système démocratique réussit, nous reviendrons à un système de pensée unique, avec des travailleurs mis au pas, une Association « islamique » unique et aux ordres, l’interdiction de tous les partis politiques qui refuseraient de chanter les louanges du régime, la fermeture ou la mise au pas de tous les moyens d’information. Il ne s’agit pas ici de jouer au devin, il s’agit simplement de tirer les leçons de l’Histoire. Tous les régimes de dictature personnelle se ressemblent et se ressembleront toujours parce que, partout, les descendants d’Adam se ressemblent. Lénine a dit que « Les faits sont têtus », et il a dit aussi que « Le pouvoir absolu corrompt absolument ».
C’est une vérité historique à laquelle nul homme ne peut échapper. Nous aurions souhaité voir le Niger continuer son expérience de respect de la liberté d’expression, d’association, de multipartisme et de séparation des pouvoirs. Malgré son caractère dévoyé actuel avec achat des voix aux élections, explo - sion de la corruption et appel aux sentiments les plus rétrogrades, le régime instauré par l’actuelle Constitution vaut mieux que toutes les dictatures personnel- les, surtout lorsque le projet actuel est conduit par ceux qui ont, dans notre pays, porté la corruption à son sommet. Si le pays veut sauver son avenir et son âme, il doit faire échec à ce projet insensé, à ce Coup d’Etat qui a honte de son nom.
J’espère que les forces qui ont offert au Président Tandja Mamadou la porte de sortie par le dialogue réussiront avant qu’il ne soit trop tard. J’espère qu’il ouvre les yeux et les oreilles pour voir que le monde entier, je dis bien le monde entier, condamne son entreprise et que le pays n’en veut pas et n’en a pas besoin. Nous avons besoin de paix et de stabilité avant les projets symbolisés par les poses des premières pierres. Que Mamadou Tandja se débarrasse des prestidigitateurs et trafiquants d’influence qui l’entourent, et des intellectuels véreux, lèche-bottes perpétuels et pique-assiettes invétérés tapis à la Présidence et ailleurs, qui sont en train de le conduire droit au mur.
Ces mercenaires du droit, de la plume et des manipulations politiques, l’abandonneront comme ils ont abandonné ceux qui l’ont précédé et offriront leurs services à ceux qu’ils combattent aujourd’hui. En un mot qu’il se réveille ! Qu’il sorte par la grande porte ! Qu’il n’oublie ni Mobutu, ni le Shah d’Iran, ni Duvalier, ni Bokassa. Qu’il n’oublie pas Kabrin Kabra qui voulut conduire son pays avec les enfants après s’être débarrassé des vieux, c’est-à-dire de la sagesse. Ces illuminés ont été, avant tout, les victimes de leur orgueil incommensurable et de leur vanité. Je sais qu’il est presque trop tard et que le régime est atteint d’autisme et n’écoute que ce qu’il veut bien entendre. Mais des pays étrangers continuent encore à tenter d’empêcher l’irréparable.
J’espère que le Président et son entourage prennent conscience que la conjonction de la désapprobation nationale et de la réprobation internationale lui offriront une dernière chance de ne pas plonger son pays dans un chaos dont il sera l’unique responsable devant l’Histoire, sinon devant un Tribunal International. Qu’il s’adresse au Peuple et reconnaisse qu’il s’est trompé. Je suis persuadé que l’ensemble de notre Peuple oubliera cet épisode malheureux et ne se rappellera que de ce qu’il a apporté de positif dans ce pays. Napoléon Bonaparte, le plus célèbre militaire de l’histoire de France, a dit que « L’argent, c’est rien, l’honneur, c’est beaucoup, le courage c’est tout ».
Un autre Français a dit que « la plus grande qualité à exiger d’un Chef d’Etat, c’est d’avoir du courage », et reconnaître ses erreurs est certes une grande preuve de courage. Le hadith prophétique dit que « Tout fils d’Adam est sujet à la faute, mais le meilleur des fautifs c’est celui qui se repent ». Ce courage fait partie de ce que le Prophète de l’Islam a appelé le « Grand Jihad », encore plus difficile que le Jihad armé ! Tandja doit tout faire pour éviter de jeter son pays dans une ère cauchemardesque qui risquerait d’emporter jusqu’à son unité. Nous souhaitons qu’il recule. Dans le cas contraire la résistance à la dictature programmée serait pour tous un devoir sacré, car il y va de l’existence même de notre pays !
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