jeudi 5 juin 2014


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La classe politique malienne a-t-elle fait perdre l'Azawad ?

MessagePosté par Marcel MONIN » Hier, 13:45
La classe politique malienne a vraisemblablement fait perdre l’Azawad au Mali.

Pourquoi ?

1/ A la suite de la défaite de ses militaires au début 2012, de la gouvernance du nord par les forces nationalistes, supplantées ensuite par les islamistes, la classe politique de Bamako  n’a pu rien faire. Elle a anesthésié Sanogo qui proposait (avec quelles chances de réussite ? est une autre question) de réagir. Puis elle a fait faire (ou laissé faire) le travail de reconquête (au moins formelle) par les troupes étrangères. 

Quant à elle, elle a fait de la politique. Politicienne. 
Elle a signé des accords avec les mouvements du Nord. 
Dont une partie des dispositions l’intéressait : Celles qui avaient pour objet de lui permettre de perdurer à l’occasion des élections présidentielles et des élections législatives. Dispositions qui ont été respectés par les mouvements du nord ainsi que l’élection d’un président de la République, la nomination par lui de ministres, l’élection des députés en attestent .
Sur le reste (ce qui intéressait les gens du nord) : rien. 
Au lieu de discuter, une fois les élections faites, du contenu concret de la situation du nord avec des interlocuteurs (qui dans la perspective d’un changement réel des comportements, avaient renoncé à l’indépendance), qu’ont fait les « responsables » politiques ?  Les « responsables » politiques ont fait trainer par les appels à Dieu ou à la compassion des autres, les anathèmes, les accusations, …  la logorrhée. 
En résumé : rien. 
C’est à dire tout, sauf appliquer les accords de Ouagadougou. 

2/ Les mouvements du nord ont donc fini par comprendre que la classe politique malienne s’était moquée d’eux en leur faisant signer les accords de Ouagadougou. Dont le texte techniquement léonin (texte sur internet) est confirmé par l’application (c’est à dire en réalité par la non application) des dispositions de fond. 
Avec une confirmation éclatante de la stratégie de « l’entourloupe » avec le coup de mai 2014 tenté par l’armée malienne à l’occasion de l’équipée du Premier Ministre Moussa Mara à Kidal.

3/ Les étrangers ont constaté la même chose. 
C’est à dire que les nationalistes du nord ne pourront que reprendre les armes à la moindre occasion. A la moindre provocation, au moindre danger pour eux ou pour les populations. Et, puisque Bamako ne veut pas discuter d’un avenir commun, organiser en conséquence l’indépendance 
Les étrangers ont constaté qu’il faudrait attendre bien longtemps (en tous cas trop longtemps au regard des impératifs d’exploitation des richesses du nord, dans un contexte de compétition internationale), pour compter sur les troupes du gouvernement malien pour assurer l’autorité de ce gouvernement sur les ressources en question. 
Etrangers parmi lesquels certains murmurent que les soldats maliens (ou certains d’entre eux qu’il est difficile d’isoler des autres) auraient deux spécialités qui l’une et l’autre engendrent et alimentent des problèmes et ne sont pas efficaces : tuer des civils désarmés, ou décamper quand leurs vis-à-vis sont armés. Ce jugement est sans doute hâtif et injuste pour certains militaires. Mais il circule. 
En bref : puisque les politiciens de Bamako ne veulent pas et que leurs troupes ne peuvent pas , et ce avant (trop) longtemps, il faut trouver, rapidement, une solution de rechange.

4/ Il y a deux solutions de rechange pour les étrangers (la classe politique de Bamako étant « hors course ») :

a) laisser s’installer une situation de fait dans laquelle le nord retombera sous la coupe des jihadistes. Comme cela était le cas avant le déclenchement de l’opération Serval. Et  organiser des ilots de protection militaire (détachements étrangers de troupes régulières , ou combattants de sociétés privées) là où seront implantés les exploitations.

b) ne pas s’opposer à la création d’un Etat indépendant, avec un gouvernement qui assure (quitte à l’aider) la sécurité contre les jihadistes (qui sont, en plus, des appendices d’Etats concurrents). Gouvernement d’un Etat awazadien  avec lequel les étrangers pourraient (avec l’idée ça ne pourrait pas être pire, au regard de l’expérience, qu’avec les autorités maliennes) discuter de manière sérieuse et coopérer de manière fiable. 

Il est probable que les étrangers, ou certains d’entre eux choisiront la seconde. Parce que c’est la solution la moins onéreuse et la plus efficace.

Car les étrangers dont s’agit commercent certes et font des affaires avec le Qatar et l’Arabie saoudite. Mais ils commencent à se lasser (voir différents indices dans les déclarations des gouvernants) que ces Etats financent des bandes armées qui les rackettent en faisant le commerce des otages, qui recrutent leurs nationaux (lesquels deviennent, une fois leur cerveau conditionné, des dangers sur leur propre territoire, s’ils reviennent du Jihad)  et qui favorisent sur leurs territoires la mise en œuvre de pratiques religieuses qui sont contraires à leurs valeurs démocratiques et qui, pire, contrarient leurs électeurs. 
Etrangers qui,  s’ils utilisent (ou ont utilisé) volontiers les jihadistes pour chasser du pouvoir des dirigeants dont ils voulaient (eux et ceux qui y avaient d’autres intérêts) se débarrasser, ils n’entendent pas voir , là où ils en ont, leurs propres intérêts continuellement menacés par ces derniers.

La classe politique de Bamako aura fait perdre au Mali et aux Maliens, la possibilité de profiter des retombées de l’exploitation des richesses du nord.
Sans doute trouvera-t-elle l’argumentaire pour expliquer qu’elle n’y est pour rien, que la faute incombe aux autres, que les citoyens qu’elle a « chauffés » autour de ses thèses et ses intérêts, sont les victimes du colonialisme. Que tels étrangers portés aux nues hier doivent être voués aux gémonies aujourd’hui. 
Quant aux citoyens, après s’en être remis à elle, ils n’auront plus d’autre alternative que de s’en remettre à Dieu.  

A suivre…



Marcel-M. MONIN (**) 


Juin 2014

(1) L’analyse prospective qui est faite, ne débouche pas sur un choix , n’en  sous-tend pas un choix. N’en propose pas. Ce qui laissera probablement les uns et les autres sur leur faim. De lire quelque chose qui les rassure sur l’avenir ou les conforte dans leurs sentiments.
Certes, si nous avions été du nord, nous aurions vraisemblablement eu tendance à vouloir prendre des distances définitives par rapport à Bamako. Si nous avions été du sud, sans doute aurions nous eu tendance à être bouleversé à l’idée qu’une partie du pays put nous être arrachée, et à refuser cette perspective. On a connu ces « ressentis » opposés lors du processus d’indépendance de l’Algérie (et même longtemps après l’indépendance). En fonction de la situation personnelle des uns et des autres.
Mais, dans une analyse du type de celle que nous faisons, nous ne nourrissons aucun  sentiment de cette sorte, ne serait-ce que parce que n’étant pas Malien, nous ne pouvons pas avoir de « ressenti ». 
Certes, en tant que Français, nous pouvons « penser Français » entendu comme penser conformément aux intérêts de la France. Nous ne pensons pas le faire. Etant entendu qu’introduire dans l’analyse le paramètre de l’intérêt de la France (ou d’autres puissances), les intérêts de telle société ou tel groupe, comme un élément de la question  est autre chose
Car ce qui est au centre de nos préoccupations, c’est l’individu. Ses libertés, ses droits en commençant par (on pense à l’Afrique) le droit de manger, de se soigner, d’aller à l’école.  Et de ne pas être empêché d’être heureux, de s’enrichir aussi,  par ceux qui l’auraient décidé d’une manière ou d’une autre, parce que ce n’est pas leur intérêt.
Les gouvernants sont des individus qui décident pour les autres. Chacune de ces personnes est  l’artisan du bonheur ou des malheurs des autres être humains. C’est la raison pour lesquelles il nous paraît nécessaire d’analyser la part prise à un moment donné par ces individus (qui ont fait le choix d’avoir cette activité devenue professionnelle, qui peuvent dire non et renoncer à leur carrière s’ils trouvent inconvenant de prendre telle décision) au déclenchement d’un problème, à la non résolution d’un problème. 
Cette approche devant s’ajouter et cohabiter avec les analyses qui occultent la part prise par les individus dans le fonctionnement d’un système. Alors que sans leur intervention ou leur pratique personnelle, le « système » serait / aurait été différent, l’histoire pourrait / aurait pu prendre un autre cours.
Ainsi, quand sur un territoire, tout ou partie de la population est excédée par le « gouvernement », qu’elle arrive à se procurer des armes, - en général à l’extérieur (« extérieur » qui peut avoir un intérêt stratégique ou économique à aider au succès du mouvement), et que le noyau actif de cette population s’en sert (contre les gouvernants qui utilisent la police et l’armée en réalité pour défendre leurs acquis), on est en général (v. l’histoire) en présence de la même situation : 
La rébellion est dirigée contre les individus au pouvoir parce que ces derniers travaillent pour une minorité (contre la population qui finit par ne plus le supporter), et ce, en ayant un intérêt personnel à le faire (situations de conflits  d’intérêt qui ne sont pas sanctionnées en droit ou en fait). 
On notera au passage que certains dirigeants passent souvent pour n’être pas très évolués intellectuellement. Parce qu’ils semblent incapables d’imaginer ou de proposer des solutions pour la collectivité. Ils sont en réalité très malins. Puisqu’ils ne travaillent pas pour l’intérêt général, il leur faut être muets sur les solutions qui iraient dans le sens de l’intérêt général. Lequel est contraire à leurs intérêts personnels. Il leur faut donc trouver des argumentaires pour endormir l’opinion publique. Ce qui nécessite en réalité une bonne dose d’intelligence  (qui n’est pas celle du cœur) et une grande habileté organisationnelle (contrôle des médias, discrédit des opposants, organisation de réseaux, contrôle des fonctionnaires et des magistrats, mise en œuvre de techniques de manipulation … ).
Quand la fraction de la population qui se rebelle (parce qu’elle est « à bout »), est de la même ethnie, partage la même histoire et le même sol depuis des temps lointains avec les dirigeants, la séparation d’avec les dirigeants s’appelle « révolution » (révolutions française, russe, etc ). Si la population du sud du Mali avait pris les armes (seule ou avec les populations du nord), on aurait parlé de « révolution ».
Quand, à l’inverse, la fraction de la population qui se rebelle (parce qu’elle est « à bout »), n’est pas de la même ethnie, ne partage ni la même histoire ni le même sol depuis des temps lointains avec les dirigeants, la séparation s’appelle mouvement d’« indépendance » (guerre d’indépendance américaine, mouvement et guerres de décolonisation conduisant à l’indépendance ; mouvements sécessionnistes au Biafra, et ailleurs, dans des endroits où le cadre étatique rassemble des populations hétérogènes du point de vue de l’histoire, des coutumes, des religions). Ce qui conduit à dire que ce qui se déroule actuellement au nord Mali est en réalité banal.
Ces situations invitent à ne pas occulter la question générale de la responsabilité personnelle et collective des individus détenteurs du pouvoir de décision. Responsabilité qu’on oublie, parce qu’elle n’est pas, et n’arrive pas à être mise en œuvre, notamment pour certaines des raisons qui ont été évoquées ci-dessus, ni dans le cadre des procédures constitutionnelles ni dans le cadre de la mise en œuvre des procédures pénales. Mais qui, quand l’exaspération de tout ou partie des gouvernés a atteint un seuil suffisant, trouve sa sanction dans le déclenchement d’une révolution ou dans l’éclatement du cadre étatique.

(**) Marcel MONIN est m. de conf.. hon. des universités, docteur d’Etat en droit.
Parmi diverses fonctions, il a eu la charge des relations de son université avec les universités d’Afrique. Il est l’auteur d’ouvrages de droit constitutionnel et de droit administratif. 
Il a été membre du comité directeur et du bureau national du Parti républicain radical et radical socialiste (Parti radical). 
Actuellement, il est consultant. 
Il est chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques.
Marcel MONIN
 
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