Mali.
Course de vitesse au Sahara
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Un État touareg dans le nord du pays ? Pour le MNLA laïc, le véritable adversaire n’est pas Bamako, mais Alger. Il y a aussi les islamistes du groupe Ansar Dine et les djihadistes d’Aqmi.
Le printemps arabe de 2011 a débouché sur un “hiver islamique”. En sera-t-il de même du “printemps saharien” de 2012 ? Le 1er avril, les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) se sont emparés des deux grandes villes de la boucle septentrionale du Niger : Gao, à l’est, l’ancienne capitale de l’empire songhaï ; et Tombouctou, à l’ouest, l’ancienne “ville sainte” de l’islam saharien.
Une autre force est apparue presque aussitôt dans leur sillage : Ansar Dine (“Les partisans de la religion”). Les deux organisations n’ont pas le même drapeau : l e MNLA arbore une bannière vert-rouge-noir, avec un triangle jaune en chevron ; Ansar Dine, l’étendard noir des islamistes. Elles n’ont pas les mêmes buts : le MNLA veut créer un État-nation dans l’Azawad (“Le pays des pâturages”) qui s’étend sur le nord du Mali actuel, à peuplement touareg, sans revendiquer le reste du pays, centré sur Bamako ; Ansar Dine parle de son côté d’une “république islamique”, qui pourrait s’étendre à la fois sur le Sahara et le Sahel. Et si le MNLA affiche des idéaux démocratiques et laïcs, ses rivaux veulent instaurer immédiatement la charia.
Les deux groupes ont pourtant combattu l’armée malienne ensemble. Ils semblent s’être répartis le contrôle des “territoires libérés”. Le MNLA a pris Tombouctou mais, trois jours plus tard, la ville était quadrillée par les islamistes.
Cette guerre, il est vrai, constitue une revanche historique pour tous les Touaregs. L’Azawad, territoire plus grand que la France (entre 600 000 et 800 000 kilomètres carrés, selon les définitions), où nomadise une population éparse mais ethniquement homogène (1,5 million d’habitants, dont 85 % de Touaregs berbères) n’a jamais accepté son incorporation au Mali, l’ancien Soudan français, dominé par les populations nigéro-congolaises.
Une première rébellion avait éclaté en 1958, quand les Français préparaient le pays à l’indépendance (1960). Une seconde, en 1963, avait été réprimée dans le sang. Une troisième, au début des années 1990, avait imposé aux autorités maliennes, lors des accords dits de Tamanrasset, en 1991, de retirer leurs troupes de la région, et donc de concéder à la population locale une autonomie de fait.
La rébellion actuelle a eu pour cause immédiate la chute du régime kadhafiste : des Touaregs maliens qui servaient le dictateur ont pu piller d’importants matériels militaires au profit du MNLA. Deux causes plus profondes l’expliquent : le jeu de l’Algérie et un contexte général de “liquéfaction” des structures issues de la décolonisation.
Des questions sur le rôle ambigu des services algériens
Les États arabo-musulmans d’Afrique du Nord ont tous tenté, depuis les années 1960, de s’emparer du Sahara, région sous-peuplée mais dotée d’immenses richesses minérales : pétrole, gaz naturel, uranium, or, bauxite, phosphates. Le Maroc a d’abord revendiqué la Mauritanie, avant d’annexer l’ancien Rio de Oro espagnol (le Sahara-Occidental). La Libye a tenté de s’implanter au Tchad ou au Niger. L’Algérie, déjà maîtresse de la moitié nord du Sahara, a cherché à imposer sa tutelle à l’ensemble des pays sud-sahariens : du Sahara-Occidental, qu’elle dispute encore au Maroc, jusqu’au Niger. Sans la France, ex-puissance coloniale qui a constamment assuré un contrepoids, elle y serait sans doute largement parvenue.
Alger a longtemps justifié ses ingérences par la lutte contre “l’insécurité”, le trafic de drogue et l’islamisme. Mais il est avéré que ses services soutiennent, depuis plusieurs années, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ce groupe armé opère dans tout l’espace saharien. Il a notamment procédé à la capture d’humanitaires ou de scientifiques européens (dont plusieurs Français) en Mauritanie et au Mali.
Cette OPA sur l’islamisme modifie le rapport de force dans la région. La France pouvait contrecarrer les ingérences algériennes directes avec des pressions diplomatiques et un déploiement militaire léger. Aujourd’hui, la diplomatie n’est plus de mise. Un Français installé à Bamako explique : « Quand les gouvernements sahéliens, appuyés par le Quai d’Orsay, leur demandent de les aider à combattre les islamistes, les Algériens répondent toujours favorablement. À condition qu’on passe par leurs conditions. Sinon, fin de non-recevoir. »Militairement, la situation est complexe : « L’islamisme est un adversaire sans visage, difficile à localiser, susceptible de recourir au terrorisme tant en Afrique qu’en France même. L’affronter coûte cher. Financièrement et politiquement.»
L’alliance entre l’Algérie et Aqmi suscite un malaise grandissant chez les nationalistes touaregs. Le MNLA a sollicité l’appui de la France : « Pour nous, c’est Alger l’ennemi principal. Pas Bamako. » Henri de Raincourt, le ministre français de la Coopération, n’a cessé d’appeler à un dialogue entre les autorités maliennes et le MNLA. En distinguant soigneusement cette organisation (« qui n’a pas de lien avec Aqmi ») d’Ansar Dine, qui, a contrario, en aurait.
Pour l’instant, le MNLA ménage Ansar Dine en tant qu’organisation touarègue authentique. Son chef actuel, Iyad Ag Gheli, avait été l’un des chefs de la révolte de 1990-1991. Sa tribu, les Iforas, est l’une des plus puissantes de l’Azawad. Kidal, la capitale, se situe sur son territoire. Aqmi est perçue au contraire comme une organisation totalement étrangère. Mossa Ag Attaher, le porte-parole du MNLA, nous l’explique : « Le noyau originel d’Aqmi était formé des membres du Groupe salafiste pour la prédication (GSP), un mouvement islamiste algérien, à qui le gouvernement malien avait donné asile. Ils ont finalement fait allégeance au pouvoir algérien et se sont étoffés avec des renforts arabes, burkinabés, nigérians, mauritaniens. Nous ne tolérerons pas cette intrusion. »
Tout au long du mois de mars, le MNLA a multiplié ses menaces envers Aqmi – et ses mises en garde à Ansar Dine. Va-t-on vers des affrontements entre Touaregs et “Arabes” ? Ou même une guerre civile entre Touaregs ? Et si le MNLA l’emporte, pourra-t-il éviter d’intervenir en dehors de l’Azawad ?
Le principe de l’intangibilité des frontières vole en éclats
De tous les peuples de l’Afrique occidentale, les Touaregs ont été les derniers à se soumettre aux Français, en 1902 seulement. Jusque-là, ils disposaient d’un quasi-État indépendant : une confédération de tribus, dirigée par un roi élu, l’amenokal. Aujourd’hui, on compterait de 6 à 10 millions de Touaregs dans l’ensemble des pays sahariens et sahéliens. Avec les autres ethnies berbères de la région, notamment les Maures de Mauritanie, du Sahara-Occidental et du Sénégal, ils formeraient une nation d’une quinzaine de millions d’âmes. Pourquoi n’auraient-ils pas droit à une autodétermination collective, qui leur donnerait pleine souveraineté sur leur fabuleux soussol ?
Pendant un demi-siècle, le principe de l’“intangibilité des frontières issues de la décolonisation” en Afrique s’opposait à une telle évolution. Il revêt aujourd’hui moins de force. En 2011, le Soudan du Sud, noir et non-musulman, s’est séparé du Soudan, arabisé et islamique. La Libye postkadhafiste semble suivre le même chemin : ses trois régions traditionnelles (Cyrénaïque, Tripolitaine, Fezzan) se sont déclarées autonomes. Il pourrait en aller de même du Nefoussa, le pays berbère situé à l’ouest de Tripoli.
La Kabylie est entrée dans une sorte de “sécession douce” face à l’Algérie : un “gouvernement provisoire kabyle”, l’Anavad, a même été constitué, sous la direction du barde national Ferhat Mehenni. Le MNLA ne cache pas ses liens avec l’Anavad, dont il a repris l’idéologie identitaire laïque. Il a participé au Congrès mondial amazigh, qui réunissait la plupart des mouvements nationalistes berbères à Rabat, le 10 mars. Michel Gurfinkiel
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Photo © MaxPPP
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