Moussa El Koni, chef touareg: «Les ravisseurs des diplomates algériens demandent de l’argent...»
Moussa El Koni, chef touareg libyen, ancien consul général de Libye au Mali et représentant des Touaregs au Conseil National de Transition (CNT), évoque dans cet entretien le sort des touaregs, leurs accointances avec l’ex-guide de la Libye le colonel Kadhafi, les tentatives de négociations que mène la France au Mali avec le mouvement Ansar Dine ainsi que le sort des sept otages algériens capturés par une organisation liée à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Entretien réalisé pour DNA par Hélène Bravin, journaliste et auteure de « Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » (Editions Bourin) avec la participation de Kamel Almarache, journaliste.
DNA : Vous avez été Consul au Nord du Mali. Qu’est-ce que Kadhafi voulait y faire ?
Moussa El Koni : J’ai été nommé en 2005 à Kidal en tant que Consul général pour résoudre le problème des Touaregs au Nord du Mali. Sa consigne était claire : il fallait que les Touaregs ne rejoignent pas Al Qaïda. Il a promis, en 2005, un développement dans cette région. Il a réussi à convaincre les Touaregs d’Awazad, mais il n’a pas tenu ses promesses.
Pourquoi ?
Il a dit que l’Algérie mettait des obstacles, s’opposait à tout projet libyen de développement de cette région. Je pense que cela est faux….J’ai donc quitté Kadhafi lors de la révolution libyenne. Pendant la conférence du Congrès général libyen à Syrte et en présence de Silvio Berlusconi j’ai demandé l’application de ces promesses. D’autant que le gouvernement malien ne s’opposait pas au développement des projets. Le gouvernement avait mis une condition : le développement pour toutes les communautés, autres que les Touaregs. La Libye était d’accord.
L’Algérie s’y opposait-elle ?
L’Algérie était opposée à l’ouverture du consulat libyen à Kidal. Elle a même fait pression sur le gouvernement malien pour ne pas autoriser la mise en place de ce consulat. Kadhafi a même essayé de convaincre Bouteflika que ce consulat n’était pas une menace pour l’Algérie. Le Mali a donné son accord. Finalement, le consulat a fermé au bout d’un an en raison des dissensions entre la Libye et l’Algérie. Et j’ai été nommé consul à Bamako.
Qui sont ces Touaregs qui combattent au Nord du Mali pour l’indépendance du territoire Azawad ?
Ce sont des Touaregs venus de Libye. Ils sont d’origine Malienne. Ils ont acquis la nationalité libyenne depuis 1980 pour la plupart d’entre eux. Et ont combattu aux côtés de Kadhafi durant la révolte. Ils sont venus en Libye avec d’autres Touaregs issus d’autres pays lors de l’appel des Touaregs lancé par Kadhafi en 1980 depuis la ville libyenne d'Oubari considérée comme la ville principale de Touarègues libyens. Ils ont été naturalisés massivement par Kadhafi.
Pourquoi ?
Celui-ci souhaitait faire pression notamment sur l’Algérie, le Niger, le Mali et la Mauritanie afin que ces pays reconnaissent son influence régionale ainsi que la cause des Touaregs marginalisés. Le second objectif de Kadhafi était aussi de les utiliser notamment dans la guerre au Tchad et au Liban. A cette fin, Kadhafi les a intégrés dans l’armée et a même créé un bataillon spécial pour eux, appelé « les Commandos courageux » en référence à Tariq Ibn Ziyad conquérant berbère en l’Espagne. D’ailleurs, le leader d'Ansar Dine (Défenseur de l’Islam), Iyad Ag Ghaly, d’origine malienne a d’ailleurs combattu pour la Libye au Liban avant de constituer le Mouvement population de l’Azawad (MPA). Et le leader actuel du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), Mohamed Ag Najim, également d’origine malienne, a aussi fait parti de l’armée verte de Kadhafi. Cette intégration dans l’armée a été faite très facilement. Elle a servi de promotion sociale aux Touaregs non éduqués et très pauvres.
Et leur rapport avec les Touaregs libyens ?
Ces Touaregs se sont établis aux côtés des Touaregs libyens installés bien avant l’invasion arabe du VIIème siècle. Ils se sont concentrés dans le Sud, dans la localité d’Oubari, au sud-ouest de Sebbha et à Ghadamès. Les Touaregs Libyens ont également été intégrés dans l’armée de Kadhafi –ce qui leur a permis aussi une ascension sociale- et ils ont combattu à ses côtés durant la révolte. Ils partagent certaines coutumes avec les Touaregs Maliens ou Nigériens.
Que s’est-il passé après la mort de Kadhafi ?
L’ensemble des Touaregs, parce qu’ils avaient combattu aux côtés de Kadhafi ont été pourchassés. Les Touaregs de souche libyenne ont été notamment chassés de Ghadamès. Ils ont du se réfugier ailleurs en Libye. Ou sont partis en Algérie. Les Touaregs d’origine malienne ou nigérienne sont retournés quant à eux dans leur pays avec énormément d’armes. Les Touaregs d’origine malienne sont venus soutenir l’Azawad qui n’avait pas jusqu’à présent une logistique importante. A cette époque, j’avais déjà averti les européens qu’ils étaient armés.
L’Azawad a d’ailleurs été principalement alimentée par le colonel Mohamed Najim d’origine malienne de l’ex-armée libyenne de Kadhafi…
Egalement par une partie du mouvement de feu Ibrahim Bahanga, « L’Alliance Touareg pour le changement » mort en août 2011 au Mali, alimente aussi l’Azawad. (ndlr, Ibrahim Bahanga a résidé en Libye pendant deux ans).
Il y a aujourd’hui trois mouvements concentrés au Nord du Mali qui ont proclamé la partition du Nord. L’Azawad, Ansar Din et Al Qaïda. Existe-t-il une différence entre ces trois mouvements ?
S’ils ont fait cause commune pour conquérir le Nord du Mali, ils sont différents dans leur revendication. L’Azawad qui a intégré en majorité les Touaregs libyens d’origine malienne revendique la partition du pays. Ançar Dine, dirigé par Iyad Ag Ghaly, est prêt, selon ce qu’il m’a dit, à renoncer à la partition du pays mais à la condition qu’une charia « modérée soft » soit appliquée au Nord du Mali. Le mouvement entend ainsi manifester sont mécontentement face à la construction des églises décidée par le gouvernement malien et par les missions des missionnaires de l'Eglise évangélique. Le mouvement AQMI proche d’Al Qaïda est djihadiste : application de la charia et guerre contre l’Occident.
Mais quelle est la différence entre Ansar Dine et AQMI ?
Ansar Dine n’a pas la vocation d’imposer la charia à tout le Mali et dans d’autres pays. Et ils ne sont pas djihadistes.
Qu’appelle-t-on une charia « soft » ?
Pour eux, il s’agit d’interdire les bars, l’alcool. Ils veulent le port du voile, ils ne veulent pas « couper les mains ».
Y a-t-il une possibilité de négociations ?
La France tente de négocier avec Ançar Dine, un mouvement qu’elle connaît très bien. Un émissaire français se rend même régulièrement les rencontrer sur place. Sur quoi portent les négociations ? Le maintien de l’intégrité du territoire. De leur côté, le mouvement demande l’application d’une charia « modéré soft »…Un accord peut être trouvé facilement avec Ansar Dine. Le chef de mouvement vient souvent à Paris
Avec le mouvement Azawad, des négociations ont également lieu. Je tente de mon côté de faire rentrer en Libye les Touaregs d’origine Malienne. Ce qui signifie que le CNT devra négocier les conditions de retour de ces Touaregs. Autrement dit leur sécurité.
Pour l’instant cela paraît difficile, compte tenu du fait que le CNT ne contrôle pas la sécurité. Et que seules les milices font la loi.
Leur retour est conditionné également à leurs conditions de vie, leur prise en considération dans la nouvelle Libye.
Finalement, la stratégie est d’isoler Al Qaïda, si les soutiens d’Azawad retournent en Libye et que Ançar Dine obtienne l’application de la charia. Les Touaregs libyens sont-ils également dans les mouvements Azawad ou peut-on en trouver dans Ansar Dine et AQMI ?
Il y a en a. Mais ils sont majoritairement concentrés dans le mouvement Azawad.
Quels sont les acteurs clefs qui pourraient jouer un rôle au Mali ?
La France a un rôle clef dans la région en raison de son histoire colonialiste. Elle connaît bien la région. Cela va lui donner un avantage certain vis-à-vis des Etats-Unis ou certains pays européens. L’Algérie a également un rôle à jouer pour calmer la situation. Si les deux pays travaillent bien, le calme va revenir au Mali. Les Touaregs doivent aussi pouvoir jouer un rôle. Si Al Qaïda n’est pas combattu par les Touaregs, personne ne peut les chasser du Mali. Il faut donc donner les moyens au Touaregs de combattre Al-Qaïda.
Et au Niger ?
Il y a un an, le président Mahamadou Issoufoua nommé un premier ministre Touareg, Brigi Rafini pour répondre aux revendications des Touaregs.
Mais l’arrivée massive de Touaregs libyens d’origine nigérienne armés jusqu’aux dents ne risque-t-elle pas de créer des troubles ?
Le gouvernement vient de libérer Aghali Alembo, nigérien et Touareg, ex-responsable du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) (ndlr : responsable en 2008 de l’enlèvement de français d’Areva qui exploite de l’uranium au Niger et qui a été arrêté récemment pour transport d’explosifs et autres armes alors qu’il revenait de Libye). Il semblerait que le gouvernement l’ait libéré pour calmer les Touaregs auprès de qui il est très écouté.
C’est une stratégie à double tranchant.
C’est une stratégie politique…
Quand en est-il des otages algériens enlevés par le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ?
Les négociations sont toujours en cours. C’est bien une cellule d’AQMI qui les a enlevés. Les négociations ne sont pas rompues…Azawad et Ansar Dine qui considèrent l’Algérie très importante pour eux tentent de les récupérer. Ils demandent de l'argent, la libération de personnes détenues par l'Algérie et que celle-ci ne s'oppose pas à la création d'un Etat dans le Nord.
Pourquoi les Touaregs s’impliquent-ils autant ?
C’est leur intérêt, ils craignent que l’Algérie leur ferme complètement les frontières.
Hélène Bravin est journaliste indépendante, spécialiste dans les questions politiques et économiques liées au Maghreb. Elle a collaboré à différents journaux français et internationaux (Le Quotidien de Paris, Le journal de Genève…), des lettres confidentielles (Maghreb Confidentiel, TTU Monde Arabe…) et France 3. Elle fait aussi de la veille stratégique pour des multinationales. Hélène Bravin a publié en janvier 2012 un livre enquête « Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » (Editions Bourin, en vente chez Amazone.fr, la Fnac et Virgin ).
« Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » : La quatrième de Couv
http://www.dna-algerie.com/enquete/moussa-el-koni-chef-touareg-les-ravisseurs-des-algeriens-demandent-de-l-argent-et-la-liberation-de-prisonniers-en-algerie20 octobre 2011. Mouammar Kadhafi vient de mourir. En Libye, des tirs de joie retentissent, saluant la fin de quarante-deux ans de dictature. À Syrte et à Tripoli, on assiste à des scènes de liesse. Le Guide meurt en homme haï.En renversant le roi Idris en 1969, le jeune officier rêvait pourtant de faire passer la Libye dominée par le tribalisme de l’ère moyenâgeuse à celle de la modernité en donnant le pouvoir au peuple et en fusionnant avec des pays voisins pour créer une grande puissance économique et politique arabe.Il aura finalement laissé son système et ses projets se noyer dans l’anarchie, s’enfonçant lui-même dans la tyrannie.Du jeune bédouin pauvre au dictateur impitoyable des dernières années, Hélène Bravin brosse le portrait d’un homme à la fois idéaliste et opportuniste, féodal et moderne, civilisé et barbare.Un homme qui aura réussi à se maintenir au pouvoir pendant plus de quarante ans, malgré les incroyables obstacles et échecs rencontrés, avant de finir traqué par l’OTAN et les insurgés libyens. L’incarnation moderne d’un personnage shakespearien.
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