Les islamistes profitent de l’agitation dans l’Azaouad
Raby Ould Idoumou et Jemal Oumar pour Magharebia à Nouakchott –13/04/12
De nombreux habitants du nord du Mali espéraient voir un jour naître un Etat touareg indépendant. Ils ne se seraient jamais attendus à voir l’Azaouad devenir un émirat islamiste.
Les terroristes d’al-Qaida venus de Mauritanie et d’Algérie, les combattants de Boko Haram venus du Niger et les islamistes locaux avaient des visées différentes avant le coup d’Etat du 22 mars au Mali. Mais alors que la junte militaire était occupée à Bamako, ils se sont emparés du nord du pays.
Le nord du Mali, appelé « Azaouad » par sa population touareg, échappe désormais au contrôle du gouvernement central, pour la première fois dans l’histoire contemporaine du pays.
Dès que cette étrange alliance a pris le contrôle de la région, elle a commencé à appliquer la charia : opérations contre les bars, fermeture des boîtes de nuit, et punitions pour les hommes qui se rasent la barbe.
Et si l’on voyait habituellement couramment des femmes touaregs sortir non voilées, c’est désormais une chose assez rare dans les régions passées sous le contrôle des islamistes.
Le mouvement Ansar al-Din (Partisans de la foi) d’Iyad Ag Ghaly est déterminé à créer un émirat salafiste au Mali. Dès son arrivée à Gao, le leader d’Ansar al-Din a convoqué une rencontre avec les principaux leaders religieux de la ville pour leur confirmer sa détermination à mettre en oeuvre la charia.
« Les gens venus des régions dirigées par Ansar al-Din, comme Tessalit et Aguelhok, expliquent que la vie est semblable à celle de l’Afghanistan du temps des Talibans », déclare à Magharebia le spécialiste du terrorisme Mohamed Mahmoud Aboulmaaly.
Les nouveaux dirigeants sont allés jusqu’à imposer leur propre terminologie administrative : « émirat » au lieu de province ou d’Etat, « émir » au lieu de gouverneur, et « promotion de la vertu et prévention du vice » en remplacement de loi constitutionnelle.
Le terroriste mauritanien Hamada Ould Mohamed Kheirou, dont le groupe Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya (Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, MUJAO), affilié à al-Qaida, est à l’origine de la conquête de Gao, s’est engagé à imposer l’interprétation de la loi islamique du MUJAO dans la région.
Si Ahmed Ould Tfeil a beaucoup écrit sur la psychologie des terroristes mauritaniens. Pour lui, le MUJAO « vise à prendre d’abord le contrôle de la région la plus étendue possible dans le nord du Mali avant de s’étendre à l’ensemble du Sahel ».
« Toutes ces initiatives ‘djihadistes’ se font en coordination avec leurs frères d’armes et de credo, comme Ansar al-Din », explique-t-il à Magharebia.
Durant les premiers jours de sa présence dans le nord du Mali, en particulier à Tombouctou, le MUJAO a commencé à plus ressembler aux Talibans qu’à des militants africains, soulignent les observateurs. Ould Mohamed Kheirou s’est empressé de poser pour les caméras de la télévision à Gao en train de mettre le feu à des bouteilles de vin.
Dans un entretien avec la chaîne de télévision Al Jazeera, dimanche 8 avril, il a indiqué que son groupe voulait expulser les « infidèles » de la ville.
Moulay Abdallah, jeune militant politique d’Adel Bagrou, une ville mauritanienne située sur la frontière malienne, a dit à Magharebia : « Les armes d’al-Qaida ont été un élément déterminant dans la conquête de l’Azaouad. »
« Al-Qaida est aujourd’hui fortement implantée dans le nord du Mali et cherche à y appliquer la charia selon le modèle des Talibans », a-t-il souligné. Le leader d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQSMI), Mokhtar Belmokhtar (alias « Laaouar »), a été repéré à Gao.
Bien que ces groupes terroristes bénéficient maintenant d’une liberté sans précédent dans le nord du Mali, les profondes divergences qui les séparent pourraient contrecarrer leurs plans de fonder un émirat salafiste, souligne Mohamed Mahmoud Aboulmaaly, analyste spécialiste des groupes armés.
« Le Mouvement national pour la libération de l’Azaouad (MNLA) s’oppose à un émirat salafiste, tout comme les habitants touaregs, arabes et songhais », explique-t-il. « Tous ces mouvements rejettent un régime imposé par des groupes terroristes extérieurs, et il faudra donc s’attendre à assister à des affrontements violents. »
Il semble clair que la région, longtemps affligée par les vélléités séparatistes de la population touareg locale, se trouve désormais face à des restrictions aux libertés personnelles aux termes de la charia, poursuit-il.
Dans une analyse publiée sur Swissinfo.com, il a également averti que les confrontations armées mettront aux prises un grand nombre d’adversaires potentiels.
« Auront-elles lieu entre le MNLA et Ansar al-Din ? Entre le MNLA et al-Qaida ? Entre une force militaire régionale commune et al-Qaida ? Et dans quelle mesure les dimensions tribale, ethnique et doctrinale joueront-elle un rôle déterminant dans ces affrontements locaux ? »
L’analyste touareg Abu Bakr al-Sedik Ag est pour sa part convaincu que cette vision d’un « émirat » ne deviendra jamais une réalité.
« Quelle que soit l’attention portée par les médias à Ansar al-Din et à ses alliés terroristes, ils ne seront pas capables de créer un bastion politique ou religieux, parce que le leader d’Ansar al-Din, Iyad Ag Ghaly, originaire de la tribu des Ifoghas, ne sera jamais accepté par les tribus arabes, notamment à Tombouctou. Même les Touaregs de la ville le rejettent catégoriquement par suite d’une inimitié historique envers sa tribu », explique-t-il.
« Mais si les Touaregs souhaitent continuer à contrôler le nord », a expliqué à Magharebia le spécialiste du terrorisme Aslam Ould Mustafa, ils devront s’associer dans la guerre contre le terrorisme.
« Des négociations devront être engagées avec eux », poursuit-il. « Cela serait mieux que de mener une guerre dans le nord du Mali dans le chaos actuel. »
« Une telle guerre pourrait avoir un impact très défavorable sur l’ensemble du Sahel », conclut-il.
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