dimanche 8 avril 2012


Interview

Afrique | 7 avril 2012 | Mise à jour le 8 avril 2012

Rufin : "Les Touaregs peuvent devenir un allié précieux"


INTERVIEW - Jean-Christophe Rufin, ancien vice-président de Médecins sans frontières (MSF), a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010. Un poste d’observation idéal pour écrire Katiba (réédité récemment chez Folio/Gallimard), un roman dans lequel il raconte les jeux troubles des groupes nomades et islamistes du désert sahélien sur fond de complot terroriste.



Comment expliquez-vous cette victoire si rapide des Touaregs du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et de leurs alliés islamistes d’Aqmi et d’Ansar Dine?
Le président malien Amadou Toumani Touré était seul et réticent à mener une lutte totale contre les rebelles. En Mauritanie, son homologue avait fait le choix d’une répression très dure et d’un contrôle sévère aux frontières. Au Niger, le nouveau président Issoufou a décidé d’intégrer les Touaregs à tous les niveaux de responsabilité nationale et locale. Quant à l’Algérie, en réussissant à repousser les dirigeants d’Aqmi en dehors de son territoire, elle a estimé que sa lutte antiterroriste avait atteint son but et elle ne souhaitait pas que la France s’implique et s’implante dans la région. Sa responsabilité dans la paralysie des autorités maliennes est importante.

Le MNLA annonce maintenant qu’il va se retourner contre Aqmi? Est-ce possible?
Les deux mouvements avaient une stratégie commune à court terme pour pousser leurs pions en même temps sur le terrain avec l’avantage militaire qu’ils avaient puisé en termes d’armement massif acquis en Libye après la chute de Kadhafi. Aujourd’hui leurs intérêts sont contradictoires. Le MNLA veut s’imposer sur ses terres de l’Azawad libéré. Aqmi veut disposer d’un sanctuaire au cœur d’un État désordonné pour son djihad global dont les cibles sont parfois lointaines (la France par exemple) tandis qu’Ansar Dine, branche islamiste locale, veut instaurer un islam pur et dur dans les localités où elle est présente. Si on estime que les revendications touareg sont les plus légitimes, le MNLA pourrait être un allié très précieux pour se débarrasser d’Aqmi.

Un déploiement de forces étrangères est-il souhaitable?
Compte tenu de la petite taille des Katibas d’Aqmi, une offensive armée classique ferait fuir les islamistes de Gao ou de Tombouctou dans les deux heures sur n’importe quel terrain. Mais comme il est exclu que la France envoie des parachutistes et que les forces africaines de la Cedeao seront compliquées à manœuvrer, cela prendra des mois. Sauf si le MNLA se joint à l’effort commun. Il faudrait pour cela payer un prix politique fort. Personne n’acceptera de leur donner l’indépendance, mais il faut parler avec les Touaregs de forte autonomie ou de fédéralisme. Et vite, car d’ici là les dégâts humains que causeront les islamistes seront nombreux et la situation humanitaire peut devenir tragique.


François Clemenceau - Le Journal du Dimanche

samedi 07 avril 2012

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