TESHUMAR.BE est dedié à la CULTURE du peuple touareg? de ses voisins, et du monde. Ce blog, donne un aperçu de l actualité Sahelo-Saharienne. Photo : Avec Jeremie Reichenbach lors du Tournage du film documentaire : « Les guitares de la résistance Touaregue », à la mythique montée de SALUT-HAW-HAW, dans le Tassili n’Ajjer-Djanet- Algérie. 2004. Photo de Céline Pagny-Ghemari. – à Welcome To Tassili N'ajjer.
mardi 19 janvier 2010
Jouer Bach chez les Touaregs ? « De l'adrénaline pure ! »
Jouer Bach chez les Touaregs ? « De l'adrénaline pure ! »
Par Nathalie Krafft | Journaliste | 19/01/2010 | 11H25
(De Tombouctou) En dépit de l'appréhension suscitée par l'enlèvement d'un Français au Mali, le Festival au désert a tenu sa 10e édition près de Tombouctou en janvier. Pas tout à fait au même endroit, et pas tout à fait de la même manière. S'était notamment infiltré au milieu de ce « Woodstock touareg » un vilain petit canard, le violoniste classique Jean-Marc Phillips Varjabédian.
En plein désert, à une centaine de kilomètres au nord de Tombouctou, musiciens touaregs, maliens, africains et occidentaux se donnent depuis dix ans rendez-vous pour trois jours de musique sous les regards impavides des chameaux et la clarté opalescente des étoiles.
Fin novembre, l'enlèvement du Français Pierre Camatte à Menaka, interprété comme une aggravation de la menace terroriste dans la région, a bien failli faire renoncer les organisateurs et le gouvernement malien.
En rouge sur la carte du ministère français des Affaires étrangères, la zone où devait se tenir le festival et qui était « formellement déconseillée » aux touristes.
Cela n'a pas fait peur au violoniste Jean-Marc Phillips Varjabédian. Ce garçon sérieux, bardé de prix et formé au Conservatoire supérieur de Paris par Gérard Poulet, à Cremone par Salvatore Accardo et à la Juillard School de New York par Doroty Delay, ne s'est plus contenté, à 44 ans, de poursuivre une carrière toute tracée de violoniste virtuose.
Un public qui ne fait pas silence
Membre depuis quinze ans du Trio Wanderer, partenaire privilégié de l'accordéoniste Richard Galliano, directeur et fondateur de l'ensemble à cordes Prometheus 21, membre de l'ensemble « Quai numéro 5 » et, « last not least », soliste, Jean-Marc Phillips Varjabédian fait 120 concerts par an !
Aller vers des publics nouveaux et faire l'expérience d'autres pratiques musicales, est -donc ? - pour lui aujourd'hui une nourriture nécessaire. Presque une question de survie, artistique bien entendu.
Je l'ai rencontré l'après-midi précédant son passage sur scène, alors qu'il était depuis trois jours sur le site du festival, acclimatant son violon aux très grandes variations thermiques, s'acclimatant à la vie singulière du désert, ajustant sa sonorité au plein air.
Et se faisant à l'idée que ce public-là, définitivement, n'allait pas l'écouter dans un silence figé…
« Pour moi, c'est un gros challenge sur le plan émotionnel. Ne pas se sentir à sa place, cela peut vite être déstabilisant. Mais je m'accroche à la gentillesse des gens et à leur ouverture d'esprit.
C'est vrai que jouer Jean-Sébastien Bach au milieu d'un festival touareg, c'est un peu gonflé, mais c'est une belle expérience » (voir la vidéo)
Cette expérience-là, les organisateurs ont tout fait pour qu'elle ait lieu. Mais pour cela, il fallait garantir la sécurité du public et des musiciens. Rapprocher le site du festival de Tombouctou s'est trouvé être la meilleure solution.
Conséquence directe, si seuls auparavant les Occidentaux acquittaient le prix d'entrée, les Africains ont payé pour la première fois leur écot : la proximité de la ville rendait possible la venue d'un public plus large, et donc de subsides plus importants.
Il n'empêche : nous étions bien toujours au pays des Touaregs, là où les hommes se voilent avec leurs turbans et dansent avec les étoffes de leurs robes, comme les plus improbables des Salomé, tandis que les femmes dévoilent leurs visages.
Les mythiques « hommes bleus » ont leur festival depuis dix ans
Idole des jeunes Touaregs et star dans les pays anglo-saxons, le groupe Tinariwen, à l'origine de la création du festival, s'est produit le premier soir. C'est le deuxième groupe qu'on voit dans ce montage. (Voir la vidéo)
De leur rencontre à Angers avec le groupe Lojo était née l'envie de se retrouver une fois par an dans le désert, pour jouer entre amis musiciens. Des retrouvailles ancrées dans la tradition touareg : de tout temps, à chaque fin de transhumance, les « hommes bleus » se donnent rendez-vous pour faire la fête tout en échangeant les dernières nouvelles.
Ces mythiques « hommes bleus », qui représentent quelque 6% de la population malienne, forment la majorité du public du festival. Un festival qui leur appartient.
Jean-Marc Phillips a mesuré très vite cette dimension et il lui a fallu calmer les appréhensions qui l'ont saisi : comment le public allait-il réagir à l'écoute de la « Chaconne » de Jean-Sébastien Bach, en ignorant tout de la musique classique, du violon « occidental » et de Bach bien sûr ? Comment l'instrument allait-il « sonner » sur cette scène ouverte » ?
Le soir du samedi 9 janvier, vers 20h45, il s'est lancé… (Voir la vidéo)
Quelques dizaines de minutes plus tard, le temps de reprendre ses esprits, Jean-Marc Phillips réagit :
« C'est l'expérience du siècle ! J'ai senti une poussée d'adrénaline dans la “Chaconne”. Au moment où la musique devient de plus en plus tendue, j'ai senti la foule qui se tendait aussi, des cris, des applaudissements. Ils n'avaient jamais entendu du Bach, et ils ont tout compris. » (Voir la vidéo)
Tout pour faire mentir James Joyce, découragé par le sable (« Rien n'y pousse. Tout s'y efface ») : dans le sable de Tombouctou, Jean-Sébastien Bach semble avoir pris racine. Mêmes les plus vaches des chameaux vous le diront.
Jean-Marc Phillips en concert
► 20 janvier, mélodies anglaises de Haydn et Beethoven avec le baryton Wolfgang Holzmair (Trio Wanderer), Paris, Opera Comique
► Fin janvier, dans le cadre de la Folle Journée en hommage à Chopin, le Trio Wanderer jouera le « Trio opus 8 pour violon, violoncelle et piano » de Chopin les 22 janvier à Challans, 23 janvier à Saumur et à Laval, 24 janvier à Saint-Nazaire et à La Roche-sur-Yon, 28, 29 et 30 janvier à Nantes
► 13 mars, « Double concerto pour violon, violoncelle et orchestre » de Brahms (Jean-Marc et Xavier Phillips) avec l'Orchestre de Lille, le Nouveau Siècle, Lille
► 10 avril, « Concerto pour violon » de Khatchaturian, avec l'Orchestre Colonne, Salle Pleyel, Paris
En disque
► Quai numéro 5 éd. Universal - label Decca noir - sortie le 1er février
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