jeudi 28 janvier 2010

Culture/Le musée intime de Blutch


Festival international de la bande dessinée d'Angoulême 2010
Le musée intime de Blutch
Par Marion Festraëts (L'Express), publié le 28/01/2010 à 08:00
L'Express.fr

Le président de l'édition 2010 du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême confesse son impatience de retourner à ses crayons. En attendant, le créateur du Petit Christian, de Mitchum et de Blotch ouvre à L'Express les portes de son panthéon intime. Suivez le guide.
Saul Steinberg
"C'est le dessin pur. La pensée matérialisée, comme de l'écriture. La liberté absolue. J'adore les dessinateurs d'humour en général, comme Sempé, William Steig. Mais c'est Steinberg qui est allé le plus loin. J'ai acheté son livre The Inspector, qui date de 1973, en solde à New-York il y a quelques années. Les artistes que j'aime m'inspirent souvent pour les mêmes raisons : leur goût de la recherche et du changement, l'absence de nostalgie envers leur propre travail. C'est sans doute outrecuidant de le dire, mais c'est ma manière d'être : versatile, irrésolu."

Wayne Shorter
"Je l'appelle "le peintre". Je l'ai souvent vu en concert, la dernière fois en novembre, à la salle Pleyel. Il m'enthousiasme, comme plein de musiciens de jazz. J'aime leur manière de triturer la matière, de modeler les formes, d'être perpétuellement en mouvement sans jamais se reposer sur leurs lauriers. Sans rétroviseur. Adolescent, j'écoutais du free jazz. C'était ma musique de révolte, une manière d'affirmer ma personnalité. Et puis tous ces noirs, ils avaient de la gueule. On avait envie de leur ressembler.

Chez moi, il n'y avait pas de disque, pas de livre. On écoutait la radio ou on regardait la télé, c'est tout. Mais j'ai quand même eu la chance d'avoir des parents dépourvus de préjugés culturels.

J'ai acheté une trompette avec l'intention d'apprendre à en jouer, mais je ne m'y suis jamais mis. Je suis trop orgueilleux pour ça, je n'avais pas envie de passer par la phase ingrate de l'apprentissage. C'est tout ou rien. Et puis j'ai réalisé qu'avec cet instrument, on produisait le son soi-même, sans pincer une corde ou appuyer sur une touche. Il faut avoir de l'oreille et je crois en être dépourvu. "

Romain Gary
"L'auteur de La Promesse de l'aube m'inspire depuis longtemps. Particulièrement son roman Chien Blanc, un livre qui déborde de vie, qui part dans tous les sens, autoportrait, portrait de sa femme, de la France, de l'Amérique. Gary, j'aime son sens de la dérision, son humour, sa vitalité, sa mélancolie, son pessimisme. C'était un homme pas comme il faut, un homme qui raconte le XXe siècle. Je n'avais pas vingt ans lorsque je l'ai découvert, avec Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable. Il m'accompagne depuis ma jeunesse, par périodes. En ce moment je tourne beaucoup autour de son roman Pseudo, pour un livre que je dessine et qui s'appellera Adieu Paul Newman. Gary fait partie de ces artistes dont la mort éclaire l'oeuvre, lui donne une intensité particulière."

Sacha Guitry

"Ça fait hurler tout mon entourage ! Pire que si je regardais des pornos en cachette ! Mais moi j'adore, même les défauts. J'avais envie d'en faire un personnage de bande-dessinée. Lui, c'est un homme de la belle-époque, du XIXe siècle. Quand on regarde ses premiers films, Bonne chance ou Le Roman d'un tricheur, il y a une grande liberté, une désinvolture et une générosité qui, plus tard, se sont changés en aigreur, en noirceur. Il avait un sens du dialogue inégalé. Désiré, j'adore ! ça m'est venu gamin, vers 13 ou 14 ans, en voyant ses films à la télé, avec leur générique récité. Je regarde ses films régulièrement. Tout le monde se moque de moi. Je m'en fous."

Michel Piccoli

"A Noël, j'ai retrouvé chez mes parents des portraits que je dessinais de lui, adolescent. J'aime sa déraison, le fait qu'il n'ait pas peur de l'outrance. Mon film de Piccoli préféré, c'est Dillinger est mort, de Marco Ferreri. Il est toujours en mouvement, en création. Abrupt, inattendu. Un mec qui réalise son premier film à 72 ans ! Je vais aller voir Le Bel âge, son dernier film."

Garry Winogrand
"J'adore la photo. C'est mystérieux, une photo. On peut s'y perdre. J'en ai fait un peu, puis j'ai pété la cellule de mon appareil. Je me suis essayé au polaroïd, aussi. Mais il faut un oeil, que je n'ai pas. J'ai découvert Winogrand il y a une vingtaine d'années, lors d'une expo. Ensuite, j'ai pourchassé ses livres. J'aime particulièrement ses scènes de foules, pleines de détails parfois bizarres. Il est mort en 1984. Il était né en 1928, la même année que Le Pen. Dommage que ce ne soit pas l'inverse."

Balthus
"Evidemment. C'est la discipline, une manière quasi religieuse de travailler, un côté moine, jusqu'à la sécheresse. J'ai toujours aimé les surréalistes et la manière dont lui les a digérés, transfigurés. Dans cette Jeune fille endormie de 1943, il y a une lumière, un silence... Un mystère. Plein de choses qu'on ne peut pas dire parce qu'elles ne se disent pas : elles se ressentent."

Frank Sinatra
"Mon vice ! Si je ne devais sauver qu'un seul disque, ça serait ce live avec le Count Basie orchestra, Sinatra at the Sands. Le disque suprême !"

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