lundi 25 janvier 2010

Sénat - séance plénière du 14 janvier 2010 : débat chaud au sénat belge sur la crise au Niger


Politique
Dimanche, 24 Janvier 2010 17:33

M. Benoit Hellings (Ecolo). – Comme vous le savez, monsieur le ministre, la situation politique au Niger est préoccupante. Lors du pseudo-référendum du 4 août 2009, une nouvelle Constitution a été « approuvée ». Elle permet au président Mamadou Tandja de rester au pouvoir et de finaliser ainsi un véritable coup d’État. Ce sont les acquis de la démocratie nigérienne et la stabilité du pays qui sont ainsi remis en cause.
Les réactions au sein de la communauté internationale ont été nombreuses et l’indignation a été générale, à l’exception notable de la Chine. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a fortement réagi et a estimé que ce référendum allait «à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Constitution du pays et [est] une violation flagrante du Protocole Additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance». La CEDEAO a dès lors pris des sanctions envers le Niger. De plus, c’est sous la médiation de la CEDEAO qu’un dialogue inter-nigérien a débuté le 21 décembre dernier afin de sortir de cette crise. Savez-vous, monsieur le ministre, où en est ce dialogue ?

L’Union européenne a également vivement réagi à ce coup d’État. Avant de quitter la commission européenne, l’ex-commissaire Louis Michel a suspendu toute l’aide budgétaire de l’Union européenne soit plus de 450 millions d’euros pour la période 2008-2013, privant ainsi le régime de ressources financières importantes. L’Union européenne a franchi un cap supplémentaire le 8 décembre dernier en ouvrant des consultations avec la République du Niger au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou, ce qui peut mener à l’arrêt complet de l’aide de l’Union européenne. Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, où en sont ces consultations ?

Un grand nombre de pays européens, y compris la France, ont également condamné la dérive autoritaire du président Tandja. Or, comme vous le savez, le Niger est riche en uranium, ce qui suscite la convoitise de la communauté internationale et notamment de la Chine. Comme M. Leterme, alors ministre des Affaires étrangères, l’expliquait à notre collègue Christine Defraigne en septembre dernier, «la France, partenaire clé du Niger, et qui bénéficie de contrats d’uranium, a plus récemment abandonné son ton nuancé». Or, grâce au gisement d’uranium d’Imouraren géré par Areva, le Niger représente un tiers des approvisionnements en uranium de cette entreprise publique française. Ainsi, le Niger est plus que jamais un pays stratégique pour la France et pour Areva, sa filiale nucléaire.

Quant à la Belgique, qui a aussi condamné cette dérive autoritaire, elle a suspendu, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, trois conventions spécifiques au titre de l’aide bilatérale d’un montant de 5,8 millions d’euros. Toutefois, le 10 décembre 2009, soit deux jours à peine après que l’Union européenne ait sanctionné le Niger, deux conventions de financement au titre de l’aide bilatérale d’un montant total de 15,6 mill ions d’euros ont été signées entre le ministre de l’Éducation nationale nigérien, le Dr Ousmane Samba Mamadou, et l’attaché à la coopération internationale à l’ambassade de Belgique. D’après l’Agence de presse africaine APANEWS, ce dernier aurait déclaré que «la signature de ces deux conventions est le signe de l’amitié et de la solidarité entre les deux peuples et les deux États». Cette convention a-telle bien été signée ?

Alors que la communauté internationale tend à suspendre ou menace de suspendre son aide au Niger, l’attitude belge a de quoi surprendre, surtout quand on relit les réponses apportées dernièrement en ces lieux par M. Leterme. Pourquoi ces conventions ont-elles quand même été signées ? S’agit-il des mêmes conventions que vous aviez suspendues quelques temps plus tôt ? Quel est leur contenu ? Ne s’agit-il pas d’un acte contradictoire avec les déclarations précédentes du gouvernement belge et les attitudes de tous nos partenaires européens ? Le Programme Indicatif de Coopération (PIC) 2009- 2012 portant sur un montant de 52 millions d’euros sera-t-il révisé ou du moins suspendu compte tenu du contexte politique que je viens de vous exposer ? Enfin, ce revirement silencieux a-t-il un rapport avec les intérêts économiques en jeu pour Areva sur place ?

M. Charles Michel, ministre de la Coopération au Développement. – La procédure de consultation sous l’article 96 de l’accord de Cotonou a été lancée le 7 octobre dernier par la Commission européenne pour donner l’opportunité aux autorités nigériennes de présenter des propositions pour sortir de la crise. Les premières consultations se sont tenues le 8 décembre à Bruxelles, en présence notamment du premier ministre et de la ministre des Affaires étrangères du Niger. Un accord avec les autorités nigériennes a été obtenu sur quatre éléments :

L’acceptation et l’établissement d’un dialogue avec toutes les parties prenantes nigériennes sous l’égide du médiateur de la Commission économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La discussion des conditions relatives aux élections locales à venir, y compris leur possible report. La consolidation du droit à la liberté d’expression et la liberté politique avec la confirmation de l’engagement du gouvernement à décriminaliser les délits liés à la presse. Enfin, l’adoption de mesures de bonne gouvernance afin de restaurer la confiance entre les parties.

Initialement programmée début février, la seconde réunion entre la Commission européenne et les autorités nigériennes devrait se tenir à la fin du mois de février à Bruxelles afin de laisser le temps au dialogue national de se poursuivre dans de bonnes conditions.

Par ailleurs, ce calendrier a pour but de prendre en compte les résultats du Sommet des chefs d’État de la CEDEAO qui devrait se tenir à la mi-février. Le médiateur, M.Aboubakar, devrait y faire rapport de l’état d’avancement du dialogue sous l’égide de la CEDEAO.

Dans le cadre des consultations prévue à l’article 96, la Belgique plaide pour donner aux consultations toutes leurs chances mais insiste néanmoins pour que le délai légal de cent vingt jours pour les consultations soit scrupuleusement respecté ; il est en effet essentiel de trouver rapidement une solution de sortie de crise que connaît le Niger.

Quant à la coopération bilatérale belge, je voudrais vous rassurer.

Je vous confirme qu’en décembre dernier, deux conventions de coopération ont été signées entre la Belgique et le Niger. Il s’agit, d’une part, de la seconde phase du projet d’augmentation des revenus monétaires des femmes au Niger pour un budget total de 4,6 millions d’euros et, d’autre part, d’un programme d’élevage qui vise à aménager l’espace pastoral, à sécuriser les systèmes pastoraux et à assurer une base durable à la productivité. Le budget se monte à onze millions d’euros.

Ces deux projets viennent directement en appui à la population du Niger. Cette décision ne modifie donc en rien la position que j’avais prise en août dernier et que j’avais communiquée aux autorités nigériennes. Pour rappel, j’avais annoncé que je suspendais la signature de trois conventions spécifiques relatives à des appuis institutionnels au gouvernement du Niger. II me semble en effet important de distinguer les soutiens apportés au gouvernement soit par des appuis formels, soit par des aides budgétaires, comme celui de la Commission européenne pour 450 millions d’euros et les appuis directs aux populations vulnérables, comme ceux qui visent à assurer la sécurité alimentaire ou à soutenir des projets de micro- finances au bénéfice de l’égalité des genres. Les appuis prévus en 2010 dans le cadre du PIC 2009-2012 devront également être revus en fonction des résultats enregistrés dans le cadre des consultations article 96. Je n’exclus en effet pas la possibilité de suspendre d’autres engagements faute de nouveaux éléments positifs. Il faudra un regard nuancé. Le dilemme est classique : lorsqu’un gouvernement ne respecte pas les principes démocratiques fondamentaux, faut-il pénaliser la population une deuxième fois en mettant un terme à des projets de la coopération technique belge, par des acteurs belges sans intervention directe des autorités nigériennes? En suspendant l’aide institutionnel, nous tentons d’être nuancés. Nous demeurerons extrêmement attentifs à plaider pour que le Niger se réoriente dans la voie de la consolidation démocratique, à la différence de ce qu’il a fait durant ce dernier mois. M. Benoit Hellings (Ecolo). – Je remercie le ministre de sa réponse. Cependant, un fonctionnaire de la coopération – et non un fonctionnaire nigérien – a déclaré : «La signature de ces deux conventions est le signe de l’amitié et de la solidarité entre les peuples et les deux États». Je comprends bien que la coopération soit prioritairement affectée aux populations qui en ont besoin mais, ici, la reprise de la coopération a été utilisée politiquement par le gouvernement non démocratique en place. Avant de reprendre, prématurément à mon avis, la coopération, vous auriez pu attendre les décisions de l’Union européenne. C’est l’utilisation politique par le régime qui pose problème. Cet épisode nous rappelle enfin que l’uranium joue un rôle important : Areva est un fournisseur pour cinq de nos sept réacteurs. Ceux qui ont tenu en ces lieux des propos rassurants sur l’indépendance énergétique belge devraient se souvenir que l’origine de l’uranium soulève la question du soutien à des régimes peu respectueux des droits de l’homme. M. le président. – Je rappelle que la coopération soutient les peuples et non les gouvernements.

Extrait du compte rendu intégral (Annales 4-108) Question orale de M. Benoit Hellings au ministre de la Coopération au développement sur «la situation au Niger et l’attitude de la Belgique» (nº 4-1034)

24 janvier 2010
Publié le 20 janvier 2010
Source : La Roue de l'H.

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