mardi 19 janvier 2010

Musiques du monde et mondialisation


Musiques du monde et mondialisation
Par Marc Zisman | QOBUZ | SUR SCÈNE | 19 janvier 2010 TinariwenA partir du 12 février, la Cité de la Musique à Paris proposera un passionnant cycle consacré aux musiques du monde à l’heure de la mondialisation.

Face aux logiques normalisantes de la mondialisation, des peuples tentent de résister en défendant leur singularité et leur identité. Les musiciens qui se font les porte-voix de ces traditions menacées empruntent pourtant volontiers leurs instruments et leurs rythmes au blues et au rock. C’est sur ce mouvement que le cycle Terres de résistance zoomera du 12 février au 18 mars à la Cité de la Musique à Paris.

Vendredi 12 février, ce sont d’abord les musiques des Touaregs qui résonneront à la Villette avec, les Maliens de Tartit et de Tinariwen. Dans le Sahara, les riffs de guitare et les claquements de mains allient politique et poésie. Les ishumar, appellation dérivée du français « chômeurs », appartiennent à cette génération de Touaregs que la répression politique et la sécheresse de 1973 ont exilée en Libye ou en Algérie. C’est depuis cet exil que rejaillit chez eux la conscience d’une identité touareg à défendre. Le groupe de femmes Tartit est issu du peuple nomade des kel tamasheq. Venues de la région de Tombouctou, elles se sont « réunies » (c’est ce que signifie tartit) dans un camp de réfugiés durant la rébellion des Touaregs contre le gouvernement malien. Accompagnées de leurs griots au tehardent et à l’imzad (sortes de guitare et de violon), elles chantent leur vie, leur tradition et jouent des tindé (percussions). Lorsque la guitare électrique fait irruption dans les campements, la musique traditionnelle se métamorphose, comme la société touareg elle-même. Le groupe Tinariwen, figure emblématique de la résistance des musiciens combattants, est l’initiateur de ce style al guitara. Dans leur sillage, ces vingt dernières années, au Niger et au Mali, d’autres groupes sont apparus, créant une musique inédite, clandestine et brûlante, entre rythmes traditionnels, blues, folk et rock’n’roll.

Le lendemain, samedi 13 février, à 15h00, l’Amphithéâtre accueillera un grand forum Musiques du monde à l’heure de la mondialisation. La table ronde sera animée par Denis-Constant Martin (sociologue) et réunira Laurent Aubert et Julien Mallet (ethnomusicologues) et Nadia Belalimat (anthropologue). A 17H30, la voix de Damily succèdera au débat. Le contexte de mondialisation actuel oblige à penser la complexité d’un paradoxe : l’imposition de normes à l’échelle planétaire – la globalisation – conduit à une certaine uniformisation, pourtant, la mondialisation n’est pas homogénéisation. Grâce au développement des moyens de communication, elle permet aussi une diversification. Ces problématiques seront abordées à partir de diverses musiques à travers le monde et notamment à travers le tsapiky de Madagascar, une « jeune musique » prise dans le tourbillon de multiples influences, s’inscrivant dans des processus locaux aussi bien que mondiaux, dans des contextes cérémoniels aussi bien que marchands. Ce concert permettra d’en découvrir une de ses figures emblématiques, le guitariste virtuose Damily, considéré comme maître du genre en ville comme à la campagne dans la région de Tuléar, au sud-ouest de Madagascar.

Samedi 13 toujours, mais à 20h00, ce sont comme deux visages de la musique navajo qu’offrent The Jones Benally Family et le groupe Black Fire : les musiciens sont pratiquement les mêmes, mais ils revêtent tour à tour le masque de la tradition, avec ses chants et danses, ou celui de la révolte, aux rythmes du punk rock. En écho, depuis l’autre bout du monde, le chant rituel et le didgeridoo des aborigènes australiens cèdent la place au rock militant du Nabarlek Band. L’histoire des Navajos est d’abord celle d’une déportation. En 1864, neuf mille d’entre eux furent envoyés à pied dans la réserve de Fort Sumner, au Nouveau-Mexique. Ce fut ce qu’ils appellent la « longue marche ». Malgré les privations et les conflits qui les opposèrent au gouvernement des États-Unis, ils ont conservé leur culture, leur spiritualité et leur habitat traditionnel. C’est leur revendication identitaire que Black Fire défend. L’histoire du Nabarlek Band, en Australie, a quelque chose de semblable. Issus d’une petite communauté d’Arnhem Land (cette région qui fut déclarée réserve aborigène en 1931), les musiciens ont produit leur premier album à Melbourne, en l’accompagnant d’un slogan : « le groupe garage qui n’a jamais eu de garage ».

Son nom, qui lui fut donné par un lama, signifie : « Déesse de la mélodie et du chant ». Yungchen Lhamo, qui se produira dimanche 14 février à 16h30, a fui son pays, à pied, en 1989. Depuis son premier album, Tibetan Prayer, et au fil de ses fascinants spectacles a cappella, elle s’est imposée comme la grande voix tibétaine. Née dans un camp de travail près de Lhassa pendant l’occupation chinoise, elle a commencé à travailler dans une fabrique de tapis à l’âge de cinq ans. Le chant tibétain avait été banni par la Révolution culturelle. C’est dans ce contexte de répression que Yungchen reçut de sa grand-mère l’enseignement d’un art vocal religieux, qu’elle a emporté avec elle lors de sa dangereuse traversée de l’Himalaya, pour émigrer en Inde, où le dalaï-lama encourage son talent. « Quand j’ai quitté le Tibet, confie-t-elle, j’ai tout perdu, sauf ma voix… » De fait, en renonçant à tout accompagnement pour ses concerts, elle se concentre sur cette voix nue qui, de façon bouleversante, évoque les traditionnels thèmes tibétains du pèlerinage spirituel ou de l’harmonie avec la nature.

Née dans un petit village de la République de Touva, en Sibérie méridionale, Sainkho Namtchylak, présente à la Cité de la Musique mardi 16 février à 20h, ressemble à une rock star hantée par les esprits. Mêlant le classique, le jazz et la musique ethnique, elle s’est inventé une voix à nulle autre pareille. Elle transporte les traditions chamaniques locales, transfigurées, sur les scènes du monde entier. Les relations de Touva avec le grand voisin russe ont oscillé entre l’indépendance et la soumission. C’est la Russie qui y fait interdire le chamanisme en 1931, et la petite république autonome doit intégrer l’Union soviétique en 1944. Aujourd’hui, elle est en principe souveraine, tout en faisant partie de la fédération de Russie. Dans ces contrées dépeuplées et ces plaines sans fin le long du fleuve Ienisseï a fleuri la tradition du chant diphonique, le khöömii, accompagnant les pratiques des chamanes. Petite-fille de nomades et fille d’instituteurs, Sainkho a pourtant d’abord étudié le chant au collège, près de son village natal, puis à Moscou. Parallèlement, elle s’initie aux différentes techniques vocales des chants lamanistes et chamaniques de Sibérie. En 1988, elle rejoint l’ensemble Tri-O, un groupe de jazz expérimental. Elle s’installe en Europe, participe à des créations chorégraphiques
théâtrales et cinématographiques. Son disque Out Of Tuva, enregistré entre 1989 et 1993, est considéré comme un chef-d’œuvre de l’ethno-pop.

Le site officiel de la Cité de la Musique

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