«La Libye est instable et ingérable»
LUNDI 27 MAI 2013
L’Après- kadhafi • Deux ans après la fin du régime de Kadhafi, la Libye tente de se reconstruire. Mais le pays reste très fragile, les tensions extrêmes, les milices omniprésentes.
Souk Aldjoumoua, un quartier au cœur de Tripoli. Mohamed, 35 ans, joint le geste à la parole pour dénoncer l’ineptie des autorités libyennes aux manettes du pays depuis deux ans. «Le nouveau régime peine à redonner fière allure à une capitale miséreuse et à reconstruire un pays en ruine et en plein tumulte», affirme cet ingénieur en pétrochimie qui a retroussé ses manches pour l’exemple.
Epaulé par un groupe de citoyens bénévoles, Mohamed a réhabilité la rue principale qui traverse son quartier. L’axe de Tarik Ouled Elhaj a été déblayé et ripoliné. Les façades retapées. La chaussée a été asphaltée et des places de parking ont été aménagées et numérotées. Et rien n’a été négligé par l’ingénieur qui a même installé dans cette artère commerçante des panneaux de signalisations routières, des limitations de vitesse et encore mieux... un passage clouté!
Epaulé par un groupe de citoyens bénévoles, Mohamed a réhabilité la rue principale qui traverse son quartier. L’axe de Tarik Ouled Elhaj a été déblayé et ripoliné. Les façades retapées. La chaussée a été asphaltée et des places de parking ont été aménagées et numérotées. Et rien n’a été négligé par l’ingénieur qui a même installé dans cette artère commerçante des panneaux de signalisations routières, des limitations de vitesse et encore mieux... un passage clouté!
Comme en Europe...
«J’ai investi 1000 dollars et une semaine de travail pour embellir notre localité. Aujourd’hui, les Tripolitains de passage admirent notre belle avenue. De nombreux badauds s’étonnent et comparent notre rue à l’Europe.» Sauf que ce bout d’Europe ne dure... qu’un kilomètre. Après quoi, la capitale libyenne montre son vrai visage: rues éventrées, trottoirs ensablés, murs poussiéreux et circulation chaotique.
«Pourtant le budget de l’Etat se chiffre à 60 milliards de dollars pour l’année 2013. Mais les Libyens ne savent toujours pas où passe tout cet argent. En tout cas, ni dans l’embellissement des villes, ni dans la relance de l’activité économique», peste Mohamed, qui a invité les autorités à s’inspirer de son projet citoyen.
«J’ai investi 1000 dollars et une semaine de travail pour embellir notre localité. Aujourd’hui, les Tripolitains de passage admirent notre belle avenue. De nombreux badauds s’étonnent et comparent notre rue à l’Europe.» Sauf que ce bout d’Europe ne dure... qu’un kilomètre. Après quoi, la capitale libyenne montre son vrai visage: rues éventrées, trottoirs ensablés, murs poussiéreux et circulation chaotique.
«Pourtant le budget de l’Etat se chiffre à 60 milliards de dollars pour l’année 2013. Mais les Libyens ne savent toujours pas où passe tout cet argent. En tout cas, ni dans l’embellissement des villes, ni dans la relance de l’activité économique», peste Mohamed, qui a invité les autorités à s’inspirer de son projet citoyen.
Répondre à la colère
Pour répondre à la colère du peuple, le premier ministre libyen Ali Zeidan multiplie les annonces et les projets. Il fait même du forcing pour attirer les entreprises du monde entier. Le gouvernement organise à la chaîne séminaires et foires. Fin mai, le salon de la construction «Libye Build» promettait de lancer des chantiers à plusieurs milliards de dollars. Tripoli ambitionne même de devenir le Dubiï du Maghreb avec une profusion de gratte-ciel aux façades futuristes et de centres commerciaux gigantesques.
«Gardons les pieds sur le sable et arrêtons de rêver. Regardons la réalité en face: le pays est instable et ingérable. Notre quotidien se transforme en cauchemar qui fait fuir les Libyens et les investisseurs étrangers», tonne Fatim al-Mourabat. Cette universitaire de 35 ans, qui a participé à la révolte sous le nom de Zahra Altarabulssia, déplore la situation désastreuse dans une Libye libre mais en proie à l’insécurité et à la violence.
Tripoli, comme les principales villes libyennes, est aux mains des milices armées. Après la chute de Mouammar Kadhafi, plus de 200 000 anciens rebelles campent toujours dans les installations stratégiques de l’Etat, dans les hôtels de luxe, les écoles et les propriétés des dirigeants de l’ancien pouvoir. Ils occupent aussi les ministères et réclament le départ de plusieurs hauts responsables.
Pour répondre à la colère du peuple, le premier ministre libyen Ali Zeidan multiplie les annonces et les projets. Il fait même du forcing pour attirer les entreprises du monde entier. Le gouvernement organise à la chaîne séminaires et foires. Fin mai, le salon de la construction «Libye Build» promettait de lancer des chantiers à plusieurs milliards de dollars. Tripoli ambitionne même de devenir le Dubiï du Maghreb avec une profusion de gratte-ciel aux façades futuristes et de centres commerciaux gigantesques.
«Gardons les pieds sur le sable et arrêtons de rêver. Regardons la réalité en face: le pays est instable et ingérable. Notre quotidien se transforme en cauchemar qui fait fuir les Libyens et les investisseurs étrangers», tonne Fatim al-Mourabat. Cette universitaire de 35 ans, qui a participé à la révolte sous le nom de Zahra Altarabulssia, déplore la situation désastreuse dans une Libye libre mais en proie à l’insécurité et à la violence.
Tripoli, comme les principales villes libyennes, est aux mains des milices armées. Après la chute de Mouammar Kadhafi, plus de 200 000 anciens rebelles campent toujours dans les installations stratégiques de l’Etat, dans les hôtels de luxe, les écoles et les propriétés des dirigeants de l’ancien pouvoir. Ils occupent aussi les ministères et réclament le départ de plusieurs hauts responsables.
«Les gens ont peur»
Les katibas (milices armées) se sont réparti le territoire. Elles font la loi et pointent leurs armes partout. «Dès la tombée du jour, nous entendons des tirs d’armes automatiques. Les gens ont peur de sortir», regrette Fatim al-Mourabat, qui chaque jour brave le danger pour aller à l’université où elle prépare son master en sciences politiques. Abu Bikr Algharghouti, lui, a préféré quitter Tripoli après avoir été menacé de mort.
«J’avais grand espoir de participer à l’édification de la nouvelle Libye.» Mais il a vite déchanté. Cet intellectuel, qui se présente comme un opposant indépendant, est retourné en Norvège où il anime le site «la révolte du 17 février» pour dénoncer un pays à la dérive, gangrené par la lutte des clans, la corruption et les trafics en tous genres.
«A Misrata, des familles et des milices armées stockent des chars, des missiles et quantité de caisses de munitions dans leurs jardins. Plus étonnant encore, à Tripoli comme à Benghazi, il existe un marché où les gens vendent et achètent des armes de différents calibres sans être inquiétés», peste-t-il.
Les katibas (milices armées) se sont réparti le territoire. Elles font la loi et pointent leurs armes partout. «Dès la tombée du jour, nous entendons des tirs d’armes automatiques. Les gens ont peur de sortir», regrette Fatim al-Mourabat, qui chaque jour brave le danger pour aller à l’université où elle prépare son master en sciences politiques. Abu Bikr Algharghouti, lui, a préféré quitter Tripoli après avoir été menacé de mort.
«J’avais grand espoir de participer à l’édification de la nouvelle Libye.» Mais il a vite déchanté. Cet intellectuel, qui se présente comme un opposant indépendant, est retourné en Norvège où il anime le site «la révolte du 17 février» pour dénoncer un pays à la dérive, gangrené par la lutte des clans, la corruption et les trafics en tous genres.
«A Misrata, des familles et des milices armées stockent des chars, des missiles et quantité de caisses de munitions dans leurs jardins. Plus étonnant encore, à Tripoli comme à Benghazi, il existe un marché où les gens vendent et achètent des armes de différents calibres sans être inquiétés», peste-t-il.
700 cas de rapt...
Pire, alerte de son côté Mahmoud Tarsin, 69 ans, représentant d’un regroupement de la société civile de Tripoli: «Rien que ces trois derniers mois, plus de 700 personnes ont été enlevées, dont 60 femmes. Chaque jour des individus sont exécutés.» Les bandes armées ciblent également les politiciens et les journalistes. Ainsi, le président du parlement, Mohamed el-Megaryef, a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. «Il y a des règlements de comptes, du banditisme et des querelles entre milices.» Un ancien ambassadeur libyen en Europe noircit ce tableau, déjà bien sombre. «Qu’attendre d’un pays qui fonctionne depuis deux ans sans armée, sans police et sans justice, et qui en plus paie chaque milicien 1000 dollars par mois.»
Les bandes armées se sont transformées en gardiens de la morale islamique. Elles arrêtent les personnes suspectées de consommer de l’alcool et les jettent en prison où elles les «rééduquent» en les obligeant à prier et à apprendre le Coran. Aujourd’hui, de nombreuses organisations de droits de l’homme dénoncent les arrestations arbitraires et la torture. Pour l’universitaire Fatim al-Mourabat, «il est urgent de fermer ces prisons. Il faut juger les forces de sécurité de l’ancien régime, les proches de Kadhafi et les mercenaires étrangers. Il faut également libérer les migrants africains. Mais pour cela, le pays a besoin d’un Etat de droit et d’une justice crédible.»
Pire, alerte de son côté Mahmoud Tarsin, 69 ans, représentant d’un regroupement de la société civile de Tripoli: «Rien que ces trois derniers mois, plus de 700 personnes ont été enlevées, dont 60 femmes. Chaque jour des individus sont exécutés.» Les bandes armées ciblent également les politiciens et les journalistes. Ainsi, le président du parlement, Mohamed el-Megaryef, a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. «Il y a des règlements de comptes, du banditisme et des querelles entre milices.» Un ancien ambassadeur libyen en Europe noircit ce tableau, déjà bien sombre. «Qu’attendre d’un pays qui fonctionne depuis deux ans sans armée, sans police et sans justice, et qui en plus paie chaque milicien 1000 dollars par mois.»
Les bandes armées se sont transformées en gardiens de la morale islamique. Elles arrêtent les personnes suspectées de consommer de l’alcool et les jettent en prison où elles les «rééduquent» en les obligeant à prier et à apprendre le Coran. Aujourd’hui, de nombreuses organisations de droits de l’homme dénoncent les arrestations arbitraires et la torture. Pour l’universitaire Fatim al-Mourabat, «il est urgent de fermer ces prisons. Il faut juger les forces de sécurité de l’ancien régime, les proches de Kadhafi et les mercenaires étrangers. Il faut également libérer les migrants africains. Mais pour cela, le pays a besoin d’un Etat de droit et d’une justice crédible.»
Rétablir une autorité?
C’est sur un terrain miné que le gouvernement comme le Congrès national général (CNG), la plus haute autorité de la Libye, tentent de rétablir leur autorité. Pour l’heure, ils semblent dépassés par l’ampleur de la tâche. «Il sera difficile d’écarter les milices sans contrepartie financière. Tripoli a déjà dépensé plus de 10 milliards de dollars pour payer ces combattants, devenus des héros très encombrants», assure Abu Bikr Algharghouti. En même temps, l’Etat se montre un peu plus ferme en adoptant une loi criminalisant la torture et le rapt. Mais cela suffira-t-il à restaurer l’ordre dans un pays marqué par les divisions politiques et les querelles tribales? I
> Ce texte a également paru dans l’édition de mai d’«Amnesty», magazine de la section suisse d’AI.
C’est sur un terrain miné que le gouvernement comme le Congrès national général (CNG), la plus haute autorité de la Libye, tentent de rétablir leur autorité. Pour l’heure, ils semblent dépassés par l’ampleur de la tâche. «Il sera difficile d’écarter les milices sans contrepartie financière. Tripoli a déjà dépensé plus de 10 milliards de dollars pour payer ces combattants, devenus des héros très encombrants», assure Abu Bikr Algharghouti. En même temps, l’Etat se montre un peu plus ferme en adoptant une loi criminalisant la torture et le rapt. Mais cela suffira-t-il à restaurer l’ordre dans un pays marqué par les divisions politiques et les querelles tribales? I
> Ce texte a également paru dans l’édition de mai d’«Amnesty», magazine de la section suisse d’AI.
Le Courrier
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