27/05/2013 | 10h22
Des soldats français arrivent sur une base de l'armée malienne, en mars 2013 (Francois Rihouay/Reuters)
Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, journalistes au Figaro et auteurs du livre “Notre guerre secrète au Mali” (ed. Fayard) paru la semaine dernière, ont décortiqué la guerre du président François Hollande et de Jean-Yves Le Drian, son ministre de la Défense. Entretien.
Pourquoi assurez-vous que l’intervention malienne était programmée de longue date ?
Thierry Oberlé, (grand reporter habitué de la région sahélienne depuis une dizaine d’années) : On a vu venir la crise de loin. Plusieurs sources nous ont convaincus qu’il y aurait une intervention. A chacune de mes visite dans la région, “l’histoire” montait car, au fil du temps, l’Algérie a réussi à repousser le conflit à ses frontières. Quand j’arrive en février au Mali, le bouquin je l’ai dans le stylo depuis longtemps.
Isabelle Lasserre, (grand reporter spécialiste des domaines de défense et de stratégie) : Au niveau de mes sources, dans l’armée notamment, je voyais aussi le truc venir depuis longtemps.
Vous expliquez que les militaires français désiraient ardemment faire cette guerre…
IL : Oui, il grattaient des pieds. Les militaires pensaient qu’il fallait y aller, que cette guerre était plus indispensable que celle en Afghanistan.
Est-ce pour cette raison que l’opération Serval trouve sa source dans “le plan requin”, rédigé par l’armée dès 2009 ?
IL : Ce plan, je ne l’ai pas vu moi. En revanche, je sais qu’il existe et qu’il a été fait par le patron du CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations) qui est chargé de planifier des opérations dans tous les pays où la France est susceptible d’intervenir, si le président le décide. Le CPCO travaille par exemple aujourd’hui sur des scénarios d’interventions françaises en Syrie.
TO : Cette planification débute avec la multiplication des otages, à partir de 2008, et le fait qu’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) désigne la France comme son principal ennemi.
Dans votre livre, vous semblez parfois presque admiratifs de cette opération militaire, non ?
IL : Moi oui, tout à fait. J’ai rarement vu une opération militaire aussi bien préparée que l’opération Serval. C’est vraiment un modèle du genre, avec très peu de morts.
Sur le sort des “terroristes” qu’il fallait “éliminer”, selon les mots du président de la République, on ne dispose d’aucune information précise…
IL: C’est normal, les mecs qui font le boulot ce sont les forces spéciales. Et on ne communique pas sur les forces spéciales. Comme en Afghanistan.
Du coup, votre seule critique est que la France ne soit pas intervenue plus tôt ?
IL : Cela aurait facilité la tache.
TO : Quand il s’est créé une sorte de Malistan, peu peuplé, aussi grand que la France et occupé par des djihadistes, cela s’est avéré très déstabilisant pour l’ensemble de l’Afrique de l’ouest. On le voit au travers des documents d’Al-Qaida que la France a récupérés au Mali. Ils voulaient pacifier le Malistan et s’en servir comme base de départ pour déstabiliser toute la région. De plus, avec la multiplication des prises d’otages qui s’accumulaient au Niger, Aqmi se constituait un véritable trésor de guerre.
Cette guerre ne contredit-elle pas le discours de Dakar où Hollande affirmait que les interventions de la France en Afrique, sans forces africaines, c’était du passé ?
IL : Oui, il y a avait deux promesses : plus jamais seuls et plus jamais de troupes au sol. Le problème, c’est qu’à moins d’être la Suisse, il y a un principe de réalité qui s’applique. On ne choisit pas ses guerres. Et aujourd’hui encore, à part le Tchad et le Niger, il n’y a toujours pas de forces africaines conséquentes au Mali.
Sur les raisons de l’intervention, vous évoquez également la sécurisation de la mine géante d’uranium d’Imouraren, au Niger, où Areva a investi un milliard d’euros.
TO : Effectivement, Areva c’est important, mais cela ne constitue pas le fondement de l’intervention. C’est plus l’influence de la France dans la région qui était en jeu. Et le fait que personne d’autre ne voulait y aller.
La guerre du Mali aurait-elle eu lieu sans l’intervention de la France en Libye ?
TO : Il y a eu un pillage des arsenaux de Kadhafi. Ces armes se sont retrouvées au Mali avec, notamment, les combattants touareg qui se sont trouvés une nouvelle cause.
IL : Pour moi, l’intervention de la France en Libye a accéléré et amplifié le phénomène. Mais cette intervention au Mali aurait eu lieu sans la guerre en Libye. La différence, c’est que la France n’a pas communiqué sur les vrais buts de la guerre en Libye.
C’est-à-dire ?
Et bien, tuer Kadhafi. Aujourd’hui, pour le Mali, le gouvernement socialiste n’a aucun complexe à dire qu’on va rester après la guerre, qu’on va dégommer les terroristes…
Ce problème de la communication et du choix des mots, vous écrivez qu’il a varié en fonction des étapes de la guerre.
IL : Après hésitation, le gouvernement a communiqué sur le mot “terroriste”. Ensuite, c’est le terme “djihadiste” qui a prévalu. Et depuis l’attaque au Niger de jeudi (23 mai) dernier, “terroriste” revient. C’est très “néo con” tout ça. L’équipe du gouvernement actuel a un côté néoconservateur, à la fois dans sa manière décomplexée de mener la guerre mais aussi dans sa rhétorique. Car ils assument de rentrer dans le choux “des salopards”. C’est marrant que ce soit un pouvoir de gauche…
Un général français que vous citez anonymement sous-entend qu’on ne “détruira” jamais totalement “les terroristes”. “On n’y arrive même pas en Corse”, ajoute-t-il. Résume-t-il l’esprit actuel de l’armée française ?
IL : Les forces armées pensent qu’il va falloir rester là-bas. Et qu’on va continuer à agir en Afrique régulièrement, comme on l’a toujours fait.
TO : L’idée, c’est aussi de dire que l’on sait désormais que l’on ne peut pas éradiquer le terrorisme. Il faut être habitué à être confronté à une menace de basse intensité. Et réaliser de manière ponctuelle des opérations.
Vous évoquez brièvement “les carences de l’armée française” supplée par les États-Unis au Mali. N’est-ce pas étonnant que cette dépendance conséquente ne soit jamais évoquée ?
IL : Oui, c’est énorme. Il ne serait pas possible de faire cette guerre sans le soutien des Américains. On a des trous capacitaires dans plusieurs domaines : le renseignement type drone, le transport stratégique et le ravitaillement en vol. Pour cela, on dépend des Américains. Le général Desportes dit toujours : “on n’a pas d’autonomie stratégique car on ne peut faire la guerre que si les Américains veulent bien qu’on la fasse“.
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