Mali: pourquoi l'Algérie parie sur les islamistes d'Ansar Eddine
Propos recueillis par Catherine Gouëset, publié le 04/07/2012 à 15:48
ANSAR EDDINE - Le dirigeant touareg d'Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, est considéré comme l'homme des Algériens, notamment par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA).
AFP
L'Algérie a toujours été impliquée dans le règlement des tensions avec les Touaregs du Mali. Quel est l'attitude d'Alger face aux derniers développements de la crise dans le nord du Mali? L'analyse de Mathieu Guidère, spécialiste de l'islam radical au Maghreb.
Quel est le regard de l'Algérie face à la crise malienne?
Le gouvernement algérien est d'une prudence extrême. Il veut tout faire pour éviter l'extension de la crise à la population touarègue algérienne (environ 1%, dans la région de Tindouf et du Hoggar). Contrairement à la minorité berbère, les Touaregs d'Algérie ont de bonnes relations avec le gouvernement central. Les autorités algériennes ont bâti une mythologie qui insiste sur la participation des Touaregs à la guerre d'indépendance.
Et avec les Touaregs du Mali?
Depuis 1990, l'Algérie a eu un rôle d'intermédiaire incontournable dans toutes les crises entre rebelles touaregs et gouvernement malien. Cela a été notamment le cas en 1990, 1994, 2007 et 2008. Les derniers accords entre les Touaregs et les autorités de Bamako, qui étaient en vigueur jusqu'à la reprise des affrontements l'hiver dernier, ont d'ailleurs été signés à Alger en 2006.
Par ailleurs, le dirigeant touareg d'Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali est considéré comme "l'homme des Algériens", en particulier par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Les Algériens le soutiendraient financièrement et militairement. Le MNLA le dit piloté par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui fait la pluie et le beau temps en Algérie.
Que représente Ansar Eddine face aux autres groupes dans le nord du Mali?
On estime les effectifs d'Ansar Eddine entre 5000 et 10.000 hommes. Le MNLA comptait 2 à 3000 militants au printemps, mais le groupe a probablement perdu une partie d'entre eux depuis qu'il a été défait à Gao. Certains d'entre eux ont d'ailleurs rejoint Ansar Eddine. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ses trois brigades regroupent un peu moins de 300 djihadistes ; quant au Mujao, qui a fait sécession d'Aqmi, il ne regroupe pas plus de 100 combattants.
La politique algérienne au Sahel trouve aussi son origine dans la situation intérieure en Algérie.
En effet. Alger, confronté à la présence de groupes djihadistes depuis de nombreuses années a tout fait pour les éloigner le plus possible de la capitale. Aqmi, héritier du Groupe salafiste pour la prédication et le combat -GSPC, est principalement composé d'Algériens, et les chefs des trois brigades sont Algériens. Le groupe terroriste a progressivement été repoussé vers le sud, dans le désert. La présence de la branche maghrébine d'Al Qaïda dans le nord du Mali est le résultat de cette politique d'endiguement. C'était d'ailleurs le principal reproche que faisait à l'Algérie l'ancien président malien Amadou Toumani Touré, renversé en mars par un coup d'Etat. Il estimait que la menace d'Aqmi, qui a fait de l'Adrar des Ifoghas dans le nord du Mali sa base de repli, était l'exportation du terrorisme algérien vers son pays parle voisin du nord.
Comment se positionne Alger face aux derniers développements au Mali ?
La priorité pour l'Algérie est d'éviter une intervention militaire étrangère occidentale (ou pilotée par les Occidentaux) dans ce qu'elle considère comme son arrière-cour. Pour l'empêcher, Alger s'est posé la question du choix de ses interlocuteurs. Il était pour eux hors de question de soutenir le MNLA qui revendique l'indépendance de l'Azawad, la région peuplée par les Touaregs au Mali par crainte donc, de contagion. Il est bien évidemment exclu pour Alger de soutenir Aqmi et le Mujao, filiales d'Al Qaïda que les généraux ont tout fait pour bouter hors de leurs frontières. La seule figure fréquentable est donc Ansar Eddine, dont le dirigeant, Iyad Ag Ghali, est un chef historique du mouvement touareg, qui désormais ne revendique plus l'indépendance de la région touareg.
Mais ce sont aussi des islamistes...
Les Algériens ont en tête l'exemple libyen. Ils ont été traumatisés par la chute de Kadhafi qu'ils n'avaient pas anticipée. Ils constatent que les islamistes libyens actuels, qui sont pour une bonne part, eux aussi, d'anciens djihadistes, sont apparus comme des libérateurs aux yeux de la population et même de la communauté internationale. Une fois intégrés au jeu politique, et confrontés aux réalités de la gestion du pays, ils ont commencé à se normaliser. Si Ansar Eddine prend le contrôle du Nord du Mali, le même phénomène pourrait se produire. Et le mouvement islamiste pourrait même affaiblir le recrutement d'Aqmi et du MNLA puisque l'Adrar des Ifoghas est la terre d'origine d'Iyad ag Ghali et qu'Ansar Eddine partage avec ces deux mouvements certaines revendications, comme le djihad et l'application de la charia.
En parallèle, la prise de contrôle de cette région par Ansar Eddine, pourrait aboutir à la création d'un havre pour Aqmi, un peu comme les Talibans entre 1996 et 2001 ont offert une terre d'asile à Al Qaïda en Afghanistan, moyennant quelques exigences formulées aux héritiers deBen Laden. Ansar Eddine pourrait imposer sa loi et faire régner un ordre relatif. Il l'a déjà en partie fait en demandant à Aqmi d'arrêter les enlèvements sur le territoire qu'il contrôle, et en obtenant du Mujao qu'il libère des touristes occidentaux. Pour les Algériens, Ansar Eddine deviendrait donc un partenaire "gérable", avec qui l'on peut négocier. Une intervention étrangère en revanche, risquerait, du point de vue algérien, de nuire à l'installation progressive de cet équilibre des forces et d'aboutir à une évolution "à la somalienne" de la région.
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