dimanche 15 avril 2012


Sophie Debazac et 3 autres ami(e)s ont partagé le statut de Mossa Ag Attaher.



Mme Cécile Duflot, Secrétaire nationale EELV


6, rue du Chaudron 75010 Paris






Chère Madame Duflot,






J’ai pris connaissance assez tardivement de votre communiqué (cosigné avec Fadimata Toure, du parti écologiste malien et de Catherine Greze, Euro-Députée) daté du 31 mars 2012 et relatif à la situation au Mali.http://eelv.fr/2012/04/02/communique-du-31-mars-2012-non-au-coup-detat-redonnons-un-horizon-democratique-et-economique-aux-maliennes/






Je suis effaré par votre parti-pris contre le peuple Touareg, votre absence de discernement et votre manque de connaissance de la réalité dont vous parlez et partant, vos prises de position aussi hasardeuses qu’inopportunes et surtout injustes. Votre texte n’est que dénonciation gratuite d’un peuple vulnérable et sans aucune proposition alternative, sauf peut être le sous-entendu de « mater la rébellion des Touaregs », comme dirait M. D’Arbonneau, chef de la sécurité d’Areva au Niger. Ce faisant, vous soulevez ma colère et mon indignation et probablement celles de milliers de membres de EELV, Français d’origine Berbère ou tout simplement démocrates et amis de tous les peuples, à commencer par les peuples opprimés, dont font partie les Touaregs et les Amazighs (Berbères) en général.






Vous écrivez « depuis plusieurs mois, d’anciens leaders touaregs maliens ayant émigré il y a des années en Libye où le gouvernement de Mouammar Kadhafi leur avait confié des fonctions répressives ». Ce sont des propos aussi invraisemblables que stigmatisants et qui démontrent clairement votre totale ignorance de la question. Sachez en effet que le pays Touareg s’étend sur le vaste territoire du Sahara (appelé aussi Sahel) et qui comprend tous les territoires du nord-Mali, sud Algérien, moitié nord du Niger, le tiers sud de la Libye et l’extrême nord du Burkina-Faso). En conséquence, dans tout cet espace, les Touaregs sont chez eux, même si les frontières coloniales sont passées par là et restreignent drastiquement leur liberté de circulation portant atteinte à leur culture et à leur vie nomade. Il faut comprendre Mme Duflot, que l’on peut être UN peuple et ne pas forcément être enfermé à l’intérieur des frontières d’UN seul Etat, surtout lorsque l’on sait que ces Etats ont été formés de manière artificielle et arbitraire par le colonialisme français. En tout état de cause, dans l’Azawad (nord-Mali), le Hoggar (sud-Algérie), l’Air (nord-Niger) ou le Fezzan (sud-Libye), un Touareg est dans son pays, jamais un émigré. Le droit international, et en particulier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît ce problème quand elle prévoit (article 36) que lorsque des peuples vivent de part et d’autre de frontières internationales, ils « ont le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux ».






En Libye, Kadhafi s’est maintenu au pouvoir en pratiquant la séparation et la concurrence entre les communautés (ou tribus si vous préférez). Les Touaregs du sud-Libye, comme les autres communautés libyennes, ont donné des soldats à l’armée libyenne mais ils étaient cantonnés exclusivement dans leurs territoires traditionnels du sud du pays. Ils n’étaient pas autorisés à « monter » vers le nord de la Libye et ne pouvaient donc pas être une force de répression durant l’ère Kadhafi. D’ailleurs aucun témoignage libyen ne parle des Touaregs comme éléments ayant exercé cette répression, dont les premières victimes étaient d’ailleurs les Amazighs libyens car ils refusaient leur arabisation forcée. Et durant la révolution, les soldats Touaregs étaient comme toute l’armée libyenne, divisés en deux, voire en trois camps : les pro-Kadhafi, les contre et les neutres. Dans ce cas, pourquoi pointer du doigt uniquement les Touaregs et de plus, comme force de répression ? Où avez-vous perdu votre sens de l’équité ?






Vous affirmez que « fuyant une Libye ayant changé de régime, ils (les Touaregs) ont emporté avec eux les armes lourdes acquises auprès du dictateur déchu et se sont réinstallés au nord du Mali… ».






Là aussi, vos raccourcis sont pires que ceux des plus mauvais journalistes qui rédigent leurs articles depuis Paris en ne sachant même pas positionner une ville malienne sur une carte.






Car sachez Mme Duflot, que le combat des Touaregs qui est d’abord un combat pour la survie, ne date évidemment pas de la chute de Kadhafi. Les premières révoltes de ce peuple autochtone du Sahara, datent de 1960 au moment de l’indépendance du Mali. A cette époque-là, ils n’étaient pas d’accord avec le rattachement de leur pays à un Etat qui n’avait aucun sens, ni géographique, ni économique, ni humain, ni culturel, ni historique. S’en est suivi une période d’accalmie mais depuis 1990, les révoltes armées des Touaregs sont devenues récurrentes et chacune d’elles se terminait par « un accord de paix » écrit (le dernier date de 2009), comprenant un volet socioéconomique (le développement), un volet politique (l’autonomie du pays Touareg) et un volet sécuritaire (désarmement des combattants Touaregs et leur intégration dans l’armée, la police et l’administration maliennes). Ces accords n’ont jamais été respectés par l’Etat malien, sauf dans leur composante sécuritaire. Et les Touaregs voyaient bien la duperie répétée. Voilà la source du conflit, Mme Duflot.






En 2010, de jeunes Touaregs ont cherché à sortir du cycle infernal révoltes-répression et jouer le jeu démocratique au Mali, d’autant plus que ce pays était présenté comme un « modèle de démocratie en Afrique ». Ils ont organisé une réunion le 30 octobre 2010 à Tombouctou dans le but de créer le Mouvement National de l’Azawad (MNA) et défende leurs idées dans le cadre légal, pacifique et démocratique. Dès le début de la réunion, deux des principaux organisateurs de la rencontre ont été arrêtés, puis transférés à Bamako où ils ont été tenus au secret pendant 15 jours, interrogés, tabassés par la police puis relâchés. Où est passé le modèle démocratique malien ? Un an plus tard, le MNA s’est transformé en Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui est une coalition formée de membres du MNA et par des combattants des anciennes rébellions, de nombreux déserteurs de l’armée malienne et renforcés par des Touaregs venus effectivement de Libye. En conséquence, lier la naissance du MNLA et ses succès militaires uniquement au retour des Touaregs de Libye, est tout simplement une contre-vérité. De même, écrire que les combattants du MNLA ont fait « régner un ordre armé qui s’est soldé par des attaques de villages ayant causé des dizaines de morts » est une autre flagrante contre-vérité. Vous tendez à les présenter comme des forcenés alors que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Touaregs sont des gens paisibles, hospitaliers et généreux. Plus que les autres Berbères, ils n’ont aucune agressivité et lorsqu’ils se battent, c’est toujours parce que contraints et forcés et uniquement pour se défendre. De plus, les villages que vous évoquez sont des villages Touaregs et on ne voit pas comment les combattants du MNLA attaqueraient leurs propres familles !? C’est insensé ! En vérité, les armes du MNLA étaient pointées uniquement contre les casernes de l’armée malienne et qui plus est et à ma connaissance, jamais à l’improviste ! Avant de lancer ses offensives, le MNLA demandait toujours aux soldats maliens de partir et seulement lorsqu’ils refusaient qu’ils étaient attaqués. Lorsque les militaires maliens étaient faits prisonniers, leurs témoignages affirment qu’ils ne sont jamais maltraités. En fait, les succès fulgurants du MNLA et son contrôle rapide de tout l’Azawad (il a suffit de 2 mois pour le MNLA pour conquérir un territoire plus grand que 1,5 fois la France) s’expliquent par l’abandon du terrain par l’armée malienne presque sans livrer bataille, très certainement parce que les militaires Maliens ont été convaincus du bien fondé des revendications des Touaregs. Les victimes civiles sont exclusivement dues aux bombardements aveugles des hélicoptères de l’armée malienne, comme cela a été le cas dans le nord de Kidal.






Vous dites aussi que « ces rebelles regroupés au sein du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) trouvent des alliances objectives tantôt avec les Touaregs islamistes d’Ansar Dine, tantôt avec les combattants d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) ».






Qu’est-ce qui vous fait dire, Mme Duflot, que le MNLA a des « alliances » avec les islamistes, qu’ils soient Touaregs ou de Al Qaeda ? Savez-vous que les Touaregs sont les seuls à demander depuis des années aux Etats malien et algérien et à la communauté internationale, des moyens pour « nettoyer » le nord-Mali et même tout le Sahel des groupes islamistes et autres trafiquants ? Savez-vous que les terroristes de la prétendue Al Qaeda (et je n’ajoute pas au « Maghreb islamique » car à ma connaissance, le Maghreb n’est pas – du moins pas encore !- totalement islamique et de toutes façons, je ne veux pas entériner le projet d’Al Qaeda de soumettre le nord de l’Afrique à l’ordre intégriste), sont présents au Sahel depuis plus d’une décennie, qu’ils y ont leurs bases fixes et qu’ils sévissent au vu et au su des Etats sans que ceux-ci réagissent ? Savez-vous que Iyad Ag Ghali, le chef de Ansar Eddine, est un ami d’Alger où il s’est très récemment fait soigner ? Pourquoi à l’époque de la détection par satellite, des drones et des frappes chirurgicales, ces 200 ou 300 éléments d’Al Qaeda ne sont-ils pas mis hors d’état de nuire ? Finalement, ces groupes intégristes ne sont-ils pas une « fabrication » des laboratoires des services secrets notamment algériens parce que l’Algérie veut rester maîtresse du Sahel pour améliorer son pouvoir de négociation avec les puissances occidentales et qu’elle ne veut en aucun cas d’un Etat Touareg, ce qui pourrait donner des idées aux Kabyles, qui n’en peuvent plus d’être opprimés ?






En revanche, vous ne dites pas un mot de l’extrême précarité des conditions de vie, de survie devrais-je dire, des Touaregs, ces jardiniers du désert durement affectés par les sécheresses, la mal-gouvernance et abandonnés par l’Etat malien. Celui-ci ne s’intéresse au « nord » que lorsqu’il s’agit de signer des concessions de prospection ou d’exploitation des ressources minières dans cette région, au profit des multinationales. La détresse des gens là-bas est immense car ils sont soumis à toutes les insécurités, à commencer par l’insécurité alimentaire, car l’Etat a préféré construire ces dernières années des casernes militaires plutôt que des écoles et des hôpitaux et à titre d’exemple, il n’existe aucune route bitumée au nord du fleuve Niger 50 ans après l’indépendance du pays. Même les capitales régionales que sont Gao, Tombouctou et Kidal sont reliées entre elles par de vagues pistes, tracées par les roues des camions, effacées par les vents et sans cesse refaites par les mêmes roues des camions. A un contexte géographique ingrat, s’est rajoutée l’incurie de l’Etat et l’indifférence de la communauté internationale. Il aurait fallu se pencher sur cette réalité aussi, Mme Duflot.






« Comment redonner un horizon économique aux habitant/es du Mali ? Voilà qui devrait être la principale préoccupation de la politique française et européenne dans la région, bien plus que la surveillance d’AQMI », dites-vous. Cela revient-il à dire que AlQaeda et son projet rétrograde et liberticide n’est pas une préoccupation pour vous ? Que les droits humains et les libertés fondamentales sont un luxe pour les riches et que le luxe pour les pauvres c’est seulement de manger ? Si c’est le cas, cela ressemble fort au : «le premier des droits de l'homme c'est manger » prononcé par Jacques Chirac en 2003 en Tunisie ! Chacun appréciera ici comme au Mali ! Et puisque vous parlez d’économie, sachez que c’est l’insécurité créée par Al Qaeda qui a asséché le tourisme, source importante de revenus pour les populations de ces régions naguère très visitées. Sachez aussi si vous ne le savez déjà, que l’électricité nucléaire dont nous profitons ici, est fournie par l’uranium extrait des territoires Touaregs du nord-Niger mais dont les populations locales ne tirent comme bénéfices que la radioactivité qui les tue à petit feu. Je vous invite vivement à lire à ce sujet les rapports de la Criirad et de Greenpeace.






Au nom de EELV, vous réaffirmez enfin votre « attachement au droit international ainsi qu’à l’ordre constitutionnel et à l’intégrité territoriale du Mali ». Passons sur le fait que ce soit le même vœu exprimé par Nicolas Sarkozy, mais plus fondamentalement, je vous invite à réfléchir au fait que le droit international prévoit aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sur la base de ce principe, le monde libre a accepté et soutenu l’indépendance de nombreux pays d’Europe au cours des deux dernières décennies et celle du Sud-Soudan en Afrique en 2011. Pourquoi refuser ce droit à l’Azawad ? EELV soutient la création d’un Etat palestinien, pourquoi la refuser à l’Azawad ? A quoi correspond cette conception du droit des peuples à géométrie variable ? Est-ce parce que le Mali est une ancienne colonie française ? A quelle humanité (je ne dis pas à quelle écologie) correspond le fait de taper sur le plus faible parmi les faibles ? Quelles valeurs défendez-vous Mme Duflot ?






Le rêve des Touaregs n’est pas de créer une nouvelle frontière, mais de vivre libres, respectés et en amitié avec les autres. Leur révolte et leur volonté de créer un Etat indépendant ne sont pas une fin ni l’expression d’un repli sur soi, mais seulement des instruments qui à leurs yeux, leur permettront de mieux préserver leur existence en tant que peuple et culture.






Pour finir et afin de mieux comprendre le monde dont vous parlez Mme Duflot, je vous invite à aller tâter de vos yeux l’âpreté du pays Touareg, marqué par la rareté des ressources vitales et la menace climatique et entendre les gens qui y vivent, écouter leur rêve de vivre en paix et dans le partage. Allez à la rencontre de ces « hommes bleus » et de leur société matriarcale peu commune où la peine de mort n’existe pas. Allez dans leur pays, quelque part dans l’Azawad, l’Air, le Hoggar, le Fezzan…voir comment ce peuple est spolié, pourchassé, affamé, tué et sa culture plurimillénaire gravement menacée. Allez-y avant que ce peuple agressé de toutes parts par des forces prédatrices ne disparaisse. Le désert du Sahara sera alors vraiment désert... Je suis sûr que ce n’est pas ce que vous voulez.






Cordialement,
Grenoble, 12/04/2012

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