L’Azawad qui couvre à peu près la moitié nord du Mali, est un des territoires du pays Touareg. Ce pays s’étend de la Libye au Mali, en couvrant une partie importante du Niger et de l’Algérie, jusqu’au Burkina Faso. Rassemblés sous le drapeau berbère, les combattants du Mouvement National de Libération de l’Azawad viennent de prendre le contrôle de ce territoire grand comme deux fois la France, en infligeant une défaite cuisante à l’armée malienne.
Les frontières qui divisent la nation amazighe des Touaregs est impalpable. Ces traits de plume tracés dans le désert par les Etats coloniaux au 19ème siècle ont partagé des zones totalement homogènes, séparé des territoires reliés par une tradition de transhumance séculaire, divisé des familles et des tribus. Les Touaregs sont spoliés des richesses naturelles (pétrole, gaz, uranium, or, etc) qui se trouvent sur leurs territoires. S’en sont suivis des rébellions réprimées dans le sang dans les années 80 et 90, principalement au Mali et au Niger. Pourchassés par les autorités de ces deux Etats, les «rebelles» ont pour beaucoup gagné le territoire touareg de Libye, où ils ont été accueillis par des tribus et des familles apparentées.
Dans ce grand sud libyen en proie au chômage, ces réfugiés ont souvent accepté l’offre qui leur était faite d’intégrer l’armée libyenne, et ils étaient nombreux dans l’armée régulière du dictateur. Jusqu’à ce qu’ils s’émancipent à leur tour de son emprise, tout en restant «suspects» aux yeux des opposants libyens. Nombre d’entre eux ont alors franchi la frontière en sens inverse au lendemain de la défaite du régime.
Dans l’Azawad, ils ont retrouvé leurs frères en révolte contre l’Etat malien, et ce renfort conséquent a soudain fait basculer le rapport de forces. Les troupes régulières ont été repoussées, puis encerclées, puis défaites. Leur défaite a été cuisante, avec de nombreuses victimes, et le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) contrôle désormais un territoire dont on sait qu’il abrite également les bases d’Al Qaïda qui détient plusieurs otages occidentaux.
La première conséquence de cette victoire militaire du MLNA a été de donner le coup de grâce à la classe politique au pouvoir au Mali. Un putsch militaire a exprimé la révolte d’une armée humiliée qui appelle à la revanche sur l’Azawad, et qui met sur le compte des «politiciens corrompus» la faiblesse en armements et en commandement des troupes régulières maliennes face à la rébellion touarègue. Le désordre n’en est devenu que plus grand, et les troupes rebelles ont fait tomber une à une les villes qui servaient d’abri aux garnisons maliennes : Kidal, Gao, et désormais, Tombouctou. Ces victoires sont le fait du MLNA, mais aussi de forces qui se sont coalisées contre le régime de Bamako, notamment un groupe islamiste implanté en Azawad, dont on présume qu’il est soutenu par Al Qaïda au Maghreb Islamiste (AQMI).
Le MLNA est un mouvement touareg, qui n’a aucune affinité avec l’islamisme intégriste. Il revendique son identité amazighe avec force, qui rejette les préceptes de la charia, et qui met en avant un «droit coutumier amazigh» beaucoup plus démocratique, laique et tolérant, notamment vis à vis de la condition des femmes. La cohabitation entre le MLNA et ces combattants islamistes est purement ponctuelle, mais elle contribue à alimenter une démarche internationale du régime malien pour obtenir l’engagement d’un soutien militaire extérieur contre le MLNA.
L’absence totale de crédibilité de la junte putschiste empêche pour l’instant une telle option, et le MLNA en profite pour accroître ses positions sur le terrain. Mais on connaît l’engrenage dans lequel Bamako veut aller : obtenir des appuis aériens grâce à une coopération internationale, et, par des bombardements qui feront immanquablement de nombreuses victimes civiles, reprendre une à une le contrôle des villes-garnisons en remontant le Niger.
La suite de ce scénario, si il marche, ce qui est loin d’être acquis car le MLNA fait preuve d’une capacité militaire et stratégique évidente, est connue d’avance. Des milliers de victimes civiles seraient à déplorer, et des dizaines de milliers de réfugiés viendraient alimenter un nouveau drame humanitaire en Afrique. L’influence islamiste en serait immanquablement renforcée, et c’est une déstabilisation à long terme que préparerait un tel choix stratégique.
Engager le dialogue avec le MLNA est l’autre option stratégique. Elle serait incomparablement plus avantageuse, en évitant un désastre annoncé pour les années à venir, et en permettant une stabilisation de la région face au risque islamiste. Le MLNA, et les populations touarègues, seront de bien meilleurs remparts contre la propagation de l’intégrisme que tous les régimes militaires maliens sous perfusion occidentale.
Cet autre plan serait largement gagnant pour les populations maliennes et pour la communauté internationale. Mais, en l’état actuel des choses, cette dernière est pilotée par une influence française dominante qui se refuse à voir l’avenir de cette partie de l’Afrique autrement qu’à travers le sort de chefs d’Etat sans crédibilité, mais avec lesquels Paris négocie de juteux contrats miniers, notamment d’uranium. Il est urgent de remettre en cause cette diplomatie post-coloniale avant qu’elle ne commette l’irréparable.