lundi 16 avril 2012


MOHAMED AG NAJIIM. CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE L’AZAWAD
« Nous ferons tout pour que les otages reviennent chez eux au plus tôt »
EL WATAN
lundi 16 avril 2012
Inquiet mais en même temps optimiste quant à l’avenir de son territoire, Mohamed Ag Najiim, chef d’état-major de l’armée de l’Azawad, affirme avoir de bonnes raisons de croire que les sept otages algériens seront libérés. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il invite le nouveau président malien à utiliser le dialogue, « plus intéressant et plus rentable » que la guerre totale pour trouver une « solution discutée ».
- Cela fait dix jours que six membres de la délégation consulaire algérienne à Gao ont été enlevés ; avez-vous des nouvelles sur leur sort ?
Je ne peux rien vous dire à ce sujet. Nos combattants sont sur le terrain, en train de tout faire pour qu’ils retrouvent leur famille le plus tôt possible. La seule chose que je peux vous affirmer, c’est qu’ils sont en vie, sains et saufs. Incha Allah, il y aura de bonnes nouvelles.
- Comment expliquez-vous cet enlèvement au moment où le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) avait pris le contrôle de la ville de Gao ?
Vous devez savoir que cette situation n’est pas le fait du MNLA, nous en avons hérité. Cela étant, il est important de rappeler qu’avant même la prise de Gao, nous avons pris attache avec le consul pour lui dire de quitter la ville pour des raisons de sécurité. Il nous a dit qu’il allait voir avec ses responsables à Alger. Nous avons insisté pour qu’il rapatrie toute la mission en attendant que la situation soit maîtrisée. Le jour même de la libération de Gao, nous avons encore une fois demandé au consul de partir. Nous lui avons proposé notre aide pour que toute sa délégation soit acheminée jusqu’au Burkina-Fasso ou encore jusqu’à la frontière algérienne, à Bordj Badji Mokhtar ou Tinzaouatine. Sa réponse a été la même, il attendait les ordres d’Alger.
Comme les familles ne pouvaient plus rester dans leurs maisons, elles ont été transférées vers une aile du consulat. Nous avons mis deux véhicules de protection à l’entrée des bureaux, mais les auteurs du rapt étaient plus nombreux. Il y a eu une vingtaine de véhicules des Toyota Station. Nos combattants ne pouvaient rien faire, surtout que l’un des terroristes avait une ceinture d’explosifs et menaçait de tout faire sauter. Nous venions juste de prendre en main la ville. Dans une telle situation, tout peut arriver. Des bandits de grand chemin, des criminels, des terroristes peuvent profiter de l’insécurité pour agir et notre mouvement ne peut être partout au même moment. Sa priorité était la libération du territoire des militaires maliens, qui sont nos seuls ennemis. Tout de suite après le rapt, que nous dénonçons avec force, nos combattants se sont lancés à la recherche des otages. Nous ferons tout pour qu’ils reviennent chez eux et le plus tôt sera le mieux. Nous avons des raisons de croire qu’ils seront libérés. Nous sommes en train de préparer une rencontre avec l’ensemble des chefs des tribus de l’Azawad, pour leur faire admettre qu’ils doivent s’impliquer pour faire en sorte que l’Azawad soit également libéré d’Al Qaîda et de tous les autres groupes armés.
- Pensez-vous que des groupes comme Ançar Eddine, Al Ansar ou encore les tribus arabes accepteront de couper l’herbe sous le pied de ceux qui les nourrissent ?
Je sais que la situation n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. Néanmoins, tout le monde sait que les groupes d’Al Qaîda se sont implantés dans la région en profitant de la misère et de l’exclusion dont est victime la population de l’Azawad. Pendant des années, de nombreux pays accordaient de l’aide financière et militaire au Mali pour qu’il combatte ces groupes, et le résultat est là. Un territoire totalement livré à la paupérisation, au sous-développement, à l’ignorance et à l’exclusion.
Si vous voulez que les gens n’aident plus Al Qaîda et les autres groupes criminels, il faudra les aider à manger, à boire et à s’instruire. Il est très difficile pour le MNLA de s’attaquer à des mouvements qui, pendant des années, ont réussi à construire des liens forts avec les populations, pas uniquement grâce à l’argent, mais également grâce à l’endoctrinement idéologique. Nous sommes conscients de cette réalité. A ceux qui nous accusent d’être aidés par Al Qaîda, nous disons : « Donnez-nous les moyens que vous donniez au Mali et vous verrez ce que nous ferons à ces groupes salafistes. » Pour l’instant, nos capacités sont limitées.
Notre priorité est l’organisation des rangs et la mise en place progressive des structures de l’Etat de l’Azawad. Nous allons mettre en place, incessamment, notre gouvernement et, d’ici quelques mois ou peut-être même quelques années, nous serons en mesure de faire face aux défis. Nous avons déjà dit que nous n’accepterons aucune arme en dehors de celles détenues par les combattants du MNLA. Cette mise en garde a été, je l’espère, comprise, et que dans un avenir proche, les choses évolueront dans le bon sens.
- Ançar Eddine a déclaré qu’ils ne combattent pas pour l’indépendance de l’Azawad mais pour l’instauration de la charia, et même qu’il ne reconnaissent pas le drapeau de l’Azawad et que leur étendard est celui sur lequel est mentionné : « Il n’y a de Dieu qu’Allah. » Peut-on connaître votre avis ?
Je ne pense pas qu’Ançar Eddine puisse tenir de tels propos. La presse a un peu exagéré. Il est vrai qu’Ançar Eddine est un groupe qui milite pour la charia, mais il a participé aussi à la libération de l’Azawad sous la direction du MNLA. Il représente une tendance réelle au sein de notre société. Je ne vois pas pourquoi on se braque surtout sur son organisation, alors que le plus gros des opérations a été mené par les combattants du MNLA. Dans tous les pays musulmans, il y a des partis islamistes, pourquoi ne voulez-vous pas voir Ançar Eddine comme tel ?
En Palestine, des partis islamistes armés militent pour l’indépendance, et pourtant, on ne les regarde pas comme étant des alliés d’Al Qaîda. Je le redis, Ançar Eddine n’a pas de lien avec Al Qaîda et demain, tous ces groupes seront appelés à déposer les armes et à se mettre sous l’autorité du nouvel Etat de l’Azawad.
- Voulez-vous dire que vous avez le contrôle de toutes les villes du territoire libéré ?
Nous maîtrisons déjà totalement les villes de Tombouctou, Gao et Menaka. Ce sont nos éléments qui assurent la sécurité et la gestion de ces cités. Il reste néanmoins la ville de Kidal, où le mouvement n’a pas encore installé ses instances. Cela se fera incessamment…
 -Des informations font état du refus de Ançar Eddine et de Al Ansar de se mettre sous la coupe du MNLA. Qu’en est-il au juste ? 
Ce sont des rumeurs infondées. Nous sommes en train de discuter avec les notables de la ville de Kidal et il n’y a pas de raison pour que ces derniers refusent de se mettre sous la coupe du MNLA. Il y va de la réussite de la révolution. Je n’exclus pas quelques réticences ou refus, mais la majorité sera avec le mouvement…
- Des images vidéo de l’attaque menée contre les camps militaires à Aguelhoc montrent des exécutions sommaires et actes de mutilations sous les cris d’Allah Akbar. Comment de telles dérives ont-elles pu avoir lieu ?
Ce sont des images truquées. Elles ont été fabriquées dans le seul but de ternir le combat pour la libération de l’Azawad. Vous savez qu’elles ont été envoyées à l’ONU, mais qu’elles n’ont pas été prises au sérieux parce qu’elles sont fabriquées. Cela étant, je dois vous dire que le MNLA n’a pas pris part à cette opération, mais plutôt Ançar Eddine et je ne crois pas que ces derniers puissent commettre de tels actes.
- Le tout nouveau président malien vient de déclarer qu’il refuse la partition de son pays et menace de mener une guerre totale pour un retour à la normale. Qu’en pensez-vous ?
Contre qui compte-t-il mener la guerre totale ? Contre le MNLA ou les groupes d’Al Qaîda ? Si cette guerre nous cible, j’aimerai qu’elle soit menée avec d’autres moyens plus intéressants et plus rentables que les armes que certains Etats mettent à sa disposition. Nous lui disons la même chose que nous avons dit à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) : nous sommes prêts à les accueillir. Nous leur réserverons le même sort que celui réservé aux militaires chassés de notre territoire. Notre seul souci est de vivre en paix, comme l’ensemble des nations, sur notre territoire. Nous voulons de la dignité pout notre peuple. Il a trop souffert de la misère et de l’ignorance. Il est temps de mettre un terme à cette situation. Nous avons réussi à libérer la terre, mais nous savons que pour la construire, il faut conjuguer les efforts. Je dis qu’il y a un temps pour la guerre et un autre pour la paix. Je préfère le dialogue à la guerre….
- Voulez-vous dire que vous êtes prêts à accepter de dialoguer avec le nouveau président malien ?
Le nouveau président est pour nous un chef d’Etat voisin. Il n’est plus notre président depuis que nous avons libéré notre territoire. De ce fait, nous sommes prêts à discuter avec lui, autour d’une table, pour sortir avec une solution négociée. Il n’y a que le dialogue qui puisse définir et concrétiser les objectifs de l’avenir de notre territoire.
- L’ensemble de la communauté internationale et particulièrement les pays de la région rejettent toute partition du Mali et privilégient plutôt une large autonomie du Nord. Etes-vous prêts à accepter une telle sortie ?
Il n’y a que la voie du dialogue qui nous permettra, avec notre voisin le Mali, de faire revenir la paix. Nous voulons que ce dialogue se fasse sous l’autorité de la communauté internationale et, à partir de là, tout peut être discuté, parce que nous serons avec notre voisin sur un pied d’égalité. Dans ces conditions, rien ne sera indiscutable, y compris l’indépendance. Je suis de ceux qui privilégient le dialogue aux armes, mais la misère, les maladies et l’ignorance dans lesquelles vit mon peuple depuis plus de 50 ans ont fini par nous pousser à l’extrême. Tous les moyens utilisés pour arracher nos droits et les nombreuses rébellions n’ont servi à rien. Les promesses pour la prise en charge du développement de notre région sont restées lettre morte.
La guerre a été la seule porte de sortie que le Mali nous a laissée. Il a tout fait pour transformer notre région en réceptacle des groupes terroristes et trafiquants de drogue, uniquement pour profiter de la manne financière et par la même occasion faire passer les Touareg pour des terroristes ou des narcotrafiquants. Alors je dis au nouveau président du Mali que nous aimerions bien qu’il utilise les moyens les plus rentables, comme le dialogue, pour traiter la question du Nord. Les armes, personne ne les connaît comme nous. Nous sommes prêts à mourir pour défendre notre territoire. Les soldats qu’il compte envoyer au Nord subiront le même sort que ceux qui les ont précédés. Alors, qu’il réfléchisse bien. Il n’y a pas meilleure solution que celle qui passe par le dialogue.
Salima Tlemçani

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