Honni soit qui Mali pense
VINCENT HUGEUX - 19 AVRIL 2012 - blogs.lexpress.fr
C’était couru d’avance. L’accession, voilà deux jours, de Cheick Modibo Diarra au très inconfortable fauteuil de Premier ministre d’un Mali meurtri a déclenché dans les médias occidentaux un déluge de portraits flatteurs et d’hommages émerveillés. Pleins feux sur la fabuleuse succes story transatlantique de l’enfant de Nioro du Sahel et de Ségou. Lui qui vendit des colliers africains à Manhattan -voilà pour l’indispensable touche folkloriste- avant de devenir cet astrophysicien de renommée planétaire, star de la Nasa, puis la figure de proue des campus virtuels et numériques du continent noir, et enfin le boss de Microsoft Afrique.
Désolé de casser un peu l’ambiance, mais rien ne prouve hélas que ce parcours, indéniablement exemplaire, aura préparé l’intéressé à traiter efficacement les maux du Mali. On m’objectera à bon droit que le jeune sexagénaire, gendre de Moussa Traoré, ce putschiste renversé en 1991 après avoir tyrannisé le pays pendant près d’un quart de siècle, n’est pas un perdreau de l’année ; qu’il a fréquenté les grands de ce monde ; qu’il a fondé son parti l’an dernier ; et qu’il figurait parmi les innombrables candidats au scrutin présidentiel initialement programmé à la fin de ce mois.
« La politique, soutient-il volontiers, ne doit pas être qu’une affaire de professionnels ». Soit. Reste que dans la conjonction astrale du moment, Bamako a besoin, non d’un oncle d’Amérique, mais d’un stratège aguerri et pugnace, suffisamment roué pour réunifier la patrie et tenir à bout de gaffe une junte avide d’honneurs et de prébendes. Si Cheick Modibo Diarra se révèle l’un et l’autre à l’épreuve du feu, je serai le premier à l’abreuver de louanges. Une certitude : les rafles opérées voilà peu par les mutins aux dépens de figures politiques et d’officiers de « l’ancien régime », dont Modibo Sidibé et Soumaïla Cissé, attestent la volonté d’Amadou Sanogo et de sa clique de marchander chèrement leur hypothétique retrait de l’avant-scène.
L’engouement suscité par la propulsion de l’astrophysicien sur la planète primature enrichit la collection d’illusions lyriques dont s’enivre l’Occident dès lors qu’il s’agit de jauger et de juger les élites politiques africaines. A entendre maints analystes, il suffirait d’être passé par les temples de Bretton-Woods -le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale-, d’avoir brillé dans le privé ou de pouvoir se prévaloir d’un passé d’ « opposant historique » embastillé ou exilé pour mériter une qualification d’office pour la magistrature suprême. Las !, ce pieux postulat résiste mal à l’examen. Car l’éloignement géographique et culturel distend le lien intime que tout élu virtuel se doit de cultiver avec son peuple. Quant à la longue attente du dissident banni, si désireux de « rattraper le temps perdu », elle tend à le rendre impatient et suspicieux.
Pour panser les plaies à vif de la Côte d’Ivoire, le titre d’ex-directeur général adjoint du FMI ne sera que d’un piètre secours à Alassane Ouattara. Non que l’on sous-estime ici l’utilité de son expertise économique et de son carnet d’adresses. Mais réconcilier les Ivoiriens -le chantier le plus ardu et le plus urgent- requiert avant tout des qualités d’ouverture, d’équité et d’impartialité.
En Guinée-Conakry, le revenant Alpha Condé, qui a hérité d’une nation exsangue, peut exercer à bon droit son « droit d’inventaire » et invoquer son pedigree de démocrate contraint à l’expatriation. Pour autant, il ne s’est nullement affranchi de ces deux pièges classiques : le recours à la carte ethnique pour parvenir par les urnes au pouvoir, et le tropisme autocratique pour consolider celui-ci. Au Sénégal, le prurit monarchique et narcissique d’Abdoulaye Wade, l’éternel challenger libéral de Senghor puis d’Abdou Diouf, lui aura coûté son trône. Et que dire de la dérive despotique et messianique de l’Ivoirien Laurent Gbabo, dont on aurait tort d’oublier qu’il fut l’adversaire intrépide de Félix Houphouët-Boigny et de son césarisme patriarcal.
Fâcheux présage ? Hier mercredi, Cheick Modibo Diarra a vainement tenté de rallier par la voies des airs Ouagadougou, où il devait rencontrer Blaise Compaoré, médiateur en chef de l’imbroglio bamakois. Pas en fusée, mais par avion. Secoué par une météo infernale, l’appareil a dû cette fois rebrousser chemin. Pour le salut du Mali, on souhaitera au chef du « gouvernement d’union nationale » promis une mise en orbite moins orageuse.
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