mardi 7 octobre 2014

Mali: « Un accord avec les rebelles ne suffira pas à régler la question du terrorisme »

L’Express- 
Lundi à Paris, le Premier ministre malien Moussa Mara a livré son analyse des enjeux sécuritaires de l’aire saharo-sahélienne ainsi que des négociations en cours à Alger entre Bamako et la nébuleuse rebelle. Ni fioritures, ni langue de bois…
Le décor est solennel, voire un rien désuet, l’ambiance feutrée, mais le discours, lui, n’a rien de compassé. Lundi, en fin d’après-midi, le Premier ministre malien Moussa Mara, 39 ans, a planché deux heures durant à la tribune de l’amphithéâtre Colbert du Palais-Bourbon, siège de l’Assemblée nationale. A ses côtés, le député socialiste du Morbihan Gwendal Rouillard, un fidèle du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, et son collègue UDI du Tarn Philippe Folliot, l’un et l’autre secrétaires de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées. Rencontre animée par Emmanuel Dupuy (Institut Prospective et Sécurité en Europe) et David Gakunzi (Institut de recherches et d’études africaines), avec le concours du journaliste de L’Opinion Pascal Airault.
Moussa Mara, Premier ministre du Mali: « L’incompréhension a commencé quand les forces françaises ont procédé à la libération de Kidal sans l’armée malienne. »
AFP/Fabien Offner
Tant dans son exposé introductif que lors des échanges qui ont suivi, Moussa Mara, promu chef du gouvernement de Bamako le 5 avril 2014 par le président Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, a dépeint les enjeux sécuritaires de l’aire saharo-sahélienne avec une franchise parfois teintée d’ironie. Ci-après, le verbatim des propos les plus saillants de celui qui s’assigne comme priorité « l’unité de la Nation dans sa diversité ». Actif, passif: l’intéressé n’est pas expert-comptable de formation pour rien…
Sur l’état du Mali à l’heure du coup d’Etat de 2012:
« Nos institutions reposaient sur des sables plus que mouvants, et rendus tels par la corruption, le recul de toutes les citoyennetés, et les carences d’un leadership qui n’était pas à la hauteur. »
Sur les tensions entre Paris et Bamako quant au traitement de la rébellion touareg, notamment à Kidal (extrême-nord):
« L’incompréhension a commencé quand les forces françaises [de l'Opération Serval] ont procédé à la libération de Kidal sans l’armée malienne. En janvier 2013, la France a sauvé le Mali, et nous ne l’oublierons jamais. Mais ensuite, et jusqu’au début de l’exercice 2014, il y a eu des ambiguïtés et de nombreuses zones d’ombre. »
Sur les limites du dispositif en vigueur, dispositif désormais placé sous l’étendard de la force onusienne Minusma, avec le concours de la Mission de formation de l’Union européenne, ou EUTM:
« L’EUTM forme en ce moment le cinquième bataillon de notre armée. C’est très bien. Mais si les soldats sont dépourvus de matériel, s’ils n’ont pas même une kalachnikov, à quoi bon? Au premier accrochage, ils détalent… »
Sur le processus de paix engagé à Alger entre Bamako et les mouvances rebelles du Nord, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA):
« Ce laborieux processus, nous allons tous nous employer à le faire aboutir. Et nous espérons signer un accord au Mali avant la fin de l’année. Mais il ne suffira pas à régler la question du terrorisme. Au moins permet-il de clarifier le paysage, de distinguer ceux qui sont prêts à s’engager dans la logique politique du DDR -désarmement, démobilisation, réinsertion-, des groupes résolus à imposer le djihad, le califat ou la loi du narcotrafic. Or, ces derniers sont autrement plus redoutables et beaucoup plus forts que les rebelles. Comment à ce stade distinguer le terroriste du rebelle ? S’il se balade avec une bannière du MNLA ou un ordre de mission signé du même MNLA, du HCUA ou du MAA, le premier franchit aisément barrages et check-points. Au risque d’aller poser, 100 mètres plus loin, des mines qui vont tuer des soldats tchadiens ou nigériens de la Minusma. En clair, on ne sait plus qui est qui. Les terroristes ont compris: ils se rasent la barbe, enfilent des pantalons longs, et circulent à moto avec les drapeaux de tous les groupes tolérés, signataires de l’accord de cessation des hostilités. Tous, nous, vous, et la Minusma, inch’allah, devons travailler de concert, et sur le long terme. Il faudra plusieurs années pour vaincre ce fléau. Sécurité d’abord, certes. Mais il faut aussi oeuvrer à l’éducation, notamment religieuse, de la jeunesse, et au développement. Une certitude: il ne sert à rien de chasser les djihadistes du Nord-Mali s’ils reconstituent aussitôt leurs cellules dans le Sud libyen. La menace globale exige une riposte internationale coordonnée. Le nouveau dispositif français Barkhane répond d’ailleurs à cet impératif. »
Sur le calendrier:
« Tous les protagonistes ont formulé leur offre politique de règlement. Les médiateurs doivent présenter leur synthèse le 17 octobre. L’essentiel se joue donc maintenant. Mais il s’agit d’un processus où les médiateurs sont plus nombreux que les protagonistes. De plus, chaque groupe armé a sa dissidence. Laquelle tend à rompre avec la maison-mère le matin devant les caméras, quitte à la rejoindre le soir. Nous avons fait le pari de la paix. Si les groupes rebelles ont vraiment pour motivation le développement du Nord, ils accepteront l’accord proposé, accord inclusif, global et détaillé. »
Sur le degré d’autonomie envisagé pour les régions septentrionales du Mali:
« On ne peut évidemment pas gouverner le Mali comme on le faisait voilà 50 ans. Il faut donner beaucoup plus de ressources et de marges de manoeuvres aux communautés locales. Faut-il parler d’autonomie, de fédéralisme, de décentralisation poussée ? Les termes importent moins que le contenu. Voyez les accords conclus jusqu’alors entre Bamako et les rébellions successives. Ils conduisaient à démanteler l’ossature militaire du pays et à constituer des unités ethniquement homogènes prêtes, le cas échéant, à passer de l’autre côté avec armes et bagages. Cette fois, il s’agit bien de bâtir une armée nationale et républicaine, aux antipodes de la logique de partition. Un malinké doit pouvoir commander à Kidal, tout comme un tamasheq à Sikasso. »
Sur la centralité du rôle d’Alger:
« L’Algérie joue un rôle prédominant dans la crise au Nord, ne serait-ce qu’au regard de l’histoire et de la géographie. C’est le seul pays capable de réunir tous les acteurs au même endroit et au même moment. De plus, la plupart des leaders rebelles maliens détiennent aussi la nationalité algérienne. Enfin, l’essentiel de l’approvisionnement de Kidal, qu’il s’agisse des armes, du carburant ou des vivres, vient d’Algérie. Ce n’est pas forcément rassurant mais c’est un fait. Reste cette évidence: la balle est dans le camp des Maliens. »
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