vendredi 17 janvier 2014

Continuer à témoigner au Sahara et au Sahel



Je vais laisser quelques minutes ma fierté basco bretonne de côté. J’ai eu peur.
3 semaines d’enregistrements de documentaires radio et de photo dans le sud est mauritanien, dans un caisson désertique à peu près étanche.
Un projet magnifique, un pari superbe, des femmes et hommes dont je voyais l’aventure se mettre en place depuis des mois et à laquelle je souhaitais participer.
Dans ma poche, sur mon téléphone, la photo de Ghislaine et Claude, journalistes de RFI, enlevés en sortant de chez Ambery Ag Rhissa à Kidal, assassinés quelques kilomètres plus loin.
Une photo de deux êtres qui sourient, bon karma qui m’accompagne, rappel à la vigilance aussi.
Le premier jour, une belle personne s’est approchée de moi et m’a soufflé à l’oreille de mettre un bout de  scotch noir pour masquer le logo de la radio sur mon enregistreur. Une petite communauté s’est ainsi formée pour me protéger, m’informer, me guider là où j’étais aveugle. La tristesse des évènements de Kidal dans leurs regards, leurs paroles émues. Respect et gratitude à eux, et aux autres, qui ne se sont pas manifestés mais dont j’ai compris la bienveillance envers notre travail. Ils voient bien que la “zone” est en passe d’être abandonnée, ils font tout pour que l’on puisse y travailler en sécurité.
Des rires francs au quotidien pour décompresser, et ces rires jaunes aux blagues que font certains sur “la négociation en cours sur mon enlèvement à venir”.
Et oui, on rigole sur les enlèvements et attentats au Sahel.
Catharsis nécessaire pour ces populations otages d’une situation dont la majorité ne comprend rien, courbe le dos en attendant que ça passe.
Beaucoup souhaitaient témoigner, réfugiés de la crise malienne, “guetteurs”, “passeurs”, “businessmen avec le plus offrant”.
Souvent la conversation évoquait la perte de confiance. Le grand doute. Envers l’étranger, le voisin, le frère.
Passé l’enregistrement, tous revenaient discrètement.
Lors de ce voyage ce fut moi le principal interviewé.
Des gens perdus dans une tempête à qui je n’ai pas d’amer à offrir.
Peut-être quelques pistes, restitution de témoignages captés ailleurs au Sahel.
En bluetooth, partager avec eux de la musique, des émissions et articles d’experts, que les sahariens rencontrés soient eux aussi informés que certains en Europe n’ont pas abandonné le Sahara et le Sahel aux spécialistes de l’Afghanistan en reconversion sahélienne pour l’ogre médiatique.
Loin de ce monstre, les responsables de France Culture – Radio France m’ont donné le feu vert pour continuer mon long travail documentaire auprès des populations sahariennes. Continuer. Digne, Marie-Christine Saragosse, Présidente de  France Médias Monde (RFI, France 24,MCD), après les tragiques évènements de Kidal, nous avait aussi lancé ce mot. “Continuer”. “On va continuer à faire notre travail”. “Le but c’est de témoigner”. Je l’avais marqué sur mon carnet en majuscule avant mon départ.
Un soir après une journée ponctuée de petites tensions, j’ai acheté un mouton, organisé une fête en quelques heures avec l’aide d’une équipe motivée, qui a fait sonner les guitares ishumar jusque tard dans la nuit.
Les invités ont filmé, enregistré, et moi aussi j’ai capté sons et images pour continuer à témoigner de la situation, continuer à témoigner de ce que l’on entend et voit peu en Occident, cette grâce des sahariens, de leur culture qui avance et s’adapte aux événements.
Dans ce coin perdu, un guitariste rigolait et jouait plus fort que les autres.
Good karma de Ghislaine et Claude,
hasard incroyable sur les 8 millions de km2 du Sahara :
il est le fils d’Ambery Ag Rhissa


    
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