Interventions militaires françaises en Afrique : les dessous d’une nouvelle politique
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Cette ligne a du reste été confirmée dans le programme électoral de Monsieur Hollande et dans ses premières déclarations, martelant la fin du système France Afrique en ces termes « Le temps de ce qu'on appelait autrefois « la Françafrique » est révolu. Il y a la France et il y a l'Afrique. Il y a le partenariat entre la France et l'Afrique, avec des relations fondées sur le respect, sur la clarté et sur la solidarité». Or, depuis quelques temps, du Mali en Centrafrique, en passant par la Syrie, la France se montre de plus en plus déterminée à user de la force sur les théâtres d’opération extérieurs. La question est de savoir dans quel but ? Il convient aussi de s’interroger sur les soubassements d’un tel engagement qui, à l’analyse, peut être soutendu par une nouvelle politique.
Comme le disait un célèbre penseur, la meilleure façon de cerner un problème est d’analyser son contexte et son prétexte. En ce qui concerne ce dernier, aussi bien au Mali qu’en Centrafrique, la France a toujours mis en avant des considérations liées aux droits de l’homme et des raisons humanitaires. Dans le premier pays, des fondamentalistes musulmans en forte progression vers Bamako, la capitale, nourrissait l’ambition de conquérir une partie du territoire malien au nom de la Charia. La France y a vu des risques de restriction des libertés fondamentales d’un peuple et un effet de contagion qui pouvait contrecarrer ses intérêts notamment en Afrique de l’Ouest. Pour le cas de la Centrafrique, l’arrivée d’un pouvoir d’obédience musulmane à la tête d’un pays majoritairement chrétien, a fait craindre des risques de guerre civile. La Syrie n’est pas en reste ; il a fallu le réalisme des Etats Unis pour amener la France à tempérer ses ardeurs d’intervention dans ce pays. Au nom de quelle nouvelle idéologie, la France, de manière solitaire, s’arroge-t-elle le droit d’être en première ligne sur des conflits qui ne se déroulent pas sur son sol ? N’existe t-il pas là un risque pouvant écorner l’image de paix que véhicule l’Europe et affaiblir ce continent à la longue ?
Un constat s’impose : le contexte actuel de crise économique en Europe et de perte de leadership de certaines puissances occidentales, dans un environnement mondial très concurrentiel, préoccupe le vieux continent. Cette situation est exacerbée par les tendances actuelles de diversification des relations de coopération des anciennes colonies à l’endroit de pays émergents comme le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, Taiwan et certains dragons du Sud est asiatique. Ce contexte peu favorable commande du côté européen des changements tactiques, voir profondément stratégiques, pour doper des économies endettées, en perte de vitesse et sans perspectives solides à moyen terme et consolider les positions diplomatiques. Il devient à cet effet impératif, pour un pays comme la France, qui voit de plus en plus s’effriter son rang dans le concert des nations et en Europe, de trouver de nouveaux moyens de rebondir. L’Afrique, au regard de ses potentialités immenses, intéresse fortement le reste du monde et ne peut échapper aux ambitions de l‘hexagone. Un autre élément du contexte est à rechercher dans l’élection du Président afro-américain Obama à la tête de la principale puissance économique mondiale. Au début de son mandat, une bonne partie de l’opinion publique européenne et même mondiale était quasiment persuadée que son accession au pouvoir allait se traduire par une baisse du leadership américain dans le monde. Le pouvoir de Monsieur Sarkozy avait constitué, à travers cette belle opportunité, une occasion historique de repositionner la France dans le concert des puissances qui comptent, ce qui explique sans doute les revirements diplomatico-militaires dont le point d’orgue a été l’intervention française en Lybie. Sur un autre plan aussi, il n’est pas superflu de s’interroger sur l’éventualité d’un « deal » survenu entre les Etats-Unis et l’Europe (avec la France, puissance militaire dotée de l’arme nucléaire comme principale locomotive). Cet arrangement secret pourrait consister en une répartition des rôles dans la stratégie planétaire de lutte contre la principale menace des intérêts occidentaux dans le monde, à savoir le « terrorisme islamique », les USA intervenant dans le reste du monde tandis que l’Europe s’occuperait de l’Afrique subsaharienne. Un tel scénario pourrait être dicté par la géopolitique, et par le souhait des Etats-Unis de ne plus voir un allié de l’OTAN aussi important que la France se mettre en marge des initiatives d’invasion militaire occidentales comme ce fut le cas en Irak. Il est enfin à rappeler que dans l’histoire, des pays en perte de vitesse diplomatique et économique ont parfois utilisé des stratégies de conquête pour mieux rebondir.
On est loin de la cohabitation Chirac-Jospin pendant laquelle la France avait choisi d’observer en spectateur les soubresauts socio-politiques en Côte d’Ivoire. Cette politique de neutralité avait causé beaucoup de dégâts collatéraux au point de remettre en cause de manière profonde et décisive les intérêts français dans ce pays très riche d’Afrique.
La nouvelle stratégie de l’Hexagone semble puiser ses ressources de l’analyse des prétextes et du contexte ci-dessus tout en capitalisant les enseignements tirés de l’erreur stratégique commise en Côte d’Ivoire. Le pays semble se réapproprier le dicton qui dit que les Etats n’ont pas d'amis. Ils n’ont que des intérêts.
La nouvelle démarche repose, de notre point de vue, sur quatre visions. La première est géopolitique et consiste à montrer au reste du monde que la France a été et reste une puissance politique et diplomatique sur laquelle il faut compter en dépit de ses problèmes économiques. La deuxième consiste à rattraper les erreurs stratégiques commises par l’ex-président Sarkozy, consistant en la fermeture de bases militaires et la réduction d’effectifs de soldats français en Afrique, en mettant à profit l’existence de foyers de tension situés dans des zones hautement stratégiques pour y déployer des troupes. A cet effet, il n’est pas superflu de se demander si, concernant le cas de la Centrafrique, le départ, sans grosse résistance des puissances extérieures, de l’ex-président Bozize et l’arrivée des rebelles de la Seleka, n’a finalement pas été un prétexte calculé pour remettre en jeu les cartes en Afrique Centrale. Une véritable opération de « maîtrise du Sahara et de l’équateur » se ressent dans les deux interventions françaises du Mali et de la Centrafrique. La troisième est d’ordre économique : trouver de nouvelles parts de marchés et protéger les intérêts économiques comme la position géostratégique importante du Sénégal, l’uranium du Niger, les réserves de pétrole et de diamants encore non exploitées en Afrique Centrale face à deux sortes d’« ennemis » : les « islamistes » et les nouvelles puissances économiques émergentes. Le discours prononcé par M. Hollande à Dakar, lors de son premier déplacement en Afrique, avait déjà donné le ton : « Les besoins d'infrastructures sont considérables. La qualité de son agriculture, ses ressources naturelles, ses richesses minières, ce continent a tous les atouts pour être demain le continent de la croissance, du développement et du progrès. Il y a en Afrique un potentiel exceptionnel ». Toujours au plan économique, je présume fortement que la France soit sans doute en train de préparer pour l’Europe des facilités dans le cadre des négociations en cours sur les Accords de Partenariat Economique. La quatrième vision est communicationnelle et procède d’une volonté de séduire les opinions publiques africaines en mettant en avant l’argument de la restauration des libertés.
La stratégie retenue pour arriver à la concrétisation de ces visions semble également novatrice et se base sur une démarche à quatre volets. Le premier consiste à utiliser le canal de la francophonie pour créer un noyau dur autour de la nouvelle politique. Le deuxième à s’ouvrir à des Etats anglophones du continent pour éviter les critiques à soubassement néocolonialistes et démontrer au reste du monde qu’un large consensus se dessine sur ces nouvelles problématiques. Le troisième volet consiste à exploiter intelligemment le canal des organisations politiques sous-régionales et continentale du genre CEDEAO, UEMOA, CEMAC et UA afin d’obtenir des adhésions multilatérales, plus efficientes que les seules contacts bilatéraux. Le quatrième volet enfin est à rechercher dans cette propension à toujours agir sous le couvert de l’Organisation des Nations Unies afin de donner une légalité internationale aux opérations à mener. Il est à remarquer que lors de la guerre du Golfe, l’ex-président Chirac avait usé des mêmes pratiques pour ramener à sa cause l’ex-secrétaire général de l’ONU Koffi Annan, dont la présence inhabituelle au 22ème sommet France Afrique en avait étonné plus d’un.
La France semble avec cette nouvelle politique commettre une erreur stratégique historique. En effet, en procédant ainsi, elle annihile le capital sympathie que lui vouait une bonne partie de l’opinion publique africaine, jusque là très sensible à ses prises de position courageuses sur l’aide au développement et à sa politique d’intégration. Une grande partie de la population de ce jeune continent ne comprendra jamais assez les dessous de cette nouvelle politique. Pourquoi une question de sécurité concernant le continent africain se règle à Paris, à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations ? Pourquoi près d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement francophones, anglophones et lusophones acceptent un tel forum réunissant un pays de 66 millions d’Habitants à un continent de plus de 700 millions d’âmes ? Les Africains négligent assurément toujours le côté symbolique dans leur démarche de tous les jours et il est clair que ce sommet France Afrique renvoie à des images particulièrement défavorables et négatives pour le continent. Comment le Birman, le Malais, l’Indonésien et le Bolivien pourraient-ils respecter un tel continent ? En lieu et place, la tenue de sommets Europe Afrique devrait être encouragée, ne serait-ce que pour des raisons protocolaires et de parallélisme, à l’image des sommets Europe Amérique du Sud. Des pays comme l’Inde, le Brésil, ou l’Iran, j’en suis persuadé, n’auraient jamais, pour justement ces raisons de symboles, accepté de participer à des sommets Espagne Amérique du Sud, ou Portugal Asie. Tout comme l’idée d’un sommet Etats-Unis Europe ne pourrait recevoir l’assentiment de pays comme la France, l’Allemagne ou la Grande Bretagne pour des raisons de dignité. Par ailleurs, la coïncidence notée entre le décès de l’ex-président Mandela et la tenue du sommet France Afrique n’est pas vraiment un hasard. Parce que la disparition du leader Sud Africain a éclipsé l’évènement, j’y vois un message outre tombe du grand africaniste et un signe qui appelle les dirigeants africains à plus de rigueur et de discernement dans leur rapport avec le reste du monde. Il est temps que nos dirigeants intègrent dans leur raisonnement quotidien que nous sommes dans un monde de Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication dans lequel les symboles ont un grand sens dans les perceptions individuelles et collectives. Ils devraient avoir plus de considération par rapport à ces symboles s’ils veulent remettre en cause les idées reçues et les préjugés et modifier positivement la façon dont l’extérieur perçoit leur détermination pour le développement du continent. Sur un autre plan, ne voyant aucun intérêt sur lequel le continent pourrait capitaliser dans cette grande messe du sommet France Afrique, je m’interroge sur les dividendes que pourraient récolter individuellement les dirigeants du continent noir d’une telle adhésion à cette nouvelle stratégie de la France. Sans doute des promesses d’appuis politiques et financiers.
Deux choses semblent sures. La première est que l’Union Africaine n’a pas pris ses responsabilités dans les crises malienne et centrafricaine. Le rôle que la France joue actuellement devait être le fait de l’organisation continentale. La deuxième est que cette nouvelle stratégie de la France ne sera jamais bénéfique pour le continent. En revisitant l’histoire issue d’une cinquantaine d’années d’indépendance des Etats africains, on remarque que les rares pays qui s’en sortent bien sur le continent sont le Rwanda, le Mozambique, le Ghana, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie et le Botswana, des anciennes colonies britanniques. Aucun des pays francophones n’est cité dans les nations potentiellement émergentes. La raison fondamentale est que là où les britanniques ont su tourner les pages de la colonisation en laissant les anciennes colonies à l’apprentissage des questions liées à la gestion économique, la France a choisi le chemin inverse consistant au maintien d’une dépendance politique et économique. En scrutant minutieusement les pays africains francophones, l’on se rend compte aisément que les élites qui ont la lourde responsabilité de tracer la voie, parce qu’elles sont formées en France, en deviennent des relais dans les sphères de prises décision nationales et continentales. Une structuration économique inadaptée, forgée pendant la période coloniale, continue de subsister, faisant de ces pays des réservoirs de matières premières exportables à souhait. La logique des « relais locaux » est tellement bien forgée et entretenue que peu parmi les élites locales aiment véritablement leurs pays et se soucient de leur prospérité. Le système prévoit même des outils de maintien du dispositif comme l’appui au maintien au pouvoir des élites favorables à l’hexagone, le spectre d’un octroi insuffisant de l’aide bilatérale et multilatérale, les accords de défense de même que la garantie de la convertibilité de la monnaie. Avec un Franc CFA arrimé à une monnaie très forte, l’euro, les pays d’Afrique francophone arrivent difficilement à asseoir des politiques d’exportation efficaces. Sans oublier des moyens de communication radiophoniques et télévisuels puissants, en mesure de façonner les mentalités de manière décisive.
Face au caractère inexpliqué de la persistance des sommets France Afrique, les opinions publiques africaines devraient plus que jamais monter au créneau pour appeler à la vigilance les autorités du continent. N
* Monsieur Magaye Gaye est le Directeur Général du CABINET DE RECHERCHE DE FINANCEMENT GMCCONSEILS basé à Dakar, au Sénégal. Titulaire d’un DESS en économie appliquée à la Gestion de l’Université de Rennes 1 en France, il a exercé pendant une quinzaine d’années dans les organisations sous régionales africaines de financement du développement. Le Cabinet GMCCONSEILS rédige mensuellement des articles très engagés sur le développement de l’Afrique.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
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