jeudi 8 septembre 2011


8 septembre 2011
 
Connaître et faire connaître le peuple touareg
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ABDOULAHI ATTAYOUB

La Libye, les Touaregs, l’avenir...

EN LIBYE, LES EXCÈS DE CERTAINS INSURGÉS RISQUENT DE COMPLIQUER LA TÂCHE DES PAYS DE LA COALITION, QUI ONT JUSTIFIÉ LEUR INTERVENTION PAR L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE PROTÉGER LES POPULATIONS CIVILES !
jeudi 8 septembre 2011
Il a fallu six mois à la coalition occidentale engagée en Libye pour permettre aux gens de Benghazi de venir installer à Tripoli le Conseil National de Transition (CNT), mais cette victoire s’accompagne, hélas ! actuellement d’une véritable chasse à l’homme dont les principales victimes sont les Touaregs et toute personne à peau sombre. En effet, tout « Africain » semble être automatiquement considéré comme un mercenaire ayant soutenu le système Kadhafi. La majorité des insurgés paraissent incapables d’admettre que ces hommes qui subissent cette vindicte sont tout aussi partagés entre les deux camps, mais pas plus que ne le sont inévitablement toutes les communautés qui composent la population libyenne.
Les insurgés sont ainsi en train de se rendre coupables d’exactions qui pourraient demain être qualifiées de crime contre l’humanité. Mais cela dépendra naturellement de la volonté des puissances en présence, qui doivent assumer leurs responsabilités envers la population libyenne dans son ensemble.
Les dernières évolutions de la crise libyenne ont créé une nouvelle situation dans le pays et dans l’ensemble de la sous-région. Après plus de quarante ans d’un régime totalitaire, le pays est à l’aube d’une ère qui devrait consacrer son entrée dans un processus classique de développement économique, culturel et social. Les différentes composantes du peuple libyen devraient pouvoir enfin se mettre d’accord sur le type d’institutions qu’elles souhaitent pour leur pays et sur la manière d’organiser l’État pour qu’il réponde réellement à leurs aspirations démocratiques. Il s’agit là de l’engagement pris par la coalition qui a déclenché la guerre pour mettre un terme au système Kadhafi.
Mettre en place des institutions qui garantissent le respect des droits fondamentaux de toutes les composantes du peuple libyen constitue, en effet, la seule manière d’éviter tout dérapage, voire une décomposition du pays dans ses frontières actuelles. Les acteurs de cette nouvelle Libye doivent se libérer des lourdeurs idéologiques qui ont structuré jusqu’à ces dernières années la pensée politique en Afrique du Nord. Désormais, la parole est au peuple dans sa diversité et dans la complexité de ses aspirations. Aucune idéologie ne devrait s’imposer par la force et aliéner le peuple en le privant du droit de se construire sur ses propres réalités.
Dans cette nouvelle Libye, la composante touarègue, présente sur un tiers du pays et qui représente 10 % de la population, sera incontournable dans l’élaboration d’une Constitution capable d’assurer la stabilité, le développement et l’épanouissement de l’ensemble du peuple Libyen. Cela passe nécessairement par l’adoption de la Tamazight comme langue nationale officielle. Ce point ne devrait pas faire l’objet de tractations ni de débats, car il s’agit de la réhabilitation d’une dimension fondamentale de l’identité libyenne, qui a été niée et détruite par le système qui vient de s’écrouler. L’identité (culture et langue) d’un peuple ne se discute pas dans des Assemblées, elle est la raison même de l’existence de l’État. Elle ne saurait être soumise à une quelconque consultation d’on ne sait qui, car aucune communauté ne devrait avoir le droit de vie ou de mort sur une autre. Le peuple est riche de la diversité de ses composantes. Si une seule de ses composantes cherche à se confondre à l’État et à imposer son identité, sa culture, sa langue et sa vision du monde, alors aucune construction commune ne pourrait durablement se faire. Les décennies que nous venons de vivre en ont fait la démonstration aussi bien en Europe qu’en Asie et en Afrique.
Une campagne visiblement orchestrée cherche à faire des Touaregs des alliés de Kadhafi, avec comme objectif de minimiser le poids et le rôle de cette communauté dans la construction qui est en train de se faire. Cette attitude menée par des esprits maléfiques n’est pas dans l’intérêt de la Libye. Parmi les gens qui ont soutenu Kadhafi, et qui le soutiennent encore, toutes les composantes de la population libyenne sont représentées. Alors, pourquoi ne parle-t-on que des Touaregs ? Quelle main et quels objectifs se cachent derrière cette stigmatisation ? Dans cette guerre, les deux camps ont fait appel à des combattants étrangers (Africains, Asiatiques et Européens). Pourquoi ne parle-t-on que des quelques Touaregs qui auraient été recrutés par le camp Kadhafi ? Aujourd’hui, certains acteurs de la transition sont tentés par l’amalgame et cherchent à déstabiliser la communauté touarègue libyenne en lui imputant des responsabilités qui ne sont pas siennes.
La communauté touarègue libyenne, après avoir souffert de l’injustice du système Kadhafi, qui a toujours refusé de la reconnaître dans son identité, fait l’objet d’attaques suspectes, y compris de la part de certains frères amazighs qui se trompent de combat et font le jeu de leurs ennemis sans s’en rendre compte. Les Touaregs libyens d’origine malienne et nigérienne ont vécu des décennies comme citoyens de seconde zone auxquels le système Kadhafi a refusé les droits qui ont été pourtant largement et systématiquement octroyés aux Egyptiens et autres Moyen-Orientaux qui font aujourd’hui l’essentiel de la population en Cyrénaïque, notamment de Benghazi. Il serait incompréhensible que les acteurs qui veulent construire la Libye démocratique ne gardent de l’héritage de Kadhafi que cette différenciation entre Libyens !!!
Des informations nombreuses et concordantes font état de centaines d’exécutions extrajudiciaires commises sur des Touaregs et plus largement sur des « Africains » accusés par les insurgés de soutenir le système déchu. Dans ces exactions, des Libyens à peau noire sont également victimes de la vindicte de ceux qui s’estiment être les seuls vrais Libyens. Ces tueries se passent sous les yeux de la coalition et de l’OTAN, qui ont légitimé leur intervention dans ce pays par l’impératif absolu et urgent de protéger les populations civiles...
Le Conseil National de Transition est-il en train de se transformer en organisation « génocidaire » décidée à nettoyer la Libye de ses citoyens déclarés non conformes au projet idéologique qui se concocte ?
Quoi qu’il en soit, la responsabilité de ces exactions incombe également aux puissances occidentales, dont le rôle a été déterminant dans la situation actuelle. La logique voudrait que le Tribunal pénal international soit saisi avec la même célérité que quand il s’est agi des exactions qui auraient été commises par Kadhafi !
Ceux qui se préparent à gouverner le pays doivent vite se ressaisir et comprendre qu’il s’agit là d’une dérive très dangereuse qui risque de plonger le pays dans le chaos. Le combat pour la démocratie n’aura été alors qu’un alibi pour asseoir un autre ordre injuste et donc inacceptable pour la composante amazighe du pays.
Les leaders touaregs libyens doivent prendre leurs responsabilités et se mettre en tête que l’avenir du pays dépend aussi de leur capacité à porter les aspirations de leur communauté et à les défendre au même titre que les autres. Ils doivent assurer la sécurité des personnes et des biens dans leurs régions et participer de manière active et responsable à la construction du nouvel Etat libyen dans lequel ils joueront, de fait, un rôle de premier plan.
La responsabilité de ce qui va se passer dans les mois et les années à venir incombe, certes, d’abord aux Libyens, mais aussi à la coalition dont l’intervention politique et militaire a été déterminante dans le renversement du système Kadhafi. Les puissances qui ont décidé et mené ce changement ne pourront pas se retrancher derrière une quelconque souveraineté pour fermer les yeux sur les excès et les violations des droits de l’homme en Libye, car leur engagement dans cette guerre suppose de fait une responsabilité dans la manière dont le pays sera gouverné.
Abdoulahi ATTAYOUB
aabdoulahi@hotmail.com
Président de l’organisation
Survie Touarègue-TEMOUST
Lyon (France)

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