lundi 12 septembre 2011


Comment une jeune Libyenne guidait les avions de l'Otan


L'Express.fr
publié le 12/09/2011 à 17:47, mis à jour à 17:47

Pendant des mois, une Libyenne de 24 ans a espionné des installations militaires et transmis des informations à l'Otan, qui l'ont aidé à choisir les cibles de ses raids.

Utilisant le nom de code de Nomidia, elle a recouru à de complexes méthodes pour ne pas se faire prendre, changeant régulièrement de lieu, utilisant un grand nombre de cartes SIM de téléphones portables et bien sûr en ne parlant pratiquement à personne de ses activités.
Mais ce qui, probablement, l'a le plus protégée est peut-être le fait d'être une femme: dans la société conservatrice musulmane de la Libye, les services de sécurité de Mouammar Kadhafi ne la soupçonnaient pas.
"Je n'apparaissais pas sur leur radar", dit cette jeune femme, ingénieur, dans l'interview qu'elle a accordée à Reuters dans un hôtel de Tripoli, deux semaines après la prise de contrôle de la capitale par le Conseil national de transition (CNT).
"Ils se concentraient davantage sur les hommes et il leur était presque impossible d'imaginer qu'une jeune femme fasse tout ça", déclare-t-elle.
Nomidia s'est exprimée pour Reuters à la condition expresse que sa véritable identité ne soit pas révélée, car, selon elle, même si le CNT contrôle désormais la capitale, la "cinquième colonne" des kadhafistes est toujours à l'oeuvre, et sa famille ou elle-même pourraient être prises pour cible.
Ses déclarations ont été corroborées par deux autres personnes qui ont fait partie d'un réseau anti-Kadhafi clandestin et qui l'ont aidée à transmettre des renseignements sur les forces de sécurité.
"Elle était une source d'information majeure, en qui l'on avait une grande confiance", a déclaré Oussama Layas, l'un des membres de ce réseau.
Lorsque Nomidia a commencé à jouer son rôle d'informatrice, voici cinq mois, Mouammar Kadhafi et les forces de sécurité du régime contrôlaient étroitement Tripoli et retenaient toute information susceptible d'être utilisée par leurs ennemis.
APPELS À UNE CHAÎNE D'OPPOSITION
Les lignes téléphoniques, les SMS étaient bloqués et internet ne pouvait être utilisé qu'au sein de services dépendant de l'Etat. Les journalistes étrangers étaient confinés, sous bonne garde, dans un hôtel cinq étoiles.
Nomidia, grande et fine jeune femme portant un foulard vert, dit s'être sentie obligée de faire quelque chose après avoir constaté avec quelle férocité les forces de Kadhafi réprimaient les premières manifestations dans le pays.
"Je n'ai pas pu m'en empêcher, quand j'ai vu ce que faisait Kadhafi, d'abord à Benghazi, à Misrata, à Zaouiah, à Tripoli et sur les hauteurs du djebel Nefoussa", raconte-t-elle.
Elle a commencé par téléphoner à Al Ahrar, une chaîne de télévision libyenne anti-Kadhafi ayant ses bureaux à Doha, au Qatar. Les responsables de la chaîne, qui avaient peu d'information sur la situation dans Tripoli, ont diffusé sa voix, sous le nom de Nomidia.
Peu après, elle a communiqué des informations sur les forces militaires, que la chaîne n'a pas voulu rendre publiques afin de ne pas alerter les services de Kadhafi de l'existence de cette "taupe".
Au lieu de cela, la chaîne a transmis ses renseignements à l'Otan, via des responsables du CNT, a déclaré Lina, qui, en tant que productrice à la chaîne, était le principal contact de Nomidia à l'étranger et qui préfère taire son propre nom de famille.
Les renseignements que Nomidia transmettait portaient "essentiellement sur les sites où étaient stockés des armes et des chars", précise Lina. "Elle a fait un boulot formidable. C'était assez courageux. Je connais beaucoup de gars qui n'auraient pas fait ce qu'elle a fait à Tripoli à ce moment-là".
CONTACTS AVEC DES OFFICIERS
Comme le réseau téléphonique était placé sous surveillance, le plus dangereux, pour Nomidia, concernait la phase de transmission des informations sur des cibles à viser.
"J'utilisais un bon nombre de téléphones portables. J'ai eu recours à 12 cartes SIM et à sept portables différents", a-t-elle expliqué.
A un moment, un homme d'affaires, membre du réseau d'opposants à Kadhafi, lui a donné un téléphone satellitaire, ce qui en soi était dangereux parce que les autorités en avaient interdit l'utilisation.
De même, Nomidia changeait fréquemment de lieu pour émettre. "Un jour je téléphonais de Tadjoura, une autre fois de Souk al Djoumaa", raconte-t-elle en citant différents quartiers de Tripoli.
L'Otan procédait à des missions de reconnaissance de ses cibles à l'aide de satellites et de drones (avions sans pilote). Mais cette méthode avait ses limites, et dans certains cas, les services de Kadhafi installaient leurs bases à l'intérieur de bâtiments civils. De même, l'Otan ne pouvait pas être sûre qu'il n'y avait pas des civils à l'intérieur des cibles.
C'est là que Nomidia, et d'autres, intervenaient.
"Nous avions au moins 16 personnes qui travaillaient pour nous sur ce point. Une femme nous transmettait des informations", explique Hichame Bouhaguiar, haut responsable militaire du CNT.
Dans l'interview à Reuters, Nomidia cite trois lieux qui, dit-elle, ont été touchés par l'Otan après qu'elle eut transmis des informations: un site dans le quartier de Salaheddine, à Tripoli, où des miliciens stockaient des armes; le camp militaire du 7-Avril dans le quartier de Baouabit al Djibs; et un bâtiment des services de renseignement à Sidi El Masri.
"Les renseignements sur ces sites provenaient d'officiers supérieurs qui n'étaient pas pour le régime. Ils soutenaient la révolution", explique Nomidia en précisant que son père était un officier à la retraite qui avait des relations au sein de l'état-major.
Nomidia évoque en outre ses propres séances d'observation: "Le régime Kadhafi utilisait des sites civils pour entreposer des armes. Je circulais en voiture et me rendais sur les lieux, je surveillais, observant parfois pendant des heures, pour être sûre qu'il fallait bien frapper là."
Eric Faye pour le service français

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