dimanche 18 septembre 2011


Niamey, terminus pour la bande de Kadhafi

Bravant le désert et les bandits, quatre généraux libyens et un fils de Kadhafi ont rejoint le Niger. Des hôtes très encombrants. Enquête.
Ils sont partis de Sebha, la grande ville du Sud libyen, par la route, après avoir compris que la tribu des Walid Souleymane avait déjà changé de camp. Le passeur, Aghaly Alambo, écume le désert depuis des années. Il accompagne le général Mansour, qui vient d’être gentiment poussé vers la sortie par sa tribu. Cinq jours plus tard, trois autres généraux libyens empruntent le même chemin et arrivent, toujours avec lui, à Agadez, au Niger. Le 11 septembre dernier, c’est au tour de Saadi Kadhafi, le fils footballeur du colonel. Avec eux, des chauffeurs, des mécaniciens, des guides… Trente-deux personnes en tout, logées dans des villas de la capitale du Niger, à 2.400 km de chez elles. Assignées à résidence et sous surveillance étroite. Interdites de parole. Et pas rassurées. "En réalité, ils ont peur de sortir de chez eux. Ils ont peur de se faire tuer", explique un Nigérien chargé de veiller à leur confort quotidien. Tous les convois ont été prévus et organisés, plusieurs personnalités nigériennes ayant servi d’intermédiaires et transmis le feu vert des autorités.
Le Niger n’a ni les moyens ni l’envie de refuser l’asile à des personnalités qui fuient la guerre. Parmi les plus pauvres pays du monde, il partage une grande frontière au nord avec la Libye, "pays frère et voisin". Le Guide a beaucoup aidé, financé, investi. Au nord du Niger, qu’il considérait un peu comme son arrière-cour, et à Niamey, dans les palais de la République et les campagnes des partis politiques. L’actuel président, Mahamadou Issoufou, était, dit-on, son candidat de prédilection ; il est de tempérament loyal et fidèle en amitié.

Des milliers de Touareg dans l’armée libyenne

Les aspects sécuritaires pèsent aussi lourdement : plusieurs milliers de Touareg du Niger et du Mali servent dans l’armée libyenne depuis des années. Il faut leur ajouter les mercenaires, sans doute quelques centaines, recrutés par Kadhafi depuis le printemps. Le pays sort tout juste d’une rébellion qui s’est achevée en 2009. Le déminage de certaines zones n’est pas terminé. Les armes des "combattants" fument encore. À l’ouest, Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) sème la terreur. Le groupe détient encore quatre otages français. Deux autres sont morts en janvier dernier, pendant l’assaut donné par l’armée française contre leur convoi. La guerre en Libye a aggravé la situation par la circulation et le trafic d’armes de toute nature, jusqu’à un hélicoptère en pièces détachées récemment aperçu à Agadez. Le Niger craint l’irruption d’une guerre secrète sur son sol entre les pro-Kadhafi et le CNT. C’est pourquoi il vient d’ailleurs de refuser au CNT l’ouverture de représentations diplomatiques à Agadez et Arlit, dans le nord, a-t-on appris de source autorisée.
La position nigérienne est simple : le droit, rien que le droit. "Nous refusons de refouler des gens dans un pays où ils risquent la mort. Pas plus, pas moins", a martelé vendredi le jeune ministre de la Justice, Marou Amadou, connu pour son combat courageux pour les droits de l’homme. Pas question donc de livrer les Libyens au CNT. "Le Niger se fera un point d’honneur d’appliquer le droit international", a-t-il poursuivi. Le Niger obtempérera aux demandes de la Cour pénale internationale mais veillera aussi à respecter la Convention de Genève sur les réfugiés.

Des bandits du Sahara à l’affût

Côté CNT, c’est la confusion. Reconnu par le Niger, il ne cesse d’annoncer et de reporter la venue d’une délégation supposée régler le problème. Il n’a pas hésité à demander au président français, en visite à Tripoli jeudi, d’appuyer ses demandes. Vendredi, Nicolas Sarkozy a promis d’intervenir auprès des autorités nigériennes. Le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, lui a aussitôt répondu par presse interposée de ne pas "parler au nom du CNT".
En effet, les Occidentaux, bien qu’informés pratiquement en temps réel par les espions placés jusque dans les convois des fuyards, se livrent depuis peu à une surenchère pour réclamer l’arrestation des "étrangers" du Niger. On ne sait trop sur quelle base juridique. Pendant ce temps-là, dans le vaste Sahara, des bandits aguerris se postent à l’affût de "l’or des Libyens". Il y a quelques jours, un convoi de véhicules achetés par Kadhafi a été attaqué et plusieurs véhicules dérobés. Conscients du danger, les Libyens se méfient de tous, même des fonctionnaires chargés de leur sécurité. Les services de renseignement s’activent, survolent la zone. C’est ainsi qu’une patrouille de l’armée nigérienne a rencontré, jeudi après-midi aux confins de l’Algérie, des maquisards d’Aqmi. Bilan officiel : "Quatre morts, deux blessés, deux véhicules récupérés, un lance-roquettes RPG7, trois fusils AK47, un fusil-mitrailleur et… 59 jeunes recrues." Le western saharien ne fait que commencer.
Nathalie Prévost, correspondante à Niamey - Le Journal du Dimanche
dimanche 18 septembre 2011

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