Ce que cache le coup d’Etat au Niger (encore l’Africom ?)
TAHERUKA SHABAZZ, Directeur de l’ISA.
Quand par voie de presse nous apprenions que le président du Niger, Mamadou Tandja, fut déposé par un coup d’Etat organisé le 18 février 2010 par des officiers supérieurs de l’armée nigérienne, ce qui nous surprit le plus c’est le caractère timoré des réactions des diplomaties occidentales.
Elles, si prompts à clouer au pilori un Omar Béchir, un Moussa Dadis Camara ou un Robert Mugabé, les voilà condamner du bout des lèvres une prise de pouvoir par la force.
La presse française, qui est aussi indépendante que les pays de la zone CFA, parle même du retour de la démocratie. C’est dire si on marche dur la tête.
Mais c’est du côté des responsables politiques qu’il faut tourner son regard pour tout démêler dans cette histoire.
Deux semaines avant le putsch militaire, la multinationale AREVA signait, le 4 février 2010, un contrat de partenariat avec le groupe sud-coréen KEPCO. Ce dernier prenant 10% de participation dans la production d’uranium extrait du gisement d’Imouraren (un des plus grands gisements au monde avec une capacité d’extraction d’au moins 5 000 tonnes de minerais par an pendant 30 ans).
Cet accord sur le plus grand gisement d’uranium d’Afrique et deuxième du monde est primordial pour AREVA. A tel enseigne que la multinationale annonce sur son site Internet « A l’heure où la relance du nucléaire est annoncée dans de nombreux pays, il s’agit d’une opération d’envergure pour le groupe (…). » .
Avec 1,2 milliard d’euros investit dans cette mine, l’on comprend aisément l’importance stratégique d’une opération aussi juteuse. Sans compter que des négociations sont en cours entre le groupe AREVA et MITSUBISHI (de l’ordre de 3 milliards d’euros) pour une augmentation de son capital, c’est dire l’importance de la signature de Mamadou Tandja pour la présidente du directoire du groupe, Anne Lauvergeon, donc pour Nicolas Sarkozy, donc pour ses maîtres. Huit mois avant (Jeudi 2 Juillet 2009), elle déclarait avec insistance sur Radio Classique : « nous avons BESOIN de plus d’uranium » (rapporté entre autres par easybourse.com).
Dans la semaine qui suit l’accord conclu par les deux groupes AREVA et KEPCO, précisément le 9 février 2010, l’Elysée déclare son inquiétude pour les positions d’AREVA au Niger. C’est qu’entre temps, le président Mamadou Tandja s’en est allé toquer à la porte de la Chine et de l’Iran pour l’éventuelle exploitation de la plus grande mine d’uranium d’Afrique. Toujours est-il qu’en 2008, le Niger cèda à la Chine des contrats d’exploitation pour un montant s’élevant à 3,7 milliards d’euros. Alors que dans le même temps, il imposait à AREVA de revoir à la hausse de 50% le prix d’achat du minerai.
Malgré les 40 ans de “présence” de l’industrie nucléaire française au Niger, AREVA risque de tout perdre sur la dernière ligne droite.
N’oublions que c’est quasiment dans des conditions similaires qu’Anne Lauvergeon perdit, il y a quelques mois de cela (le 27 décembre 2009), un juteux contrat de 40 milliards de dollars à Abou Dhabi (Emirats Arabes Unis).
Le manque a gagné est trop important pour AREVA. Autre incident qui a de quoi inquiéter Paris: en juillet 2007 le président Mamadou Tandja avait expulsé du Niger Dominique Pin, le directeur local du groupe, soupçonné de financer les mouvements touaregs anti-gouvernementaux.
C’était donc de très mauvais augures que Mamadou Tandja soit en pourparler avec la Chine et l’Iran.
Se faisant en toute urgence Nicolas Sarkozy, déjà en peine avec la situation de quasi explosion de la zone euro, envoie à Niamey deux ministres : Christian Estrosi, le ministre de l’Industrie, Bernard Kouchner, le ministre des Affaires Etrangères, celui dont le nom est associé à quasiment tous les génocides de la deuxième moitié du XXème siècle (Biafra, Rwanda, Yougoslavie, Palestine, etc…).
Entre le 9 février 2010 et le 18 février 2010, plus rien ne filtre (du moins du côté français). Pas de compte-rendu de leur visite à Niamey. Il semblerait que la décision ait été déjà prise : celle de renverser Tandja par l’entrefait des mêmes militaires qui l’ont porté au pouvoir en 1999, et dont la soif d’argent n’avait visiblement pas assez été suffisamment assouvie.
Le lendemain du putsch, aucune panique du côté d’AREVA qui se paie même le luxe d’annoncer par son porte-parole dans les colonnes du Dow Jones Newswires qu’il n’y a pas lieu de se faire du soucis pour la production d’AREVA au Niger. Message codé pour les places fortes de Wall Street et de la City de Londres. En somme « ne vous inquiétez pas, nous avons la situation en main ».
Les communiqués de presse tombent, relayant les propos rassurants de la junte qui promet le retour de la démocratie (sic). L’AFP (reprise par tous les
médias) titre même « la junte a donné des garanties nécessaires » ( cliquez ici). Mais à qui ? Point besoin de répondre.
Et quand le secrétaire d’état à la coopération, Alain Joyandet, annonce à la presse qu’il n’y a pas lieu de craindre quoique se soit pour AREVA.
Le message est on ne peut plus clair.
Nous voyons que sous fond de guerre d’influence de l’Empire de la City de Londres contre la Russie et la Chine, le dindon de la farce reste toujours le même : une population africaine humiliée de plus en plus. Entre des militaires cupides et corrompus et une classe politique aveugle et naïve, la population se cherche encore une voie de sortie.
La partie qui se joue en Afrique de l’Ouest est hautement tactique, car s’y mêlent des intérêts économiques comme le besoin vital de contrôler les gisements d’uranium, mais également géostratégiques comme l’étouffement des Chinois et des Russes en Afrique. Les moyens utilisés pour mener à bien ce projet sont assez facilement identifiables :
réorganisation des bases militaires de l’OTAN en Afrique, création factice de foyers de terrorisme d’obédience islamiste financés, formés par le Département d’Etat, le Département à la Défense et le Conseil National de la Sécurité américains, mise en place de plateformes de narco-trafics, implications des armées gouvernementales dans des programmes militaires d’endoctrinement idéologiques, mise en place de dictatures militaires.
Ouvrons les yeux et regardons l’Afrique de l’Ouest, que voyons-nous sinon des coups d’Etat (Niger, Guinée), des implantations de bases militaires (Sénégal, Côte d’Ivoire), des créations de foyers terroristes (Mali, Nigeria), la prolifération du narco-trafique (Sierra Leone, Guinée Bissau), l’expropriation des richesses par les multinationales, etc.
Ce qui se passe au Niger est un cas d’école. L’on comprend alors la vive protestation de l’Algérie qui ces temps-ci voit beaucoup de mouvements de l’administration Obama dans la région. Est-elle la prochaine sur la liste?
TAHERUKA SHABAZZ, Directeur de l’ISA.
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