Comment les Touaregs du Mali sont montrés du doigt
L'Auteur
Si certains n’hésitent plus à évoquer aujourd’hui le «problème Touareg», récurrent depuis l’indépendance de 1960, les conséquences du discours identitaire peuvent s’avérer dangereuses pour construire le Mali de demain.
Faire la différence, c’est déjà montrer du doigt
Pour les associations de défenses de la communauté Touareg, l’heure est à la méfiance et à l’indignation. Selon elles, l’opinion fait trop souvent l’amalgame entre la communauté Touareg et les combattants islamistes.Prenons pour exemple la vague d’attentats qui a frappé ces derniers jours la ville de Gao, au nord du pays. Tous ont été revendiqués par le Mujao (Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest).
Bien vite, les médias du monde entier ont indiqué (selon des sources locales un peu floues) que le Kamikaze qui s’était fait exploser le 8 février était a priori «un jeune touareg», et que deux autres jeunes, «un Touareg et un Arabe» avaient été appréhendés le 9 février par l’armée malienne, portant sur eux des ceintures d’explosifs.
Corps déchiqueté du kamikaze à Gao, le 8 février. Le commentaire de TV5 Monde précise qu’il s’agit « d’un jeune Tamasheq », c’est à dire un jeune Touareg. Capture vidéo.
Pour Zakiyatou Oualett Halatine, responsable de l’Association des Réfugiés et des Victimes de l’Azawad (ARVRA) en Mauritanie (une association qui vient en aide aux réfugiés du Nord-Mali), cette désignation créé un véritable amalgame lourd de conséquences, car il montre du doigt plusieurs communautés.«Ce n’est pas juste, si on peut parler de justice dans cette situation, car les Touaregs et les Maures ont aussi subi le joug des islamistes en même temps que les autres populations».«Bien sûr, désigner les ethnies dans des circonstances pareilles c’est faire l’amalgame. On entend déjà beaucoup dans la presse que Touaregs = rebelles = islamistes. Or nous savons que la majorité des combattants du Mujao (qui a revendiqué l’attentat) ne sont pas des Touaregs, ni des Arabes, mais malheureusement personne n’est là pour le rappeler» nous explique-t-elle.
Un racisme en pleine explosion ?
Si la déclaration d’indépendance du Nord-Mali en avril 2012 semble avoir précipité le sentiment de rejet envers les communautés touaregs, bérabiche ou maures, cela fait déjà longtemps qu’une incompréhension profonde existe entre les habitants du sud et du nord du Mali.Il y a un an déjà, au mois de février 2012, alors que le coup d’Etat et la séparation du pays n’avaient pas encore eu lieu, les paroles d’un Bamakois m’avaient interpelé. Alors que nous discutions de ces Touaregs qui venaient de prendre les armes au nord, le jeune professeur m’avait pris à parti:
Des paroles violentes que l’on retrouve d’ailleurs sur internet, dans les forums ou dans les commentaires d’articles, où des internautes donnent dans la surenchère raciste depuis quelques mois.«Vous, en France, vous ne comprenez pas la situation. Le problème avec ces gens-là, c’est carrément génétique» avait-il expliqué. «Il faudra résoudre ce problème un jour» m’avait-il confié.
Peut-on dès lors imaginer reconstruire le Mali sur ces bases-là ? Nous l’évoquions déjà il y a plusieurs mois, alors même que la perspective d’une intervention militaire au Nord-Mali était terriblement compromise : l’action militaire isolée ne peut pas permettre de résoudre les problèmes de fond qui minent le Mali depuis plus de cinquante ans.
C’est de la décision politique, et de la concertation, que pourront naître demain la stabilité et la tolérance. Comme toujours.
Ambroise Védrines
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire